Personnes tenant des fleurs et des drapeaux devant le navire turc, en attendant de réceptionner les blessés et malades qui seront soignés dans le pays.

La Türkiye évacue et soigne les blessés en Libye : 2011

Dispositions du DIH

Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :


Les parties au conflit doivent autoriser et faciliter le passage rapide et sans encombre de secours humanitaires destinés aux personnes civiles dans le besoin, sans aucune distinction de caractère défavorable, sous réserve de leur droit de contrôle.

Les parties au conflit doivent assurer au personnel de secours autorisé la liberté de déplacement essentielle à l’exercice de ses fonctions.

Chaque fois que les circonstances le permettent, et notamment après un engagement, chaque partie au conflit doit prendre sans tarder toutes les mesures possibles pour rechercher, recueillir et évacuer les blessés, les malades et les naufragés, sans distinction de caractère défavorable.

Les blessés, malades et naufragés doivent recevoir, dans toute la mesure possible et dans les délais les plus brefs, les soins médicaux qu’exige leur état. Aucune distinction fondée sur des critères autres que médicaux ne doit être faite entre eux.

Résumé du cas d’étude

En 2011, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) a conduit une opération militaire contre les forces armées libyennes. La Türkiye, membre de l’OTAN, n’a pas pris activement part aux hostilités dans le cadre de l’opération de l’OTAN, qui avait reçu des Nations Unies le mandat de protéger les populations civiles pris au piège des combats en Libye.

Dans les villes côtières de Misrata et Benghazi, d’intenses combats ont fait de nombreux blessés et la présence de structures médicales adéquates était insuffisante. En coordination avec les parties au conflit, le gouvernement turc a déployé un navire-hôpital pour évacuer les blessés graves vers la Türkiye et les hôpitaux turcs les ont pris en charge.

Respect du DIH : les points à retenir

1. Constatant la détresse des personnes blessées, prises au piège de villes assiégées, le gouvernement turc a déployé un navire-hôpital vers la Libye, avec une équipe composée de 15 médecins à son bord ainsi que le matériel nécessaire pour assurer l’évacuation et la prise en charge des blessés.

2. En accord avec les parties libyennes au conflit, le gouvernement turc a pu assurer un cessez-le-feu de 12 heures pour assurer que le bateau puisse s’amarrer en toute sécurité. Douze avions turcs de combat et une frégate ont assuré une protection militaire pour sécuriser le passage du navire, à l’aller et au retour vers la Türkiye.

3. Conformément à ce qui avait été décidé, les parties libyennes ont autorisé le bateau turc à évacuer des centaines de blessés des villes de Misrata et Benghazi.

4. L’équipe médicale à bord a dispensé des soins d’urgence aux blessés et, à l’arrivée du navire en Türkiye, les autorités turques et les organisations humanitaires ont rapidement transféré les blessés vers des hôpitaux, pour qu’ils reçoivent des soins adaptés.

Ce cas d’étude a été élaboré par Alexandra Bernard et Dewi Alexandra Delf, étudiants en droit (LL.M.) à l’université de Leiden, sous la supervision du professeur Robert Heinsch et d’Alla Ershova (chercheuse principale) et Ashley Peltier (chercheuse), du Kalshoven-Gieskes Forum de l’université de Leiden.
 

A. LA TÜRKIYE PREND PART À L’OPÉRATION UNIFIED PROTECTOR VISANT À PROTÉGER LES CIVILS EN LIBYE

[Source : OTAN, « Operation UNIFIED PROTECTOR Protection of Civilians and Civilian-Populated Areas & Enforcement of the No-Fly Zone », octobre 2011, [traduction CICR] disponible sur :  https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/pdf_2011_10/20111005_111005-factsheet_protection_civ.pdf]


[...] Mission : le 31 mars 2011, l’OTAN a pris le commandement global des opérations militaires internationales en Libye. L’objectif de la mission de l’OTAN est de protéger les populations et les zones civiles attaquées ou menacées d’attaque.

 

[...]
 

Mandat : l’opération Unified Protector a été mise en place en vertu du Chapitre sept de la Charte des Nations Unies. Les résolutions 1970, 1973 et 2009 du Conseil de sécurité des Nations Unies [CSNU] concernent la mission de l’OTAN. La résolution 1973 du CSNU autorise les États membres à « prendre toutes mesures nécessaires » pour protéger les populations et les zones civiles attaquées ou menacées d’attaque en Libye.

 

[...]
 

Nations participant à l’opération : au 26 septembre, seize pays (Belgique, Canada, Danemark, France, Grèce, Italie, Jordanie, Pays-Bas, Norvège, Qatar, Espagne, Suède, Türkiye, Émirats arabes unis, Royaume-Uni et États-Unis) ont pris part à l’effort aérien et effectué des patrouilles aériennes de combat en soutien à l’opération. Cet effort est renforcé par l’action des avions de reconnaissance et de surveillance (AWACS) de l’OTAN.
 

[...]

B. LA TÜRKIYE ÉVACUE ET SOIGNE LES BLESSÉS EN LIBYE

[Source : gouvernement de Türkiye, « Press Release Regarding the Ankara Ferry Docked at the Misurata Port for Humanitarian Assistance », 3 avril 2011, disponible sur : https://reliefweb.int/report/libya/press-release-regarding-ankara-ferry-docked-misurata-port-humanitarian-assistance]


La Türkiye, dont la priorité est de protéger les civils, parvenir à un cessez-le-feu immédiat et garantir la délivrance effective et sans entrave de l’aide humanitaire au vu des récentes évolutions de la situation en Libye, poursuit ses activités d’assistance humanitaire au niveau national dans l’objectif d’atténuer les souffrances du peuple libyen et contribue également activement aux opérations internationales conduites à cette fin sous les auspices des Nations Unies et de l’OTAN.

 

Ces derniers jours, conformément aux directives de notre Premier Ministre, nous avons envoyé dans la région le traversier M/F Ankara, qui a été transformé en navire-hôpital afin de transporter vers la Türkiye les personnes blessées à Misrata, une ville qui a été le théâtre de violents affrontements, pour qu’elles bénéficient d’un traitement médical. Cette initiative a été mise en œuvre grâce à une étroite coordination et une coopération à haut-niveau par l’intermédiaire de notre gouvernement entre les institutions étatiques, en particulier le chef d’état-major des forces armées turques, la présidence de la gestion des catastrophes et de l’aide d’urgence du cabinet du Premier Ministre, notre ministère et le ministère de la Santé.

Afin d’assurer que le traversier Ankara accomplisse sa mission sans entrave, d’étroites consultations et une coordination ont été mises en place avec les parties en Libye par le ministre des Affaires étrangères en personne et grâce à notre réseau diplomatique en Libye.
 

[...]
 

230 personnes blessées et 60 accompagnateurs ont été pris à bord du traversier et ce dernier a quitté Misrata tard hier soir. Le traversier, qui devrait arriver à Benghazi aujourd’hui vers 17h, heure locale, prendra également à bord les personnes blessées à Benghazi qui ont urgemment besoin de soins médicaux et se rendra ensuite en Turquie.
 

[...]
 

Le traversier Ankara s’amarrera au port de Çeşme et toutes mesures nécessaires pour le transfert rapide des personnes blessées vers les hôpitaux de la région ont été prises en coordination avec le ministère de la Santé et le Croissant-Rouge turc.
 

La Türkiye poursuivra et intensifiera ses activités d’assistance humanitaire afin de soigner les blessés et d’atténuer les souffrances de nos frères libyens en ces temps difficiles.

[Source : The National News, « Turkey sends ship to rescue 230 wounded from Libya », 5 avril 2011, [traduction CICR] disponible sur : https://www.thenationalnews.com/world/europe/turkey-sends-ship-to-rescue-230-wounded-from-libya-1.428969]


[...] L’Ankara, un transbordeur de véhicules transformé en navire-hôpital, disposant d’une équipe médicale de 15 personnes à bord et de plusieurs tonnes d’équipements médicaux, s’est amarré à Misrata dimanche, selon le ministère.

 

Douze avions de combat F-16 turcs et une frégate ont assuré une protection militaire. Des membres de la police spéciale turque étaient à bord de l’Ankara pour une protection renforcée, mais n’ont pas débarqué du navire une fois à Misrata, d’après des sources diplomatiques turques.
 

Les « étroites consultations et la coordination mises en place avec les parties en Libye » ont permis de s’assurer qu’il n’y aurait pas d’affrontements dans la zone portuaire de Misrata pendant l’embarquement blessés à bord de l’Ankara, selon le ministre des Affaires étrangères. La Türkiye a assuré un cessez-le-feu de 12 heures dans la ville pour protéger « cette opération spectaculaire », d’après le journal Sabah.

[...]

[Source : CICR, Rapport d’activité 2011, mai 2012, pp. 318-320, [traduction CICR] disponible sur : https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/icrc-annual-report-2011.pdf]


[…] Les autorités turques ont mis en place une opération humanitaire de grande ampleur pour répondre à la crise en Libye, en rapatriant des milliers de ressortissants turcs qui travaillaient dans le pays et en évacuant par bateau ou avion vers la Turquie plus de 500 Libyens blessés à la suite des affrontements. La plupart des blessés ont été rapatriés après avoir été soignés dans des hôpitaux turcs.

 

[…]

 

Les Libyens blessés en raison des affrontements et évacués vers des hôpitaux turcs ont reçu la visite de délégués du CICR ; certain d’entre eux ont saisi l’opportunité de pouvoir ainsi donner des nouvelles à leurs familles restées dans le pays.

 

 [...]
 

BLESSÉS ET MALADES


Sur les 12 premiers patients libyens blessés en raison des affrontements et évacués par l’ONG turque Humanitarian Relief Foundation (IHH) vers deux hôpitaux d’Istanbul, 11 ont reçu la visite de la délégation du CICR à Ankara à la fin du mois de mars et au début du mois d’avril. À leur demande, ils ont reçu des dictionnaires arabe-turc. Certains d’entre eux ont profité de l’occasion pour donner des nouvelles à leurs familles restées en Libye, par l’intermédiaire du CICR.

 

Afin de soutenir l’effort des personnels de santé pour prendre en charge en urgence les blessés par arme à feu, 78 facultés de médecine, l’Association turque de chirurgie et d’autres acteurs importants dans ce domaine ont reçu 350 copies et 300 CD de la version en langue turque du manuel sur la chirurgie de guerre du CICR.
 

[...]
 

Grâce à l’action du IHH et du CICR, les visites aux patients libyens blessés par arme à feu dans les hôpitaux turcs (voir Blessés et malades) ont permis d’instaurer un dialogue sur des sujets d’intérêt réciproque.
 

[...]
 

MOUVEMENT DE LA CROIX-ROUGE ET DU CROISSANT-ROUGE

Le Croissant-Rouge turc a joué un rôle important pour prêter secours aux victimes des conflits armés en Libye et en Somalie.
 

[...]
 

C. LA TÜRKIYE ROMPT SES RELATIONS DIPLOMATIQUES AVEC LA LIBYE

[Source : Ministère des Affaires étrangères de la République de Turquie, « Speech Delivered by H.E. Prime Minister Recep Tayyip Erdoğan on Libya », 7 avril 2011, [traduction CICR] disponible sur : http://www.mfa.gov.tr/speech-delievered-by-h_e_-prime-minister-recep-tayyip-erdogan-on-libya-_ankara_-7-april-2011_.en.mfa, accessed on 31 January 2021]


[…] En premier lieu, je dois faire part de notre profonde préoccupation et de notre désolation face aux souffrances et au calvaire qu’endurent nos frères libyens en ces temps difficiles.

 

Comme je l’ai rappelé à maintes occasions, les peuples turc et libyens entretiennent des liens profonds de fraternité et à ceci s’ajoute le fait que nos deux pays partagent une histoire et une culture communes.
 

Suite aux récentes évolutions de la situation en Libye, la Turquie a réagi immédiatement, de la manière la plus éclairée, et a considéré les évènements sous un angle humanitaire ainsi qu’à la lumière de ces liens de fraternité.
 

Puisque la Turquie n’est jamais restée indifférente aux difficultés rencontrées dans sa région ou dans le monde, elle n’a pas détourné le regard face aux souffrances de ses frères et a tenté de se positionner de manière responsable, en accord avec ses valeurs.
 

[…]
 

Je veux le réaffirmer une fois encore : En agissant de cette manière, nous n’avons pas d’intentions cachées. Notre unique objectif est de garantir l’unité et le bien-être de la Libye.
 

Pour nous, une seule goutte de sang libyen versée a plus de valeur que des puits de pétrole à plusieurs millions de dollars. Où qu’ils se trouvent en Libye, la vie et les droits de tous nos frères libyens et de chacun d’entre eux, passent avant toutes les considérations opportunistes, c’est ainsi que cela devrait être.
 

[...]
 

Notre peuple se tiendra toujours du côté du peuple libyen fraternel et nous travaillerons ensemble avec nos frères libyens pour construire la Libye future.
 

[…]
 

Discussion

I. Qualification de la situation et droit applicable

1. Comment qualifieriez-vous la situation en Libye en 2011 ? De quelles informations supplémentaires auriez-vous besoin pour procéder à une telle qualification ? (CG I-IV, art. 2 ; art. 3, PA I, art. 1 ; PA II, art. 1)
 

2. Quelles règles étaient applicables aux forces armées turques pendant l’opération Unified Protector ? (CG I-IV, art. 2, art. 3 ; CG I, art. 15 : CG IV, art. 16 ; DIHC, Règles 109 et 110)

 

II. Évacuation et traitement des blessés

3. Comment le DIH protège-il les blessés et les malades ? Les blessés et les malades ont-ils droit aux mêmes protections dans les conflits armés internationaux et les conflits armés non internationaux ? Les obligations incombant aux parties au conflit sont-elles différentes en fonction de la qualification du conflit ? (CG I-IV, art. 3 ; CG IV, art. 16 ; PA I, art. 10 ; PA II, art. 7, art. 8 ; DIHC, Règles 109 et 110)
 

4. (Document B, source 3) Les parties à un conflit armé sont-elles tenues d’autoriser l’accès des organisations humanitaires aux blessés et aux malades ? Leurs obligations en ce sens sont-elles identiques dans les conflits armés internationaux et les conflits armés non internationaux ? Ces visites humanitaires permettent-elles de renforcer le dialogue entre les parties au conflit et les organisations humanitaires ? (PA I, art. 70 et 71 ; DIHC, Règles 55 et 56)
 

5. Le DIH autorise-t-il les parties à faire passer en priorité l’évacuation et le traitement de certains blessés en se fondant sur des critères tels que la nationalité, ou cette distinction est-elle prohibée par le DIH ? (DIHC, Règle 110).
 

III. Éléments contribuant au respect du DIH

6. (Document A) La résolution 1973 du Conseil de Sécurité des Nations Unies autorise les États à prendre toutes mesures nécessaires pour « protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque ». Dans quelle mesure, selon vous, les pressions extérieures de la communauté internationale ont-elles contribué à générer le respect du DIH ?
 

7. (Document C) Pensez-vous que les liens étroits qui existent entre la Libye et la Türkiye aient encouragé la Türkiye à respecter le DIH ? Selon vous, d’autres éléments ont-ils pu influencer la décision de la Türkiye d’évacuer les blessés ?