Guerre des Malouines

Soigner les combattants blessés dans les Îles Falkland/Islas Malvinas : 1982

Dispositions du DIH

Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :


Il est interdit d’attaquer des personnes reconnues comme étant hors de combat. Est hors de combat toute personne Qui est sans défense du fait qu’elle a perdu connaissance, ou du fait de naufrage, de blessures ou de maladie.

Les personnes civiles et les personnes hors de combat doivent être traitées avec humanité.

Chaque fois que les circonstances le permettent, et notamment après un engagement, chaque partie au conflit doit prendre sans tarder toutes les mesures possibles pour rechercher, recueillir et évacuer les blessés, les malades et les naufragés, sans distinction de caractère défavorable.

Les blessés, malades et naufragés doivent recevoir, dans toute la mesure possible et dans les délais les plus brefs, les soins médicaux qu’exige leur état. Aucune distinction fondée sur des critères autres que médicaux ne doit être faite entre eux. 

Résumé du cas d’étude

En 1982, une guerre a éclaté entre l’Argentine et la Grande-Bretagne pour le contrôle des Îles Falkland/Islas Malvinas. Le conflit a engendré des pertes dans les deux camps.

Dans le cadre de la planification d’un appui médical côté britannique, le personnel sanitaire militaire britannique a soigné les blessés de l’armée britannique et de l’armée ennemie de manière rapide et efficace, en ne prenant en compte que le critère médical. Dans cette situation, le respect du DIH a été assuré grâce à la formation dispensée aux équipes médicale et aux services de soutien sanitaire qui étaient situés à proximité des combats.

Respect du DIH : les points à retenir

  1. Dans le cadre de la planification d’un soutien médical par l’armée britannique, des unités de chirurgie composées de médecins hautement compétents sur le terrain ont été mises en place à proximité des lignes de front qui avançaient. Ces derniers ont ainsi pu fournir rapidement un traitement adapté aux combattants blessés, indépendamment du camp auquel ils appartenaient. Lorsque les unités de chirurgie étaient dépassées, les blessés étaient transférés vers un navire-hôpital britannique afin de s’assurer qu’ils reçoivent les soins appropriés.
  2. Le personnel médical britannique a fait en sorte que les prisonniers de guerre argentins puissent donner leur sang pour les combattants argentins blessés qui avaient besoin d’une transfusion. Les réserves de sang ont été étiquetées et stockées avec soin, selon le même protocole que celui utilisé pour les réserves de sang issues de dons pour les soldats britanniques.
  3. Un chirurgien de la Royal Navy a reçu la plus haute distinction argentine pour avoir soigné les combattants des deux parties au conflit de manière impartiale.

Ce cas pratique a été élaboré par David Jordan et Sai Santosh Kolluru, étudiants (Juris Doctor) de la Faculté de droit d’Emory, sous la supervision de Laurie Blank, professeure à la Faculté de droit d’Emory.

 

A.   LA PLANIFICATION MÉDICALE PENDANT LA CAMPAGNE DES ÎLES FALKLAND

[Source : Thomas E. Broyles,  A comparative analysis of the Medical support in the Combat Operations in the Falklands Campaign and The Grenada Expedition, 21 septembre 1987, [traduction CICR] disponible sur :  https://apps.dtic.mil/sti/pdfs/ADA184721.pdf]

[…]

En accord avec la conception britannique des opérations médicales, des infirmiers hautement qualifiés devaient accompagner chaque unité de combat, afin de prodiguer des soins d’une meilleure qualité que ce qui était attendu en termes de capacités sur le terrain. […] De plus, des équipes chirurgicales ont été déployées (composées d’un chirurgien, un anasthésiste,  une personne en charge de la réanimation, quatre personnes en bloc opératoire, une personne responsable des transfusions sanguines et un auxiliaire). Cette équipe était située aussi près de la zone de combat que possible. Elle était en perpétuel mouvement, à mesure que les blessés étaient pris en charge par l’ambulance sur le terrain et tandis que les unités de combat et les postes de secours avançaient.

 

Dès le départ, les planificateurs des équipes médicales britanniques ont voulu s’assurer que la planification médicale était adaptée aux stratégies opérationnelles et tactiques. Dans le même objectif, ils avaient prévu une assistance médicale qui soit, autant que possible, au plus près des opérations militaires, en déployant d’importants moyens en termes de soins et ce à tous les échelons, afin de garantir des services de réanimation et un traitement efficaces. Ces planificateurs ont fait preuve d’une grande flexibilité, qui a été démontrée par leur capacité à s’adapter rapidement et à élaborer des « prévisions à chaud », à mesure que la campagne progressait. Les forces britanniques s’attendaient à ce que la mobilité des unités médicales soit sévèrement affectée par la nature du terrain, mais les planificateurs des équipes médicales ont espéré limiter les conséquences de cette situation en plaçant leurs unités médicales en poste bien avancé, aux côtés des unités de manœuvre. Dès le début de la campagne, la continuité des soins avait été un élément central de la planification médicale, bien que les Britanniques aient reconnu que cette continuité dépendait de la disponibilité des brancards et des hélicoptères qui assuraient l’évacuation des blessés (casualty evacuation [casvac]). Enfin, leur conception de l’assistance médicale a tenu compte de l’importance d’assurer un contrôle des unités médicales pour que cette assistance demeure efficace et optimale.

 

B.    ÎLES FALKLAND : EXPÉRIENCE DE LA CHIRURGIE DE GUERRE SUR LE TERRAIN

[Source : D. S. Jackson, C. G. Batty, J.MM. Ryan, et W. S. G. McGregor, The Falklands War: Army Field Surgical experience, 65 Annales du collège des chirurgiens d’Angleterre 281 (1983),  [traduction CICR] disponible sur : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2494365/pdf/annrcse01521-0003.pdf ]

 

Au cours de la récente campagne des îles Falkland, quatre équipes chirurgicales militaires ont été déployées sur le terrain dans les deux étapes de la guerre.

 

[…]

Positionnées à l’est des îles Falkland les quatres équipes militaires faisaient office de centres de chirurgie en poste avancé. Leur présence était nécessaire, à cause de la manière dont les combats étaient menés et de la nature difficile du terrain. Des infrastructures médicales supplémentaires à l’arrière auraient pu engendrer des difficultés impossibles à surmonter en termes d’évacuation des blessés, en raison du nombre restreint d’hélicoptères à disposition et parce que leur capacité de charge était limitée. De plus, beaucoup d’hélicoptères ne pouvaient pas être utilisés pour des vols de nuit.

Les Argentins représentaient une part importante des blessés et il est malheureux que nous n’ayons aucune information sur leur sort. La plupart d’entre eux ont été transférés sur des navires-hôpitaux argentins, depuis le SS Uganda.

Pour tous nos blessés, l’étape finale était la même : le transfert sur le navire-hôpital SS Uganda. Nous sommes très reconnaissants envers nos collègues de la Royal Navy [forces navales britanniques] d’avoir dirigé cet hôpital flottant, et d’avoir immédiatement pris en charge le surplus de blessés lorsque les centres de chirurgie en poste avancé étaient surchargés, en particulier en ce qui concerne les soldats souffrant de brûlures à la suite du raid aérien sur Bluff Cove. Sans ce soutien, les centres en poste avancé auraient été dépassés et n’auraient pas fait preuve d’une telle efficacité.

 

C.    TRAITEMENT ET HOSPITALISATION DES VICTIMES DANS LES ÎLES FALKLAND

[Source : Colonel Charles G. Batty, MBE L/RAMC, Changes in the Care of the Battle Casualty: Lessons Learned from the Falklands Campaign, 164 Military Medicine 336 (1999), [traduction CICR] disponible sur : https://academic.oup.com/milmed/article-pdf/164/5/336/24221270/milmed-164-5-336.pdf ]

 

Le 21 mai 1982, un abattoir désaffecté et une usine de transformation de viande ont été occupés [par les forces britanniques] à Ajax Bay, au sud de la baie de San Carlos. […] Cet endroit s’apprêtait à être transformé en centre de chirurgie en poste avancé (advanced surgical center [ASC]).

Au centre du bâtiment se trouvaient deux pièces étroites, soutenues par des poutres et équipées de rails pour pendre les carcasses d’animaux. Après étude du bâtiment, il s’est avéré que ces pièces étaient les plus sûres pour y installer des blocs opératoires […].

[…]

Des réserves de sang (pour les transfusions) avaient été constituées grâce aux dons des soldats, près d’une semaine avant le débarquement. Il n’était pas possible d’assurer un service transversal à bord du bateau, c’est pourquoi les poches de sang étaient estampillées du groupe sanguin du donneur obtenu à partir de sa carte d’identité et stockés. Les dons de sang ainsi prélevés étaient débarqués du bateau, dans des conteneurs isothermes, avant d’être enterrés dans le sol pour les garder à une température optimale. Les réapprovisionnements étaient assurés par les forces présentes sur place. Les prisonniers de guerre argentins ont également donné leur sang pour les blessés, en employant la même méthode d’identification du groupe sanguin du donneur, de façon à ce que les transfusions soient assurées si nécessaire. Les blessés argentins ont été traités de la même manière que nos propres troupes, conformément aux Conventions de Genève.

 

 

D.   UN MÉDECIN MILITAIRE BRITANNIQUE SOIGNE DE NOMBREUX COMBATTANTS ARGENTINS

[Source : Murió el hombre que salvó cientos de vidas argentinas e inglesas en la guerra de Malvinas, Infobae, 17 janvier 2018, [traduction CICR] disponible sur : https://www.infobae.com/america/mundo/2018/01/17/rick-jolly-murio-el-hombre-que-salvo-cientos-de-vidas-argentinas-e-inglesas-durante-la-guerra-de-malvinas/]

 

Le Royaume-Uni et l’Argentine ont tout deux rendu hommage au capitaine Richard « Rick » Jolly, un chirurgien de la Royal Navy, pour avoir sauvé la vie de centaines de combattants des deux côtés pendant la guerre.

[…]

Le capitaine Jolly a travaillé dans des conditions très difficiles pendant la guerre. Il a été forcé d’établir un hôpital de fortune sur le terrain, dans une usine de transformation de la viande de mouton à l’abandon, à Ajax Bay, où il a dirigé de nombreuses opérations pour sauver la vie de centaines d’Argentins et de combattants britanniques. Il surnommait l’infrastructure « La machine à sauver des vies rouges et vertes », du fait de la couleur du bérêt que portaient les membres des forces navales et les parachutistes qu’il soignait.

Lors d’un entretien télévisé pour ITN, réalisé pendant la guerre, le capitaine barbu avait déclaré : « Dans la guerre, nous espérons toujours que nous aurons trop peu de travail ». Près de 30 % des blessés recueillis sur le champ de bataille et transférés à l’hôpital pour des opérations chirurgicales étaient argentins. Le capitaine Jolly et son équipe médicale les ont traités de la même manière que les blessés britanniques.

 

En plus de sa fonction de médecin, le capitaine Jolly a été salué pour sa bravoure au combat. Lorsqu’un avion argentin a bombardé le HMS Ardent, il est monté à bord d’un héliocoptère qui l’a conduit vers les eaux gelées de la baie de Grantham Sound, où il est venu en aide à deux marins blessés à la suite du naufrage du navire.

 

« Je n’avais pas prévu d’aller faire une baignade », a-t-il déclaré, avec l’ironie qu’on lui connait. « J’ai plongé dans l’eau mais je n’avais pas la force de le porter. Il se trouvait dans un état critique, il avait une grave entaille à la tête et du sang partout. Son état était si préoccupant que je ne suis même pas sûr qu’il ait pris conscience qu’on venait le sauver ».

[…]

En 1983, il est devenu officier de l’Ordre de l’Empire britannique, suite à ce qu’il avait accompli pendant la guerre dans les îles Falkland ; en 1999, ceux qui, jadis, avaient été ses ennemis, lui ont octroyé l’Ordre de Mai, la plus haute distinction qui existe en Argentine. La cérémonie s’est tenu à Buenos Aires, avec la présence du Prince Charles et de plusieurs soldats des îles Falkland qui devaient leur vie au capitaine Jolly.

 

E.    COMMÉMORATION DE LA GUERRE DANS LES ÎLES FALKLAND : « NOUS AVONS SOIGNÉ PLUS D’ARGENTINS QUE DE BRITANNIQUES »

[Source : BBC News, Falklands anniversary : ‘We treated more Argentines than Brits’ , mai 2012, [traduction CICR] disponible sur : https://www.bbc.com/news/uk-17535607]

« Nous avons pris en charge près de deux fois plus d’Argentins que de Britanniques », a affirmé Steven Hughes, alors médecin militaire du 2ème Bataillon du Régiment parachutiste britannique.

« L’éthique médicale qui consiste à soigner l’ennemi sur le champ de bataille peut faire l’objet de débats incessants, mais en vertu des Conventions de Genève et des principes fondamentaux d’Hyppocrates, il faut soigner chaque individu en fonction de ses besoins, et non en fonction du camp pour lequel il se bat, ni de celui contre lequel il se bat », a-t-il ajouté.

« Une fois que j’ai commencé à soigner les blessés de manière professionnelle et à soigner les Argentins exactement de la même manière dont je soignais les troupes de mon propre camp, mes infirmiers ont commencé à faire de même ».

 

Discussion

I. Qualification de la situation et droit applicable

1. Comment qualifieriez-vous la situation entre l’Argentine et le Royaume-Uni en 1982 ? S’agissait-il d’un conflit armé ? Quel était le droit applicable dans ce cas précis ? (CG I-IV, art. 2)

 

II. Traitement des blessés du camp ennemi dans les îles Falkland

2. Quelles sont les obligations qui incombent aux parties à un conflit armé concernant les blessés et malades ? Quelles sont les normes de soins auxquelles ces blessés et malades ont droit ? Le DIH prévoit-il d’évacuer les blessés et malades du champ de bataille ? (CG I, art. 12, 15 ; PA I, art. 10 ; DIHC, règles 47, 87, 109, 110)

 

3. Sous quelles circonstances un individu peut-il être considéré comme « blessé » au regard du DIH ? Y-a-t-il une distinction à faire entre les civils et les combattants blessés ? Entre ses forces et celles de l’ennemi ? Le DIH autorise-t-il les parties à un conflit à soigner en priorité les soldats de son propre camp ? Les distinctions de caractère défavorable relatives aux soins médicaux offerts aux blessés sont-elles interdites par le DIH ? Quel est le statut des combattants blessés qui tombent au pouvoir de l’ennemi ? (CG I, art. 121314 PA I, art. 8)

4. (Document B) Les forces navales britanniques étaient-elles dans l’obligation juridique de transférer les blessés argentins vers des navires-hôpitaux argentins ? (CG III, art. 109, 110)

 

III. Éléments contribuant au respect du DIH

5. (Document A) En quoi le déploiement de médecins très bien formés au préalable constitue-il une condition importante ? Quel rôle les formations militaires et médicales peuvent jouer pour appliquer les dispositions relatives au traitement medical ?

6. (Documents A, B et C) Selon vous, le fait que les équipes médicales aient été déployées à proximité directe du champ de bataille a-t-il facilité l’accès aux soins pour les combattants des deux parties au conflit ?

7. (Document D) Pourquoi est-il si important, pour agir conformément au DIH, que les deux gouvernements rendent hommage à un chirurgien de guerre lors d’une cérémonie officielle ? Ces gestes diplomatiques peuvent-ils encourager le respect du DIH dans les conflits à venir ?