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Activités de déminage en Colombie : 2015–2016

Dispositions du DIH

Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :


Il est interdit d’employer des moyens ou des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus.

Lorsque des mines terrestres sont employées, des précautions particulières doivent être prises afin de réduire au minimum leurs effets indiscriminés.

Une partie au conflit qui emploie des mines terrestres doit, dans toute la mesure possible, enregistrer leur emplacement.

Après la cessation des hostilités actives, une partie au conflit qui a employé des mines terrestres doit les enlever ou les neutraliser d’une autre manière afin qu’elles ne puissent porter atteinte à des civils, ou faciliter leur enlèvement.

Résumé du cas d’étude

Après cinquante ans de conflit entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du Peuple (FARC-AP), un groupe armé non étatique, des pans entiers du territoire colombien ont été contaminés par les mines. Ces dernières ont causé un grand nombre de morts, de blessés et de déplacements et, dans certaines zones, cela a entravé l’accès à l’éducation et aux services de santé.

Les parties ont entamé des négociations de paix en 2012 et ont trouvé un accord final en novembre 2016. Entre mai 2015 et novembre 2016, pour renforcer le processus de paix, les parties ont travaillé conjointement pour déminer les terres de deux communautés. Dans un effort coordonné et soutenu par des acteurs internationaux, les membres des FARC-EP ont localisé l’emplacement des mines, puis le gouvernement colombien les a neutralisées. Ce projet a non seulement rétabli la sécurité dans ces régions historiquement isolées, mais il a également amélioré les relations entre les populations et le gouvernement, en améliorant les infrastructures locales et les avantages socio-économiques.

Respect du DIH : les points à retenir

  1. En mars 2015, le gouvernement colombien et les FARC-EP ont convenu de lutter conjointement contre les mines. Cette mesure visait à instaurer un climat de confiance dans le cadre du processus de paix.
  2. Les deux parties ont convenu de tester le projet dans les villages d’El Orejón et Santa Helena, où la contamination par les mines était élevée. Des membres des FARC-EP, des représentants institutionnels et des membres du personnel militaire colombien ont travaillé ensemble pour coordonner les activités sur le terrain. Des équipes conjointes ont évalué la situation dans les zones affectées, en coopération avec les autorités locales et l’organisation Norwegian People’s Aid. D’anciens soldats des FARC-EP se sont appuyés sur les informations dont ils avaient connaissance s’agissant des lieux où les mines avaient été enfouies et le gouvernement a apporté une expertise technique et du matériel pour procéder au déminage. Des dispositifs ont été établi pour faire le suivi des progrès réalisés et informer les populations, permettant ainsi d’instaurer un climat de confiance.
  3. Au total, les équipes ont déminé près de 40 000 m2 de terres et ont détruit 67 mines antipersonnel, rétablissant ainsi la sécurité au sein des communautés.

Ce cas d’étude a été élaboré par Emma Persson, James Patrick Sexton et Shaya Javadinia, étudiants en droit (LL.M.) à l’université de Leiden, sous la supervision du professeur Robert Heinsch, Alla Ershova (chercheuse principale) et Ashley Peltier (chercheuse) du Kalshoven-Gieskes Forum de l’université de Leiden.

 

A.   LA COLOMBIE ET LES FARC TROUVENT UN ACCORD POUR DÉMINER DES ZONES RURALES

[Source : International Crisis Group, « Demining the Path to Peace in Colombia », 10 mars 2015, [traduction CICR] disponible sur : https://www.crisisgroup.org/latin-america-caribbean/andes/colombia/demining-path-peace-colombia, consulté le 15 mars 2023]

 

Le 7 mars, des représentants de l’État colombien et des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) participant aux négociations ont annoncé qu’une action conjointe serait conduite afin de déminer le territoire. Après deux ans et demi de négociations dans la capitale cubaine de la Havane et trois accords-cadres prévus à l’ordre du jour, il s’agit du premier accord ayant directement un impact sur le terrain. Il prévoit de fournir l’assistance humanitaire dont le pays a besoin depuis longtemps et constitue une réelle avancée en Colombie pour faire cesser le carnage qui dure depuis cinquante ans.
 

S’agissant des mines, la Colombie fait partie des pays les plus contaminés au monde. Depuis que l’utilisation des mines est devenue systématique dans les guérillas au début des années 1990, ces engins ont tué ou blessé près de 11 000 personnes, en majorité des membres des forces de sécurité. Les mines antipersonnel représentent désormais une menace dans plus de 700 municipalités colombiennes sur les 1 100 qui composent le pays. Elles sont une des causes du déplacement de près de 6 millions de Colombiens. Dans les zones les plus affectées, tels que le sud du département de Putumayo, la contamination par les mines empêche les populations d’accéder à l’éducation, les services de santé et les commerces locaux.
 

Dans une déclaration conjointe, le gouvernement et les FARC ont annoncé qu’ils cibleraient dans un premier temps un certain nombre de territoires test où le danger que présentent les mines antipersonnel, les engins explosifs improvisés (EEI), les munitions non explosées (UXO) ou les restes explosifs de guerre (REG), est le plus élevé. Norwegian Peoples’s Aid, une organisation non gouvernementale (ONG) humanitaire, réalisera par la suite une enquête pour identifier les zones les plus contaminées par les engins explosifs. Ce défi est particulièrement difficile à relever en Colombie, car les mines sont souvent disséminées sur une large partie des territoires concernés, sans avoir été enfouies selon un tracé régulier. Le pays manque également souvent de cartographies précises. Une fois les opérations de déminage terminées, les autorités locales et les populations pourront reprendre le contrôle des territoires décontaminés.
 

[…]

 

B.    UN PROJET CONJOINT DE DÉMINAGE

[Source : Commission européenne, instrument européen contribuant à la Stabilité et à la Paix (IcSP), « Making Colombia Safe Again : Demining Mountain Communities », mars 2017, [traduction CICR] disponible sur :               https://fpi.ec.europa.eu/system/files/2018-09/colombia-showcase-final_0_0.pdf]

 

Les acteurs locaux prennent les devants
 

Le projet a été conduit dans deux villages isolés, qui étaient au cœur des hostilités : El Orejón, dans le département d’Antioquia et Santa Helena, dans le département du Meta. Les terres sur lesquelles vivent les populations de ces villages font partie des plus contaminées du pays et un grand nombre de personnes ont été tuées ou blessées par les mines antipersonnel et d’autres engins non explosés.
 

La première activité a consisté à coopérer pour produire un examen de la situation sur le terrain. Lors de cette phase d’examen à El Orejón et Santa Helena, les populations ont apporté leur aide pour localiser les mines antipersonnel. Cela a permis à l’équipe en charge du projet de rencontrer les autorités locales, afin d’instaurer un climat de confiance politique pour mener à bien cette opération.
 

Des représentants du gouvernement, des soldats colombiens et des membres des FARC ont ensuite coopéré pour identifier et neutraliser les mines. Cet effort conjoint a été d’une importance capitale. Le fait de conjuguer l’action de l’État et son expertise technique à celle d’anciens soldats des FARC, qui savaient où les mines avaient été posées, s’est avérée indispensable. Outre le fait de neutraliser physiquement les mines, le projet a permis de mettre en place des programmes de sensibilisation pour prévenir les accidents et établir un système de marquage des autres zones dangereuses, dans le cadre d’actions futures. Le projet a inclus les populations par le dialogue et prévoyait des dispositifs de contrôle pour superviser les opérations.

 

Un environnement plus sûr pour les populations
 

Concrètement, l’objectif était de garantir un environnement sûr aux habitants et cet objectif a été rempli avec succès. El Orejón, avec ses 80 habitants répartis dans 25 familles, était considéré comme le village le plus sévèrement contaminé par les mines antipersonnel et les engins non explosés. Pendant la phase test de mise en œuvre du projet, onze zones dangereuses ont été identifiées.

 Pendant la première phase du projet en 2015, quatre zones ont été examinées par l’équipe en charge de l’enquête non technique, sur une superficie de 13 007 m2. Une zone s’étendant sur 14 713 m2 a été déminée et 33 mines antipersonnel ont été retrouvées et détruites. Des panneaux de marquage ont également été posés sur une superficie de 42 000 m2.  Cette zone a été classée en zone soupçonnée dangereuse (ZSD) lorsque les populations locales ont indiqué que les FARC y conduisaient régulièrement des actions, mais aucune preuve factuelle de la présence d’engins explosifs n’a pu être apportée. Pendant la phase 2, en 2016, six zones représentant une superficie de 4022 m2 au total ont été identifiées et une surface de 5136 m2 a été déminée. 14 mines antipersonnel ont été retrouvées et détruites.

À Santa Helena, un village de 100 habitants, sept zones ont été identifiées comme des ZSD. Lors de la phase d’enquête technique, les opérations ont été annulées dans une zone en raison du manque de preuves de contamination. Des panneaux de marquage des mines ont été placés dans deux zones considérées comme des ZSD et quatre autres zones d’une superficie de 20 874 m2 ont été déminées. 20 mines ont été retrouvées et détruites.
 

Au total, 67 mines ont été enlevées durant la phase test des projets.

 

[…]

 

Le projet a aussi permis à la population d’accroitre ses connaissances sur les mines et d’apaiser les relations entre les locaux et les institutions de l’État. Ces dernières ont commencé à fournir une assistance socio-économique aux victimes et à améliorer les systèmes de santé, d’éducation et les infrastructures dans ces territoires historiquement isolés.
 

Dans le village d’El Orejón, Eugenia Holguín joue un rôle important au niveau local. Elle préside une association communautaire locale et a affirmé que le projet a eu un fort impact. « Cela a changé El Orejón. Nous avons pu avoir une vraie école. L’ancienne école avait été abandonnée et les gens avaient peur. Mais désormais, nous avons une nouvelle école et un nouveau centre communautaire ».

[…]

  

C.  OUVRIR LA VOIE À UNE PAIX DURABLE

[Source : Commission européenne, instrument européen contribuant à la Stabilité et à la Paix (IcSP), « Making Colombia Safe Again : Demining Mountain Communities », mars 2017, [traduction CICR] disponible sur :               https://fpi.ec.europa.eu/system/files/2018-09/colombia-showcase-final_0_0.pdf]


[…]
 

[Le projet] a permis de susciter, tant chez les représentants locaux des FARC que chez les représentants de l’État, une réelle volonté de travailler ensemble. Cela est primordial pour voir aboutir les négociations pour la paix. Ils sont passés des paroles aux actes : sur le terrain, des structures ont été créées pour coordonner la mise en œuvre du projet. Des membres des FARC, des représentants de l’État et des soldats ont appris à vivre et à travailler ensemble.
 

[…]
 

Ils portaient tous le même uniforme et entretenaient de bonnes relations avec les FARC. Comme l’ont affirmé les membres de l’équipe technique : « Nous célébrions les anniversaires et les jours importants, tous ensemble. Si l’un de nous tombait malade, nous prenions tous [soin de lui] ».
 

« On avait même une équipe de football. Nous n’étions plus des membres des FARC ou des représentants de l’État, nous étions ensemble. Cela s’est immédiatement vu à Cuba, sur le plan politique ».
 

[…]
 

Le projet constituait une manière efficace pour l’État colombien d’établir le contact avec des populations qui se considéraient comme abandonnées. Et après la phase de déminage, d’autres institutions de l’État ont commencé à faire des propositions pour lancer des projets relatifs aux soins médicaux, à l’éducation et aux infrastructures.
 

Cette opération a également été une réussite d’un point de vue technique. Elle a permis d’établir de nouvelles normes en Colombie, en particulier concernant l’utilisation de techniques de déminage mécaniques, le développement de normes environnementales et les procédures à mettre en place en cas d’évacuation médicale. Le directeur du projet, Sergio Bueno, a affirmé que cette réussite était incontestable.
 

« Les projets test à El Orejón et Santa Helena ont montré que les activités de déminage constituent l’un des moyens les plus efficaces pour parvenir à la paix. Elles ont aidé les experts du déminage sur le plan opérationnel, mais elles ont aussi renforcé la cohésion sociale. »
 

Le déminage en Colombie montre que les populations peuvent se défaire de l’héritage d’un terrible conflit qui a semé la division. Il reste à espérer que d’autres pays puissent suivre cet exemple remarquable.
 

[…]

 

[Source : La Patria, « En el Orejón viven libres de minas antipersonal », 2 décembre 2016, [traduction CICR] disponible sur : https://archivo.lapatria.com/nacional/en-el-orejon-viven-libres-de-minas-antipersonal-337685]


[…]
 

"Hoy poder entregar unos polígonos descontaminados nos llena de alegría y da un mensaje al país de que la paz en los territorios en las comunidades, en las regiones, va tomando fuerza. (...) Y Orejón fue como la metáfora de la esperanza en el proceso de paz", dijo alias Pastor Alape, plenipotenciario de las Farc.[1]


[...]


Discussion

I. Qualification de la situation et droit applicable 

1. Comment qualifieriez-vous la situation entre les FARC-AP et la Colombie à cette période ? Le fait que les FARC-AP sont un acteur non étatique a-t-il une influence sur cette qualification ? (CG I-IV, art. 2, art. 3 ; PA I, art. 1 ; PA II, art. 1)

2. Quelles sont les règles du DIH qui énoncent des obligations relatives aux mines antipersonnel ? Ces règles s’appliquaient-elles de la même manière à la Colombie et aux FARC-AP ? (CAC, art. 1 ; Protocole II à la CAC tel que modifié, art. 1 ; Convention d’Ottawa, art. 1, art. 5 ; DIHC, Règle 70, 81, 82, 83).

II. Opérations de déminage
 

3.  La Colombie est-elle tenue d’enlever les mines antipersonnel à Santa Helena et El Orejón ? Est-il important de savoir qui les a enfouies et où elles ont été posées ? (Convention d’Ottawa, art. 5 ; Protocole II à la Convention sur les armes classiques (CAC) tel que modifié, art. 3, art. 10, DIHC, Règle 83)

4. Les FARC-AP sont-elles tenues d’enlever les mines ? Ont-elles moins d’obligations que l’État colombien ? Si oui, qu’est-ce qui différencie les obligations leur incombant et celles incombant à l’État colombien ? (DIHC, Règle 83 ; Protocole II à la CAC, tel que modifié, art. 1, art. 3, par 2, art. 10)

5. Contrairement à sa version modifiée, la première version du Protocole II à la CAC ne s’applique pas aux acteurs non étatiques tels que les FARC-AP. Pourquoi le DIH s’est-il développé de manière à s’appliquer aux acteurs non-étatiques ? (Protocole II à la CAC, art. 1, Protocole II à la CAC tel que modifié, art. 1)

6. L’article 10, par. 4 du Protocole II à la CAC tel que modifié exige des parties à un conflit qu’elles « s’efforcent de conclure un accord » entre elles, avec l’assistance technique et matérielle de la communauté internationale, sur des opérations de déminage. Selon vous, les parties ont-elles respecté cette condition dans ce contexte ? Pourquoi ce Protocole encourage-t-il explicitement l’assistance technique et matérielle de la communauté internationale ? (Protocole II à la CAC tel que modifié, art. 10)
    

III. Éléments contribuant au respect du DIH

7. (Document C) D’après vous, pourquoi les FARC-AP et l’État colombien ont-ils considéré la question du déminage comme une façon de commencer le processus de paix ? En quoi les opérations de déminage favorisent-elles la coopération ? La coopération sur les opérations de déminage constitue-elle un moyen efficace d’instaurer la confiance entre les parties ?

8. (Documents B et C) Selon vous, quels avantages l’enlèvement des mines représentent-ils pour les acteurs non étatiques ? Pensez-vous qu’une des motivations des FARC-AP pour participer aux opérations de déminage soient d’aider ses membres à se réintégrer dans la société ?

 

 

[1] Traduction CICR Paris : « Aujourd’hui, le fait d’avoir la possibilité de réhabiliter des terres décontaminées nous remplit de joie et envoie un message au pays : la paix gagne du terrain dans les territoires, les communautés, les régions […] et Orejón est un symbole d’espoir pour le processus de paix », a déclaré, sous son nom d’emprunt, le Prêtre Alape, un plénipotentiaire des FARC.