Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :
Les parties au conflit doivent autoriser et faciliter le passage rapide et sans encombre de secours humanitaires destinés aux personnes civiles dans le besoin, de caractère impartial et fournis sans aucune distinction de caractère défavorable, sous réserve de leur droit de contrôle.
Les parties au conflit doivent assurer au personnel de secours autorisé la liberté de déplacement essentielle à l’exercice de ses fonctions.
Les enfants touchés par les conflits armés ont droit à un respect et à une protection particuliers.
Résumé du cas d’étude
Entre 1980 et 1992, un conflit armé a opposé le gouvernement du Salvador et le Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN), un groupe armé non étatique. Dès 1984, les conséquences des combats sur les services de santé ont engendré une crise sanitaire : le pronostic vital de plus de 40 pourcents des enfants vivant dans des régions affectées par le conflit était engagé à cause de maladies qui auraient pu être évitées, en raison de l’impossibilité d’accéder aux structures médicales pour des soins de santé de routine.
Alertés de la crise par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et des représentants religieux, le gouvernement et le FMLN ont suspendu la conduite des hostilités à des dates déterminées, afin de faciliter la campagne de vaccination nationale à destination des enfants.
Respect du DIH : les points à retenir
- Reconnaissant que le conflit contribuait à augmenter la mortalité infantile et convaincus que les enfants méritent une protection spéciale, les deux parties au conflit ont trouvé un accord pour cesser les combats à des dates déterminées au cours de l’année 1985 pour faciliter l’organisation de 3 jours de vaccination nationale.
- Avec l’appui de représentants religieux, les deux parties ont expliqué l’importance du programme de vaccination à leurs commandants sur le terrain, qui ont donné l’instruction à leurs troupes de respecter le cessez-le-feu.
- Afin de s’assurer qu’à échelle nationale, toutes les familles étaient informées de cette mesure, le président du Salvador a lui-même lancé une vaste campagne de communication, conduite avec le soutien de chefs religieux et d’organisations tant nationales qu’internationales.
- Les jours venus, les deux parties ont honoré leur engagement, permettant aux enfants et aux équipes de soin de se rendre en toute sécurité sur les lieux de vaccination. Les équipes médicales, les volontaires et les membres du FMLN ont supervisé les vaccinations. Au total, 720 000 enfants de moins de cinq ans ont pu être vaccinés.
Ce cas pratique a été élaboré par Laszlo Aust et June Goens, étudiants en droit (LL.M.) à l’université de Leiden, sous la supervision du professeur Robert Heinsch et de Ashley Peltier, avec la contribution de All Arshova (chercheur principal), Emma Persson, James Patrick Sexton et Eliza Walsh (directeurs de recherche junior), du Kalshoven-Gieskes Forum de l’université de Leiden.
A.LE SALVADOR ET LE FMLN COOPÈRENT SUR LA CAMPAGNE DE VACCINATION
[Source : UNICEF, « America’s Partnership With UNICEF : A report to the United States on the impact of its contribution to UNICEF from 1985 to 1995 », mars 1997, p. 17, [traduction CICR], disponible sur : https://pdf.usaid.gov/pdf_docs/Pcaaa843.pdf]
[…] Lors de notre prochaine visite, nous sommes amenés à rencontrer les personnes qui ont participé aux programmes pour la survie de l’enfant pendant la guerre. Premièrement, nous parlons avec l’évêque Gregorio Rosa Chavez. L’évêque Chavez a dialogué avec l’UNICEF, le gouvernement et le FMLN pour qu’un cessez-le-feu soit mis en place pendant la guerre afin de vacciner les enfants. […]
L’évêque nous explique qu’au Salvador, « les enfants favorisent la paix, puisque trois fois par an, depuis 1985, la guerre s’arrête pour les enfants. […] ».
« […] Les deux parties ont d’abord pensé que cela donnerait l’avantage au camp ennemi. Mais après avoir examiné la proposition qui avait été faite, elles ont donné leur accord, car les enfants sont des victimes de la guerre et ont un droit à la vie. » Dans quelles conditions vivaient les enfants au Salvador à l’époque ? « Dans les zones de guerre, plus de 43 pour cent des enfants mourraient de maladies qui auraient pu être évitées ; dans certaines régions, ce chiffre était encore plus élevé. » […]
[Source : Ciro A de Quadros and Daniel Epstein, « Health as a bridge for peace: PAHO’s experience », The Lancet Supplement, volume 360, décembre 2002, pp. 25-26, [traduction CICR], disponible sur : https://www.thelancet.com/pdfs/journals/lancet/PIIS0140-6736(02)11808-3.pdf]
[…] Au Salvador, à l’apogée de la guerre civile nationale, les négociations ont permis de mettre en place des trêves d’une journée pour vacciner les enfants contre la polio et d’autres maladies, notamment la diphtérie, la coqueluche, le tétanos et la rougeole. […]
Il a fallu plusieurs mois et d’intenses discussions pour que ces « jours de répit » soient mis en place pour vacciner les enfants. Les représentants de la guérilla ont eu un compte-rendu détaillé sur toutes les questions relatives au programme de vaccination, sur l’éradication de la polio et sur l’importance de la coopération de tous les acteurs dans ce processus. Ces informations ont ensuite été transmises aux commandants de la guérilla sur le terrain, afin qu’ils puissent évaluer la situation et décider s’il convenait ou non d’accorder un cessez-le-feu. Fort heureusement, un accord fut trouvé et les programmes furent mis en place. […]
Pendant ces journées de vaccination, près de 20 000 personnes – personnel de santé, volontaires, membres des forces armées de la guérilla – ont participé à la campagne de vaccination.
B. DES CAMPAGNES DE VACCINATION MENÉES EN FÉVRIER, MARS ET AVRIL 1985
[Source : Maggie Black (dir.), « Shots of a Peaceful Kind », in UNICEF at 40 : UNICEF News, numéro 123, 1986, p. 40 [traduction CICR], disponible sur : https://www.unicef.org/documents/unicef-40-years]
Sur trois dimanches – le 3 février, le 3 mars, le 21 avril 1985 – les forces militaires et rebelles du Salvador ont observé une trêve pour les enfants. Les combats ont cessé, de façon à ce que chaque mère, ou qu’elle vive et qu’elle habite dans une zone contrôlée par le gouvernement ou les rebelles, puisse emmener faire vacciner son enfant en toute sécurité.
La campagne de vaccination massive contre six maladies infantiles – la diphtérie, la coqueluche, le tétanos, la tuberculose, la rougeole et la polio, a été soutenue par le président José Napoleon Duarte. Ses instructions aux troupes gouvernementales de ne pas ouvrir le feu ont fait suite à la garantie donnée par l’archevêque Rivera y Damas que le commandement de la guérilla ferait de même pendant ces « jours de répit ».
L’idée d’organiser une campagne de vaccination a été trouvée à la suite d’une réunion qui s’est tenue au bureau du Secrétaire général des Nations Unies, Javier Perez de Cuellar, en juillet 1984, en présence du président Duarte et de James Grant, le directeur exécutif d’UNICEF. Grant avait souligné que la survie des enfants et la santé constituent l’une des rares causes qui bénéficient d’un soutien si unanime qu’elles pourraient même suspendre une guerre civile. […]
Dans les semaines précédant le début de la campagne, les dates de la vaccination ont été annoncées par des affiches et des brochures papier. Même les tickets de loterie affichaient le logo de la campagne et le slogan suivant : « prevenir es… vacunar » (« prévenir, c’est vacciner »). Des milliers d’annonces publicitaires ont été diffusées dans les journaux et à la radio et les prêtres en parlaient à leur congrégations tous les dimanches, ainsi que du devoir parental de « prévenir par la vaccination ». La plus grande difficulté a été de s’assurer que chaque personne, même les habitants des villages les plus reculés ou des zones déchirées par la guerre, avait bien été informée de la mise en place de « jours de répit ». […]
C’est le président Duarte en personne qui a lancé la campagne à la télévision, depuis le palais présidentiel, en tenant dans ses bras le premier jeune candidat à la vaccination. À ses côtés se trouvait James Grant et le docteur Carlyle Guerrade Macedo, directeur de l’Organisation panaméricaine de la santé. Le docteur Macedo a déclaré : « Nous avons espoir que cette expérience, par laquelle la santé des enfants peut être un pont vers la paix, pourra être reproduite dans toute l’Amérique centrale ». Le président Duarte a ensuite visité plusieurs centres de santé afin de voir comment se déroulait la campagne. À la fin de la journée, il a affirmé qu’aucune action militaire n’était venue perturber les vaccinations. Tout le monde a salué ce « jour de paix, ce jour d’espoir ». […]
Lors de cette première « journée », 217 000 enfants âgés de moins de cinq ans – soit un peu plus de la moitié des enfants de cette tranche d’âge – ont été vaccinés. […]
Cette [deuxième] « journée » s’est avérée être la plus productive de toutes : 265 000 enfants ont été vaccinés. Lors de la troisième journée, on comptait 241 000 enfants au total. […]
« Cette réconciliation pour le progrès et le bien commun est une preuve évidente de l’engagement du Salvador vers un avenir positif et est digne d’inspiration pour le reste du monde » a écrit Javier Perez de Cuellar, dans une lettre adressée au président Duarte.
C. LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE SOUTIENT LA CAMPAGNE DE VACCINATION DU SALVADOR ET DU FMLN
[Source : Programme élargi de vaccination (PEV) de l’Organisation panaméricaine de la santé, « Bulletin du PEV : le Salvador accélère le PEV », vol. 7, n° 2, avril 1985, pp. 1-2, [traduction CICR], disponible sur : https://iris.paho.org/bitstream/handle/10665.2/45355/sne0702.pdf?sequence=1&isAllowed=y]
[…] Le succès des Journées nationales de vaccination a nécessité la coopération d’organisations nationales et internationales, tous groupes politiques confondus. Les forces gouvernementales et les forces de gauche de la guérilla ont suspendu les hostilités pendant les Journées de vaccination afin de permettre au personnel de santé du Comité international de la Croix-Rouge de pénétrer dans les zones de conflit. Dans chaque centre de vaccination, pas un seul incident ne s’est produit, selon la presse nationale.
L’église catholique a joué un rôle déterminant pour convaincre les parties de suspendre les hostilités pendant les deux jours de vaccination. Elle a aussi joué un rôle très important pour sensibiliser les populations en parlant de la nécessité de se faire vacciner pendant les offices du dimanche.
Sur 2 132 centres de vaccination, plus de 6 000 personnes, personnel de santé et volontaires, qui avaient bénéficié d’une courte formation, ont rapidement et efficacement pris en charge les populations qui patientaient dans de longues files d’attente. Ils ont administré les vaccins aux groupes d’individus de la tranche d’âge ciblée et avaient mis à disposition des doses du vaccin contre le tétanos pour toutes les femmes en âge de procréer afin de tenter de réduire les cas de tétanos néonatal. […]
L’objectif à long-terme des Journées nationales de vaccination est de réduire la morbidité et la mortalité chez la population infantile et d’encourager le public à utiliser les services de vaccination de routine. […]
L’UNICEF, l’Organisation panaméricaine de la santé, l’Agence des États-Unis pour le développement international, Rotary International et le gouvernement d’Espagne, entre autres, ont fourni des équipements et un soutien logistique pour cette campagne de vaccination en fournissant des vaccins, des seringues, en dispensant des formations techniques et administratives au personnel, des équipes de maintenance pour la chaine du froid, des documents papiers et un appui technique sur la communication de grande ampleur nécessaire à la tenue de cet évènement. […]
Discussion
l. Qualification de la situation et droit applicable
1. Comment qualifieriez-vous la situation au Salvador quand la campagne de vaccination a commencé en 1985 ? De quelles informations supplémentaires auriez-vous besoin pour procéder à une telle qualification ? (CG I-IV, art. 2, art. 3 ; PA I, art. 1 ; PA II, art. 1)
2. Quelles sont les règles du droit international humanitaire (DIH) applicables aux secours humanitaires ? Ces règles s’appliquent-elles dans les conflits armés internationaux comme dans les conflits armés non internationaux ? Aux États comme aux acteurs non-étatiques ? (CG IV, art. 23 ; PA I, art. 70 ; PA II, art. 18 ; DIHC, règles 55 et 56)
ll. Secours humanitaires
3. En vertu du DIH, à qui incombe l’obligation de faciliter l’accès à la population civile aux fins d’assurer des secours humanitaires ? Ces acteurs sont-ils obligés de faciliter l’accès à la population civile en raison d’une campagne de vaccination ? (PA II, art. 18 ; DIHC, règles 55 et 56).
4. Sous quelles conditions les organisations humanitaires peuvent-elles fournir une aide humanitaire aux civils ? Pour accéder à son territoire, les acteurs humanitaires doivent-ils avoir le consentement de l’État concerné ? Les organisations humanitaires auraient-elles pu mener cette campagne de vaccination sans le consentement de l’État du Salvador ? (PA II, art. 18 ; DIHC, règles 55 et 56)
5. En plus de la protection dont bénéficie la population civile en général, quelles « protections spéciales » sont garanties aux enfants au titre du DIH ? Ces protections spécifiques facilitent-elles l’accès aux enfants pour les secours humanitaires ? (PA I, art. 4 ; DIHC, règle 135)
lll. Éléments contribuant au respect du DIH
6. (Document B) Pourquoi une campagne ciblant les enfants pourrait-elle bénéficier « d’un soutien si unanime qu’ell[e] pourrai[t] même suspendre une guerre civile » ? Selon vous, pourquoi des actions de secours ciblant en particulier les enfants peuvent-elles encourager les parties à des conflits armés à respecter le DIH ?
7. (Document A, Sources 1 et 2 ; Document B) Dans les situations dans lesquelles il existe à la fois un conflit armé en cours et une crise de santé publique, pensez-vous que les parties pourraient être particulièrement disposées à garantir l’accès aux populations aux secours humanitaires ? Dans quelle mesure le fait d’éliminer des maladies infectieuses, telles que la polio ou la COVID-19, par exemple, peut-il conduire les parties à prendre la décision de faire cesser les hostilités afin de faciliter l’accès humanitaire ?
8. (Document B) « C’est le président Duarte en personne qui a lancé la campagne à la télévision, depuis le palais présidentiel, en tenant dans ses bras le premier jeune candidat à la vaccination ». En quoi cette apparition télévisée a-t-elle pu influencer la la position du président Duarte et de son gouvernement dans l’opinion publique ? En général, pensez-vous que l’opinion publique puisse encourager les parties à respecter le DIH ?
9. (Document A, Source 1 ; Document B ; Document C) Comment des acteur extérieurs, tels que des organisations nationales ou internationales et des représentants religieux, peuvent-ils encourager les parties à respecter le DIH ?