Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :
Les parties au conflit doivent faire la distinction entre civils et combattants. Les attaques ne peuvent être dirigées que contre des combattants ou des objectifs militaires (principe de distinction).
Les attaques sans discrimination sont interdites, de même que les attaques dont on peut attendre qu’elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu.
Les opérations militaires doivent être conduites en veillant constamment à épargner la population civile, les personnes civiles et les biens de caractère civil. Toutes les précautions pratiquement possibles doivent être prises en vue d’éviter et, en tout cas, de réduire au minimum les pertes en vies humaines dans la population civile, les blessures aux personnes civiles et les dommages aux biens de caractère civil, notamment quant au choix des moyens et méthodes de guerre (principe de précautions dans l’attaque).
Les États et les parties au conflit doivent dispenser une instruction en DIH à leurs forces armées.
Résumé du cas d’étude
La Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) a été déployée en Somalie en 2007 pour aider le gouvernement somalien à combattre al-Chabab, un groupe armé non étatique. L’AMISOM est mandatée par les Nations Unies et la protection des populations civiles est au cœur de sa mission. Lorsque les opérations menées par l’AMISOM ont causé des pertes en vies humaines dans la population civile, la force a été sévèrement critiquée.
Consciente de son obligation de protéger les populations civiles et reconnaissant qu’échouer à protéger les populations nuisait à sa mission, l’AMISOM a mis en œuvre une politique relative aux tirs indirects, prévoyant d’améliorer la planification dans le choix des cibles et de restreindre l’emploi d’armes indiscriminées. En appliquant ces mesures, l’AMISOM a réussi à réduire les dommages causés dans la population civile somalienne.
Respect du DIH : les points à retenir
- En 2010, l’AMISOM a élaboré une politique relative aux tirs indirects visant à réduire les dommages causés aux civils. Les mesures suivantes ont été mises en œuvre :
- avertir les populations avant de lancer une offensive planifiée
- créer une zone de sécurité pour protéger les infrastructures de caractère civil telles que les hôpitaux, les écoles, les zones résidentielles, les lieux de culte et les camps de personnes déplacées
- améliorer la planification des cibles avant l’attaque, notamment en évaluant les dommages collatéraux attendus, en ajoutant une checklist pour s’assurer que le DIH était respecté et en utilisant des drones pour observer les habitudes de vie des populations, afin de mieux faire la distinction entre les mouvements des populations civiles et ceux des combattants.
- éviter d’attaquer les positions d’artillerie et de mortier ennemies dans les zones densément peuplées
- déployer des armes à tirs indirects uniquement dans les zones partiellement peuplées et restreindre l’usage de tirs de roquettes et d’artillerie spécifiques pour atténuer leur effet indiscriminé
- examiner les précédentes opérations et intégrer des enseignements à tirer pour des formations futures.
- L’AMISOM a continué de former ses troupes sur le DIH et le droit international des droits de l’homme avant leur déploiement et a sanctionné les soldats qui enfreignaient ces règles.
Ce cas pratique a été élaboré par Andreas Piperides, Haya Omari, Naomi Smith, Cécile Lecolle, Sunethra Sathyanarayanan et Clémence Volle-Marvaldi, étudiants en droit (LL.M.) à l’université de Leiden, sous la supervision du professeur Robert Heinsch ainsi que de Sofia Poulopoulou et de Daniel Møgster (chercheuse doctorante/chercheur), du Kalshoven-Gieskes Forum de l’université de Leiden.
A. RÈGLES ET PROCÉDURES INSTITUÉES PAR L’AMISOM POUR LIMITER LES DOMMAGES COLLATÉRAUX
Source : Ambassadeur Boubacar Gaoussou Diarra, « Improving Protection of Civilians in African Union Peace Operations », 5 juillet 2011, [traduction CICR] disponible sur : https : //www.newtimes.co.rw/section/read/32729]
Depuis 2003, l’Union Africaine (UA) a déployé plusieurs opérations de soutien de la paix afin d’aider à résoudre les conflits dans de nombreux pays à travers le continent. […]
L’AMISOM, mandatée par les Nations Unies pour soutenir le processus de paix somalien et les institutions impliquées, est donc tenue de respecter le droit international et reconnaît la protection des civils comme une obligation tacite. […]
Elle a donc élaboré des règles d’engagement et des procédures opérationnelles permanentes afin de limiter les dommages collatéraux dans la population civile tout en protégeant la vie des membres de ses forces. […]
L’AMISOM a notamment pris des mesures drastiques pour réduire le risque de dommages causés incidemment aux civils avec des armes à tir indirect, telles que les roquettes, les mortiers et d’autres armes d’artillerie. En règle générale, les forces de l’AMISOM ne procèdent pas à des tirs de contrebatterie visant les positions d’artillerie et de mortier des extrémistes lorsque ces dernières se situent dans des zones densément peuplées. De plus, elles restreignent globalement leur utilisation de tirs, même sur des zones dépeuplées qui représentent un risque peu élevé de dommages collatéraux. […]
Ces règles et procédures sont constamment révisées pour qu’elles restent adaptées à la réalité du terrain, mais toujours dans l’objectif de renforcer la protection des civils. Ainsi, ses soldats sont formés aux différents aspects du droit international humanitaire et des droits de l’homme, avant leur déploiement.
S’il s’avère que des soldats ont agi sans respecter les règles applicables, la mission reconnaîtra l’incident en question, s’en excusera et prendra des mesures disciplinaires, parmi lesquelles l’emprisonnement des soldats incriminés.
[…]
B. L’AMISOM AFFINE SA POLITIQUE RELATIVE À L’UTILISATION D’ARMES À TIR INDIRECT
[Source : OCHA, « Reducing the humanitarian impact of the use of explosive weapons in populated areas, compilation of military policy and practice », 19 octobre 2017, p. 25, [traduction CICR] disponible sur : https://reliefweb.int/report/world/compilation-military-policy-and-practice-reducing-humanitarian-impact-use-explosive]
[…]
Politique de l’AMISOM relative aux tirs indirects
La mission de l’Union Africaine en Somalie (AMISOM) a été déployée à Mogadiscio en mars 2007. En 2010, l'inquiétude croissante concernant les victimes civiles causées par l’utilisation d’armes à tir indirect et la prise de conscience que ceci nuisait à l’AMISOM et à la réussite de ses opérations, ont mené l’AMISOM à mettre en œuvre un certain nombre d’actions pour y remédier, dont une nouvelle politique relative à l’utilisation d’armes à tir indirect. Si cette politique devait permettre à l’AMISOM de mieux remplir ses obligations au regard du DIH, elle démontrait également […] que les dommages collatéraux au sein de la population civile pouvaient compromettre la mission et les objectifs politiques à long terme.
La politique relative aux tirs indirects s’organise en trois étapes : éviter, attribuer et rectifier :
• À chaque fois que cela est possible, l’AMISOM évite d’utiliser des armes à tir indirect qui peuvent causer des victimes civiles [CIVCAS], à moins que ce tir indirect ne vise un objectif militaire par légitime défense absolue. Les armes à tir indirect seront utilisées uniquement pour protéger la population civile dans le cas où il existe un objectif militaire clairement identifié et si l’avantage militaire à gagner est très fortement supérieur au risque de nuire à la population civile.
• Lorsque des tirs indirects sont signalés, l’AMISOM doit en attribuer la responsabilité — détecter l’origine du tir indirect, le mettre en lien avec les registres relatifs à l’utilisation d’armes à tir indirect de l’AMISOM et présenter rapidement des excuses publiques si elle en est responsable ; réfuter l’allégation en rendant compte de son utilisation des armes de manière détaillée ; ou attribuer la responsabilité aux forces adverses en se fondant sur des preuves issues des services de renseignement, de rapports et d’autres preuves.
• Rectifier sa stratégie en cas de dommages causés incidemment aux civils par L’AMISOM, en reconnaissant les pertes civiles et en apportant une assistance immédiate aux personnes blessées, en détresse ou autrement affectées par les opérations de l’AMISOM, notamment par le biais d’armes à tir indirect.
En ce qui concerne l’étape consistant à « éviter », cette politique met en exergue un certain nombre de mesures à mettre en œuvre, notamment :
• Améliorer la compétence des renseignements afin d’être en mesure de fournir une analyse des frappes antérieures qui soit plus à même d’anticiper les actions futures de manière à ce que les points chauds et les techniques soient identifiés, pour conduire des opérations qui perturbent l’ensemble de l’organisation des forces rebelles avant même que l’attaque n’ait lieu.
• Veiller à ce que les outils cartographiques soient toujours à jour et que les lieux suivants soient identifiés comme des zones de sécurité sur les cartes : les hôpitaux, les écoles, les zones résidentielles, les marchés, les lieux de cultes et les camps de personnes déplacées internes.
• Donner un avertissement avant de lancer l’offensive, dans la mesure du possible.
• Perturber et bloquer la position des armes à tir indirect utilisées par les rebelles et qui ciblent les lignes de front de l’AMISOM par le biais d’opérations tactiques qui dégagent le terrain, maintiennent les positions militaires et permettent de garder le contrôle de la situation par l’observation et les tirs. Les armes à tir direct, telles que les fusils de tir à longue distance et de gros calibre, peuvent permettre d’agir de manière rapide et précise, avec moins de risque de causer des dommages collatéraux qu’avec des armes à tir indirect.
• Éviter les tirs indirects dirigés contre des rassemblements publics. Les rassemblements publics qui ne représentent pas une menace pour les opérations de l’AMISOM doivent être considérés comme des zones de sécurité temporaires.
• Introduire de nouvelles procédures de ciblage, détaillant les types d’objectifs à cibler et les conséquences à prévoir, et fournir des exemples de listes de contrôle pour le choix des objectifs afin de veiller à ce que les critères du DIH soient respectés avant de conduire des opérations.
• Restreindre l’utilisation du lance-missiles de 107 mm. Cette arme peut être utilisée pour disperser des groupes rebelles en position d’attaque, ce qui peut donner lieu à des tirs ponctuels, dont les effets peuvent être enregistrés avant les tirs suivants. Ce lance-missiles ne peut être utilisé en salve, sous aucune circonstance.
• S’appuyer sur des outils de support permettant d’estimer les dommages collatéraux (CDE) afin d’être en mesure d’évaluer le risque encouru par la population civile.
• Conduire des revues après action (AAR) après une attaque, afin d’en tirer des leçons et d’améliorer les formations.
[…]
C. LIMITER LES DOMMAGES COLLATÉRAUX DANS LES ZONES DENSÉMENT PEUPLÉES : LES ENSEIGNEMENTS À TIRER DES POLITIQUES MISES EN PLACE PAR L’AMISOM
[Source : Sahr Muhammedally, « Minimizing civilian harm in populated areas: Lessons from examining ISAF and AMISOM policies », Revue international de la Croix-Rouge, vol. 98 (1), n° 901, pp. 239-240, [traduction CICR] disponible sur : https : //www.icrc.org/en/international-review/article/minimizing-civilian-harm-populated-areas-lessons-examining-isaf-and]
[…] La politique relative aux tirs indirects reflète l’intention de l’AMISOM de limiter les dommages collatéraux en changeant ses politiques, ses règles d’engagement et sa gestion des dommages causés incidemment aux civils. Cette politique relative aux tirs indirects énonce, en propos introductif :
« Gagner l'adhésion du peuple est le principe directeur pour la planification et la conduite de toutes nos opérations. Limiter les dommages collatéraux doit être un principe directeur pour la planification et la conduite de nos opérations et constitue en outre un impératif humanitaire sur lequel nous sommes tous d’accord ».
[…]
Parmi les autres mesures prises par l’AMISOM, on peut citer la création de zones de sécurité autour des hôpitaux, des zones résidentielles, des marchés, des lieux de culte, des camps pour les personnes déplacées internes et la restriction sur l’utilisation de roquettes de 107 mm. Ces mesures témoignent avec justesse des difficultés rencontrées pour limiter les dommages collatéraux lorsqu’il s’agit d’armes explosives à large champ d’action. Les tirs de contrebatterie ont été restreints aux « zones dépeuplées » afin de limiter les dommages collatéraux. La politique relative aux tirs indirects a recommandé de procéder à une estimation des dommages collatéraux avant le recours aux armes, de mettre en place une formation de rappel sur l’utilisation de ces armes à destination du personnel militaire impliqué dans l’utilisation des tirs indirects et d’établir des revues après action à la suite d’une frappe pour tirer des enseignements et améliorer les formations. Elle a également recommandé de favoriser l’usage de véhicule aérien sans pilote (UAV ou « drones ») afin de pouvoir identifier la présence de vies humaines pour mieux respecter le principe de distinction, enfin, elle a encouragé la création d’une cellule de suivi des victimes civiles (CCTC). […]
D. L’AMISOM ET LA PROTECTION DES CIVILS EN SOMALIE
[Source : Walter Lotze and Yvonne Kasumba, « AMISOM and the Protection of Civilians in Somalia », Conflict Trends, n° 2, 2012, 23, [traduction CICR] disponible sur : http://www.accord.org.za/publication/conflict-trends-2012-2/]
[…]
Prenant note des préoccupations du Secrétaire général et des mesures entreprises par l’UA et l’AMISOM pour donner la priorité à la protection des civils dans les opérations de la mission, le Conseil de Sécurité, par sa résolution 2010 de septembre 2011, s’est félicité des progrès réalisés par l’AMISOM pour réduire le nombre de victimes civiles durant ses opérations. Il a, de plus, demandé à la mission de poursuivre ses efforts pour prévenir les dommages causés incidemment aux civils et pour instaurer une méthode efficace qui assure une protection aux civils.
À la fin de l’année 2011, ces mesures ont commencé à entrer en vigueur. Les Nations Unies et les organisations non gouvernementales ont indiqué que la politique relative aux tirs indirects donnait des résultats et que le nombre de bombardements indiscriminés à Mogadiscio étaient en baisse.
[…] L’adoption de la politique relative aux tirs indirects par l’AMISOM constitue un progrès positif qui a certainement contribué à la réduction des pertes civiles. […]
Discussion
I. Qualification de la situation et droit applicable
1. Comment qualifieriez-vous la situation en Somalie en 2011 ? S’agissait-il d’un conflit armé ? Si oui, quelles étaient les parties au conflit ? De quelles informations supplémentaires auriez-vous besoin pour procéder à une telle qualification ? L’AMISOM est-elle tenue de respecter le DIH ? (CG I-IV, art. 3 ; PA II, art. 1)
II. Politique relative aux tirs indirects
2. Quelle est la valeur juridique de la politique relative aux tirs indirects de l’AMISOM ? Remplace-t-elle le cadre juridique du DIH qui peut être applicable aux opérations militaires de l’AMISOM ?
3. Comment le DIH protège-t-il la population des conséquences des hostilités ? Quels principes et règles du DIH sont applicables aux sujets traités dans le document de l’AMISOM définissant sa politique relative aux tirs indirects ? Comment sont interprétés les principes de distinction, de proportionnalité et de précaution au regard du DIH ? (PA I, art. 35, 43, 48, 50, 51, 52, 57, 58 ; PA II, art. 13 ; DIHC, règles 1, 7, 11, 14, 15, 17)
4. Quel est l’objectif des revues après action (AAR) ? Le DIH prévoit-il l’obligation d’identifier les tendances en termes de pertes civiles causées par des opérations antérieures et de s'appuyer sur les conclusions obtenues pour les futurs programmes de formation ? (PA I, art 83, 87 ; PA II, art. 19 ; DIHC, règle 142)
5. Les parties au conflit doivent-elles enquêter sur les situations dans lesquelles le DIH n’a pas été respecté par leurs membres et de les tenir responsables pour de tels actes ? (PA I, art. 85 ; DIHC, règle 151)
III. Éléments contribuant au respect du droit international humanitaire
6. (Documents B et C) Le document de l’AMISOM portant sur sa politique relative aux tirs indirects énonce que « les dommages collatéraux au sein de la population civile p[euvent] compromettre la mission et les objectifs politiques à long terme ». Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ? Pourquoi ? Selon vous, comment le non-respect du DIH peut-il affecter une partie au conflit ?
7. (Document C) Pourquoi pensez-vous qu’il est important pour l’AMISOM de « gagner l'adhésion du peuple » ? Le soutien de la population locale peut-il faciliter la réussite des objectifs de la mission ?
8. Selon vous, quel peut être le coût en termes de réputation si l’on considère qu’une force multinationale a commis des violations du droit ? De telles allégations peuvent-elles remettre en question le soutien des États qui engagent leurs forces ?
(Document D) Selon vous, la résolution du Conseil de sécurité, qui demande à la mission de poursuivre ses efforts pour prévenir les victimes civiles, influence-t-elle la politique suivie par l’AMISOM ? Dans quelle mesure la pression extérieure a-t-elle un impact sur le comportement des parties au conflit ?