Colombie, des accords visant à rendre compte du sort des personnes disparues et à identifier les personnes décédées

Apporter des réponses aux familles de personnes portées disparues en Colombie : 2015

Dispositions du DIH

Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :


Les disparitions forcées sont interdites.

Chaque fois que les circonstances le permettent, chaque partie au conflit doit prendre sans tarder toutes les mesures possibles pour rechercher, recueillir et évacuer les morts, sans distinction de caractère défavorable.

Les morts doivent être inhumés de manière respectueuse, et leurs tombes doivent être respectées et dûment entretenues.

Afin de permettre l’identification des morts, chaque partie au conflit doit enregistrer toutes les informations disponibles avant l’inhumation, et marquer l’emplacement des sépultures.

Chaque partie au conflit doit prendre toutes les mesures pratiquement possibles pour élucider le sort des personnes portées disparues par suite d’un conflit armé, et doit transmettre aux membres de leur famille toutes les informations dont elle dispose à leur sujet.

Résumé du cas d’étude

Après plus de 50 ans de conflit entre le gouvernement colombien et à l’époque, les Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple (FARC-AP) des milliers de personnes ont été portées disparues. Les familles ont dû vivre pendant des années dans l’incertitude quant au sort qui avait été réservé à leur proche disparu.

En 2015, alors que des négociations pour la paix avaient commencé, les parties au conflit ont convenu d’un accord officiel pour d’enquêter conjointement sur des cas de disparition non résolus, afin d’honorer leur obligation d’élucider le sort des personnes disparues et d’apporter des réponses à leurs familles.

Respect du DIH : les points à retenir

  1. Le 17 octobre 2015, reconnaissant le droit des familles de savoir ce qu’il est advenu de leur proche porté disparu, le gouvernement colombien et les FARC-AP ont convenu d’un accord conjoint pour s’employer à localiser et identifier les restes humains des personnes portées disparues à la suite du conflit armé et à restituer ces restes, en toute dignité, à leurs familles. Dans cet objectif, ils ont entrepris de :
    • développer et mettre en œuvre un plan d’action humanitaire, en associant le CICR
    • fournir au CICR toutes les informations importantes pour rechercher et identifier les restes humains
    • créer une unité spéciale de haut niveau, visant à élucider le sort des personnes disparues et, lorsque possible, à restituer les restes humains identifiés à leurs familles de manière appropriée.
  2. En décembre 2015, conformément à l’accord, les autorités colombiennes ont remis les dépouilles de 29 victimes du conflit armé identifiées à leurs familles.

Ce cas pratique a été élaboré par Angèle Jeangeorge, Cristina San Juan Serrano et Eva Vaz Nave, étudiantes en droit (LL.M.) à l’université de Leiden, sous la supervision du professeur Robert Heinsch ainsi que de Sofia Poulopoulou et Christine Tremblay, doctorantes au Kalshoven-Gieskes Forum de l’université de Leiden, avec le concours de Jemma Arman et d’Isabelle Gallino, étudiantes en droit (LL.M.) à l’Académie de Genève.

 

A. VERS UN ACCORD SUR LES DISPARUS EN COLOMBIE

[Source : AlJazeera, Colombia and FARC rebels reach deal on missing people, 18 octobre 2015, [traduction CICR] disponible sur : https://www.aljazeera.com/news/2015/10/18/colombia-and-farc-rebels-reach-deal-on-missing-people]

 

« Au moment où les deux parties prennent les dernières dispositions nécessaires pour conclure un accord de paix, le gouvernement colombien et les rebelles FARC de gauche ont déclaré qu’ils coopéreront pour retrouver les milliers de personnes qui ont disparu pendant près de 50 ans de conflit.

 

Dimanche, le négociateur en chef du gouvernement colombien, Humberto de la Calle, a déclaré que l’accord visait à soulager « l’immense douleur des proches des disparus » qui vivent depuis des années dans une incertitude sans fin.

 

Cet accord constitue « une nouvelle étape vers la paix » a déclaré sur Twitter le Président Juan Manuel Santos, qui a joué sa carrière politique sur la conclusion de cet accord.

 

D’après l’accord annoncé par les représentants du gouvernement et des Forces armées révolutionnaires de Colombie (ou FARC) les deux parties ont accepté de fournir des renseignements sur les personnes décédées, qu’elles soient mortes au combat ou qu’elles aient été victimes d’enlèvements, de disparitions forcées ou de massacres. ».

 

B. UN ACCORD VISANT À ATTÉNUER LES SOUFFRANCES DES FAMILLES DE DISPARUS

[Source : la Colombie et les FARC, déclaration officielle, Comunicado Conjunto # 62, La Havane, 17 octobre 2015, [traduction CICR] disponible sur : https://www.centrodememoriahistorica.gov.co/descargas/dialogos-paz-2015/comunicado-62-negociaciones-paz-2015.pdf]

 

Afin d’atténuer les souffrances des familles des personnes portées disparues et de contribuer ainsi à garantir leurs droits, le gouvernement national et les FARC‑EP (Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple) ont conclu deux types d’accords : en premier lieu, l’application immédiate de mesures humanitaires visant à rechercher, localiser, identifier et restituer dignement les restes humains des personnes portées disparues à la suite du conflit armé interne. Ces mesures seront mises en œuvre avant même la signature de l’Accord final ; et, en second lieu, la création d’une unité spéciale chargée de rechercher les personnes portées disparues à la suite du conflit armé. […]

 

I. Mesures immédiates pour instaurer une relation de confiance visant à permettre de rechercher, localiser, identifier et restituer dignement les restes humains des personnes portées disparues à la suite du conflit armé

 

[…]

 

Dans le cadre des mesures favorisant une relation de confiance, le gouvernement national et les FARC‑EP ont convenu de premières initiatives, à mettre en place immédiatement et à des fins strictement humanitaires, visant à rechercher, localiser, identifier et restituer dignement les restes humains des personnes portées disparues à la suite du conflit armé.

 

À cette fin, nous avons décidé de demander le soutien du Comité international de la Croix-Rouge pour la conception et la mise en œuvre d’un plan d’action humanitaire spécialement consacré à la recherche, la localisation, l’identification et la restitution digne des dépouilles à leurs familles. Le gouvernement national et les FARC‑EP s’engagent à communiquer au CICR les informations dont ils disposent et à faciliter l’exécution du plan humanitaire spécial. […]

 

Comme première mesure, les délégations du gouvernement national et des FARC‑EP ont convenu de ce qui suit : le gouvernement national accélérera, d’une part, l’identification et la restitution digne des dépouilles des victimes et des personnes décédées au cours d’opérations de maintien de l’ordre et qui ont été enterrées en tant que N.N. [tombes anonymes] dans des cimetières situés dans les zones les plus touchées par le conflit, conformément aux recommandations de l’Institut national de médecine légale et des sciences forensiques ; et, d’autre part, la restitution digne des restes identifiés qui n’ont pas encore été rendus à leurs familles. Chaque fois que nécessaire, un soutien sera demandé au CICR en vue de la restitution digne des dépouilles mortelles de membres des FARC‑EP à leurs familles.

 

Les FARC‑EP communiqueront des informations pour localiser et identifier les restes de victimes lorsqu’elles connaissent l’endroit où elles se trouvent et contribueront à leur restitution dans la dignité. Dans tous les cas, la digne restitution des dépouilles sera effectuée en tenant compte de la volonté des familles, qui bénéficieront du soutien psychosocial dont elles ont besoin. […]

 

Afin de renforcer les capacités institutionnelles et la participation des familles de victimes à la recherche, la localisation, l’identification et la restitution digne des dépouilles des personnes portées disparues, le gouvernement national et les FARC‑EP ont accepté de demander à la Commission pour la recherche des personnes disparues d’élaborer, dans les quatre mois à venir, un plan et des recommandations visant à atteindre l’objectif énoncé précédemment. À cet égard, la Commission sollicitera la participation d’organisations de défense des victimes, d’organisations spécialisées et d’organisations de défense des droits de l’homme.

 

II. Unité spéciale chargée de rechercher les personnes portées disparues à la suite du conflit armé

 

Le gouvernement national et les FARC‑EP ont convenu du fait que, aux fins d’élucider le sort des personnes portées disparues à la suite d’actions perpétrées par des agents de l’État, des membres des FARC‑EP ou de toute autre organisation ayant participé au conflit et ainsi contribuer à garantir le droit de savoir des familles des victimes et le droit d’obtenir des réparations, le gouvernement national mettra en place, dans le cadre de la fin des hostilités et après la signature de l’Accord final, une unité spéciale de haut niveau, aux fonctions transitoires et exceptionnelles, à laquelle les familles des victimes participeront activement et qui sera chargée de rechercher toutes les personnes disparues à la suite du conflit armé (ci‑après, « l’UBPD »). […]

 

L’UBPD remplira les fonctions suivantes :

 

·       Chaque fois que possible, assurer la restitution digne des restes des personnes portées disparues à la suite du conflit armé à leurs familles, dans le respect systématique des différentes pratiques ethniques et culturelles.

·       Garantir la participation des familles de personnes portées disparues à la suite du conflit armé aux processus de recherche, d’identification, de localisation et de restitution digne des dépouilles.

·       Communiquer aux familles un rapport officiel détaillant les renseignements obtenus sur le sort personnes portées disparues, au terme de l’exécution du plan de recherche correspondant. Les restes non identifiés ou non demandés par les familles seront conservés et mis à la disposition des autorités compétentes afin de garantir les droits des victimes. […]

 

C. SUIVI SUR L’IDENTIFICATION DES DÉPOUILLES ET LEUR TRANSFERT AUX FAMILLES

[Source : « Estado realiza primera entrega de NN víctimas del conflicto », El Tiempo, 8 décembre 2015, [traduction CICR] disponible en espagnol sur : https://www.eltiempo.com/archivo/documento/CMS-16461789]

 

Jeudi, à Villavicencio, les autorités colombiennes ont remis aux familles endeuillées les dépouilles de 29 personnes tuées lors d’affrontements avec les forces publiques. Comme les ces corps n’avaient pas été identifiés ou demandés à l’époque, ils avaient fini dans les fosses communes des cimetières des Plaines orientales et du sud du pays.

 

La cérémonie officielle, dirigée par le Commissaire à la paix Sergio Jaramillo, s’inscrit dans le cadre de la politique gouvernementale visant à identifier tous les restes humains non identifiés et inhumés dans le pays et à les restituer à leurs familles. Une attention particulière est portée aux membres des FARC qui sont décédés lors d’opérations militaires et de combats pendant le conflit. Cette initiative humanitaire a été réitérée lors des négociations pour la paix à La Havane […].

 

Les 29 corps étaient issus d’un important groupe de 2 292 guérilléros supposés qui avaient été enterrés dans cinq cimetières situés dans les Plaines orientales. Parmi eux, 830 corps ont été complètement identifiés par le bureau du procureur général et le service médico‑légal. La première restitution a concerné les familles qui avaient été retrouvées par les autorités dans les Plaines orientales.

 

Discussion

 

I. Qualification de la situation et droit applicable

 

1. Comment qualifieriez‑vous la situation de l’époque en Colombie entre le gouvernement et les FARC ? Pourquoi ? Le niveau d’organisation de chaque partie est‑il un critère pertinent à prendre en compte pour qualifier la situation ? Si oui, à quel point les parties sont‑elles organisées ? Quelles règles du DIH sont applicables ? (CG I‑IV, art. 3 ; PA II, art. 1).

2. S’il y a eu un conflit armé, a-t-il pris fin ? Pourquoi ? Quand un conflit armé non international prend‑il fin ? Certaines obligations prévues par le DIH continuent‑elles de s’appliquer après la fin du conflit ? S’agit-il uniquement de celles visées à l’article 2, par. 2 du PA II ?

 

II. Obligations relatives aux personnes disparues et décédées

3. En vertu du DIH, quelles obligations incombent aux parties au conflit à l’égard des personnes disparues ? Des personnes décédées ? Que signifie la formulation « chaque fois que les circonstances le permettront » à l’article 8 du PA II ? Quelles mesures ont été prises par le gouvernement colombien et les FARC‑EP en ce sens ? (PA II, art. 8 ; DIHC, règle 98, règles 112–117)

4. Quels sont les droits dont bénéficient les familles de disparus ? Dans ce cas précis, à quel point ces droits sont-ils défendus dans les négociations et dans l’accord entre les parties ? (PA II, art. 8 ; DIHC, règle 117 ; Convention des Nations Unies sur les disparitions forcées)

 

III. Éléments contribuant au respect du DIH

5. (Document B) Quelle est la raison principale de la conclusion d’un accord entre les FARC et le gouvernement colombien ? (Document A) Quel est l’objectif énoncé par les parties ? Qui sont les premiers bénéficiaires d’un tel accord ? En quoi la recherche de personnes disparues peut‑elle contribuer au processus de paix dans son ensemble ? Pourquoi ?

6. Pourquoi les parties au conflit ont‑elles accepté l’assistance du CICR pour conclure cet accord ? Quel a été le rôle du CICR ? Quel est le fondement juridique sur lequel s’appuie le CICR pour mener ses activités dans le pays ?

7. Dans le cas présent, les deux parties souhaitent que les familles de personnes disparues participent activement à la recherche, l’identification et la restitution digne des dépouilles. Selon vous, pourquoi cette participation est-elle si importante ?

8. Quels sont les facteurs qui, selon vous, ont contribué à la mise en place d’un système efficace pour rechercher et échanger les corps de personnes disparues ? Dans quelle mesure la coopération entre les parties au conflit est‑elle nécessaire en ce sens ? La coopération entre les organisations internationales et non internationales ? La participation de la société civile ?