Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :
Chaque fois que les circonstances le permettent, chaque partie au conflit doit prendre sans tarder toutes les mesures possibles pour rechercher, recueillir et évacuer les morts, sans distinction de caractère défavorable.
Les parties au conflit doivent s’efforcer de faciliter le retour des restes des personnes décédées, à la demande de la partie à laquelle ils appartiennent ou à la demande de leur famille.
Les morts doivent être inhumés de manière respectueuse, et leurs tombes doivent être respectées et dûment entretenues.
Afin de permettre l’identification des morts, chaque partie au conflit doit enregistrer toutes les informations disponibles avant l’inhumation, et marquer l’emplacement des sépultures.
Chaque partie au conflit doit prendre toutes les mesures pratiquement possibles pour élucider le sort des personnes portées disparues par suite d’un conflit armé, et doit transmettre aux membres de leur famille toutes les informations dont elle dispose à leur sujet.
Résumé du cas d’étude
Entre 1991 et 1995, le conflit armé en ex-Yougoslavie a entrainé la disparition de milliers de personnes, ce qui a engendré d’importantes souffrances pour leurs familles.
Avec le soutien des familles des personnes portées disparues et des organisations offrant leurs services (c’est-à-dire le CICR et la Commission internationale pour les personnes disparues), les autorités croates sont parvenues à déterminer ce qu’il était advenu de la majorité des personnes disparues sur le territoire de la République de Croatie en raison du conflit. Ces activités de recherche, conformes au DIH, ont pu contribuer à soigner certains des traumas causés par le conflit.
Respect du DIH : les points à retenir
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À la suite des opérations militaires croates en 1995, les autorités croates ont récupéré des morts, prenant soin de photographier, recenser et enterrer les dépouilles de manière appropriée.
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Par la suite, les autorités croates ont pris de nombreuses mesures pour élucider le sort des personnes disparues, parmi lesquelles :
- La création d’une commission et d’un ministère pour élucider le sort des personnes disparues en coopérant avec les familles, les gouvernements concernés et les organisations compétentes
- La création d’une base de données numérique rassemblant toutes les données importantes
- En 2014, la reconnaissance officielle de la responsabilité de l’État pour répondre au problème des disparus, responsabilité que d’autres parties au conflit ont également reconnue
- Entre 1995 et 2016, les autorités croates ont exhumé 5 077 corps, dont 4 163 ont été identifiés.
Ce cas d’étude a été élaboré par Jasmine Nicolson et Adinda van de Walle, étudiantes en droit (LL.M.) à l’université de Leiden, sous la supervision du professeur Robert Heinsch ainsi que de Sofia Poulopoulou (chercheuse et doctorante), Johanna Trittenbach et Mahan Charmshir (assistants chercheurs), du Kalshoven-Gieskes Forum à l’université de Leiden et Abdul Aziz, Ana Paula Vargas Rodrigues, Bethania Godinho, Mozna Abumery, et Sarawut Theerakul, étudiants du Master Action humanitaire internationale (NOHA), à l’Institut de droit international en temps de paix et de conflit armé (IFHV) de la Ruhr-Universität de Bochum, sous la supervision du professeur Robert Heinsch et du Dr. Valentina Azarova.
A. PROJET CONJOINT RELATIF À L’IDENFICATION PAR L’ADN ENTRE LA CROATIE ET LA COMMISSION INTERNATIONALE POUR LES PERSONNES DISPARUES
[Source : Commission internationale pour les personnes disparues (ICMP), Joint Project on DNA-led Identifications between the Ministry of the Family, Veterans' Affairs and Intergenerational Solidarity of the Republic of Croatia and the International Commission on Missing Persons, novembre 2004, [traduction CICR] disponible sur : https://www.icmp.int/wp-content/uploads/2004/11/join-project-icmp-roc-for-the-web.pdf]
1. CONTEXTE
La question des personnes disparues depuis le dernier conflit armé continue de causer bien des tourments pour les membres des familles de disparus, autant qu’elle empêche la société de se tourner vers son avenir. Partant de ce postulat, la Commission internationale pour les personnes disparues (ci-après « ICMP ») et le Ministère de la famille, des anciens combattants et de la solidarité intergénérationnelle du gouvernement de la République de Croatie (ci-après « le Ministère »), s’engageront à mettre en œuvre un Projet conjoint afin de résoudre un nombre croissant d’affaires de disparitions issues des récents conflits.
Le Projet conjoint entre le Ministère et l’ICMP vise à prendre des mesures pour identifier les dépouilles mortelles des personnes disparues à la suite des conflits armés qui se sont déroulés dans les pays créés sur le territoire de l’ex-Yougoslavie.
[...]
2. OBJECTIF
Le projet a pour objectif de résoudre conjointement les très nombreux cas de disparition en utilisant une méthode d’identification fondée sur l’ADN. Le projet suppose qu’un échange approprié de marqueurs STR ait lieu entre le Ministère et l’ICMP (ci-après, « les parties »), car ceux-ci sont nécessaires pour résoudre les affaires de disparition, en tentant de produire des rapports d’ADN qui mèneront dans un second temps à des identifications. L’échange de données permettra une utilisation partagée des logiciels de comparaison de l’ADN créés par l’ICMP. L’ICMP a en effet autorisé le Ministère à y accéder et a également donné son accord pour dispenser des formations afin d’en maitriser l’usage. Le Projet conjoint prévoit également une grande quantité d’échantillons de sang pour des tests ADN […].
B. MISSION DU GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES SUR LES DISPARITIONS FORCÉES OU INVOLONTAIRES EN CROATIE
[Source : Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Rapport du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, missions en Croatie, par. 15, 21-24, 33-34, 37-38, 17 août 2015, [traduction CICR] disponible sur : https://undocs.org/fr/A/HRC/30/38/Add.3]
[…]
15. […] Le Groupe de travail a accueilli avec enthousiasme la signature, le 29 août 2014, de la Déclaration relative au rôle de l’État pour remédier au problème des personnes portées disparues à la suite de conflits armés et de violations des droits de l’homme par la Bosnie Herzégovine, la Croatie, le Monténégro et la Serbie. La Déclaration souligne également que la recherche de la vérité sur le sort des personnes disparues passe nécessairement par une coopération entre les gouvernements et les organisations internationales ainsi que les autres organisations. […]
[...]
21. le gouvernement de Croatie a créé une Commission relative aux détenus et aux personnes portées disparues, qui a vocation à être une commission d’expertise et consultative à échelle interdépartementale et rattachée au gouvernement croate, qui soumet des avis, des propositions et des explications scientifiques sur des questions relatives aux personnes disparues.
[…]
22. La direction chargée des détenus et des personnes portées disparues du Ministère des anciens combattants est en charge de recueillir des renseignements sur toutes les personnes qui ont disparu pendant la guerre. Elle effectue toutes les tâches d’expertise et administratives prévues dans le cadre de la recherche des personnes disparues, notamment les exhumations et l’identification des restes humains. […]
23. La direction chargée des détenus et des personnes portées disparues est aussi en charge des inhumations des victimes identifiées, conformément aux volontés des familles (type de cérémonie souhaité, ainsi que l’endroit et la date où elle doit avoir lieu). La direction coopère avec toutes les institutions étatiques, les organisations internationales et les associations issues de la société civile qui travaillent sur la question des personnes portées disparues.
24. Des disparitions forcées ont eu lieu sur le territoire de la République de Croatie, en particulier au tout début et à la toute fin du conflit. Alors qu’une majorité de victimes croates avaient disparu en 1991, les victimes serbes, quant à elles, avaient pour la plupart disparu en 1995, pendant les opérations militaires Éclair et Tempête. Selon les informations du Ministère des anciens combattants, 18 000 individus ont disparu en 1991 et 1 226 personnes supplémentaires ont disparu en 1995.
[...]
33. Le Groupe de travail note que des progrès significatifs ont été réalisés lors du processus d’exhumation et d’identification des personnes portées disparues. Depuis 1995, 148 fosses communes et 1 200 tombes individuelles ont été identifiées par les autorités croates. Des restes humains de victimes du conflit ont également été retrouvés sur 14 sites funéraires enregistrés. À la suite des opérations militaires Éclair et Tempête, les autorités croates ont recueilli toutes les dépouilles des personnes décédées sur les zones touchées. Les restes humains ont été photographiés, enregistrés et enterrés dans un cimetière ou à proximité, conformément aux dispositions des Conventions de Genève relatives à la protection des victimes de conflits armés internationaux, de même que celles de leurs Protocoles additionnels.
34. Avant la date prévue de la visite du Groupe de travail, un total de 4 942 corps avait été exhumé, dont 3 979 avaient été identifiés. Ceci comprend les restes de 1 007 individus qui ont été exhumés de sites funéraires enregistrés depuis 2001, sous la supervision de la direction chargée des détenus et des personnes portées disparues. Le Groupe de travail note que 80,5% des corps exhumés ont été identifiés (85% des disparus en 1991 et 1992 et 62% des disparus depuis 1995). Le taux d’identification pour les cas de disparition datant de 1995 est plus bas, sans doute car les proches des personnes portées disparues en 1995 ne vivent pas en Croatie et par conséquent, n’ont peut-être pas été en mesure de donner des échantillons de sang pour alimenter les bases de données dédiées à la recherche des disparus et administrées par les autorités croates. [...]
[…]
37. Le Groupe de travail note que les familles et les représentants des institutions en charge de la recherche de personnes disparues en République de Serbie et de Bosnie-Herzégovine ont été invités à assister aux exhumations, s’ils considéraient que leur présence pouvait contribuer à élucider le sort des personnes disparues, puisque le destin de ces dernières est, d’une manière ou d’une autre, associé à ces pays. La Croix-Rouge croate a également joué un rôle essentiel dans le processus de recherche des disparus, de leur exhumation et de leur identification au sein de la République de Croatie.
38. Le Groupe de travail note qu’une base de données numérique relative aux personnes disparues et qui contient toutes les informations importantes les concernant, notamment les informations ante-mortem, a été créée.
[…]
C. IDENTIFIER LES PERSONNES DISPARUES : 1995-2016
[Source : ICMP, « Missing Persons from the Conflict in Croatia », février 2017, [traduction CICR] disponible sur : https://www.icmp.int/news/missing-persons-from-the-conflict-in-croatia]
[…]
Le rôle de l’ICMP pour identifier les disparus à la suite du conflit armé en Croatie a consisté à assurer qu’une méthode impartiale et non discriminatoire soit mise en place, de manière à ce que les personnes disparues soient recherchées et identifiées sans prendre en compte un quelconque critère ethnique, de nationalité ou de religion et indépendamment du rôle de la victime, qu’elle ait été combattant ou civil, ou de son allégeance. L’ICMP a par ailleurs encouragé les autorités croates à utiliser des méthodes médico-légales avancées, notamment les tests ADN et les systèmes de centralisation des données, qui constituent un moyen efficace d’identifier les disparus et de protéger les droits des familles qui leur ont survécu.
[…]
Selon la direction chargée des détenus et des personnes portées disparues, plus de 6 000 personnes ont été identifiées à la suite du conflit de 1991 à 1995 en Croatie. La direction a déclaré qu’entre 1995 et décembre 1996, 5 077 corps ont été exhumés et 4 163 ont été identifiés.
[…]
La coopération avec l’ICMP
[…] L’ICMP a soutenu la Croatie dans ses efforts pour identifier les corps, notamment par des dons, l’offre d’une expertise, un soutien aux groupes de victimes et la gestion des exhumations. L’ICMP a également fait don d’un fluoroscope en 1999, d’équipements nécessaire au traitement de l’ADN en 2000 et a offert une aide financière pour la rénovation du laboratoire de recherche ADN à Zagreb en 2001. L’ICMP a également dispensé des formations pour améliorer les techniques opératoires dans trois laboratoires de recherche ADN en Croatie. […]
D. LE LIVRE DES PERSONNES DISPARUES SUR LE TERRITOIRE CROATE
[Source : CICR, « Book of Missing Persons on the Territory of the Republic of Croatia 4th Edition », mai 2015, [traduction CICR], disponible sur : https://familylinks.icrc.org/croatia/en/Pages/background-information.aspx]
[...]
Le problème des personnes portées disparues pendant le conflit dans la République de Croatie constitue l’une des plus importantes questions humanitaires qui découlent du conflit. Le sort de la majorité des personnes qui ont été portées disparues sur le territoire de la République de Croatie a été élucidé, grâce au travail de représentants des autorités institutionnelles, sous les auspices de l’administration en charge des détenus et des disparus, rattachée au Ministère des anciens combattants, du Comité international de la Croix-Rouge, du service de traçage de la Croix-Rouge croate et de nombreuses autres Sociétés nationales et d’autres partenaires du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Toutefois, un certain nombre de familles n’a toujours pas pu bénéficier de ses droits humains et humanitaires fondamentaux : le droit de connaitre la vérité sur ce qu’il est advenu de leur proche.
Le Livre des personnes disparues sur le territoire de la République de Croatie est publié dans l’objectif d’assister les membres des familles de personnes disparues, pour qu’ils jouissent de leur droit de savoir ce qu’il est advenu de leurs proches disparus. Le Livre encourage aussi les lecteurs à contribuer au processus de recherche et d’enquête sur le sort des personnes disparues, en faisant part de leurs découvertes et des informations en leur possession. Le livre cherche également à sensibiliser la société sur la persistance de ce problème, qui entrave inlassablement toute tentative de surmonter les traumatismes de la guerre. Le livre est enfin un outil utile au processus de recherche, qui est la preuve concrète d’un engagement permanent et d’efforts fournis par les institutions compétentes et les organisations internationales et humanitaires, dont la volonté est de mettre un terme au problème des personnes disparues.
[...]
Discussion
I. Qualification de la situation et droit applicable
1. Comment qualifieriez-vous la situation en Croatie entre 1991-1992 et 1995 ? S’agissait-il d’un conflit armé ? Si oui, qui étaient les parties au conflit ? De quelles informations supplémentaires auriez-vous besoin pour procéder à une telle qualification ? (CG I-IV, art. 2, 3 ; PA I, art. 1 ; PA II, art. 1)
II. Élucider le sort des personnes disparues et identifier les personnes décédées
2. Quelles sont les obligations que doivent remplir les parties au conflit concernant la recherche des personnes disparues ? (PA I, art. 33)
3. Quels sont les droits dont bénéficient les familles des personnes disparues en vertu du DIH ? Ont-elles le droit de connaitre le sort de leur membre ? (PA I, art. 32 ; DIHC, règle 117)
4. Quelles sont les obligations que doivent remplir les États concernant les morts ? Où les restes des personnes décédées doivent-ils être déposés ? À qui doivent-ils être retournés ? Ces règles sont-elles également applicables aux conflits armés non internationaux ? (CG I, art. 15, 16, 17 ; CG III, art. 120 ; CG IV, art. 16, 129, 130 ; PA I, art. 34 ; PA II, art. 8 ; DIHC, règles 112 à 116)
5. La nationalité d’une personne disparue constitue-elle un critère pertinent à prendre en compte en vertu du DIH ? Les Serbes qui ont été portés disparus sur le territoire de Croatie peuvent-ils être considérés comme des personnes protégées en vertu de la Quatrième Convention de Genève ? L’ethnicité peut-elle remplacer le critère de nationalité ? (CG IV, art. 4)
III. Éléments contribuant au respect du DIH
6. (Documents A, B, D) De quelle manière les familles peuvent-elles jouer un rôle important pour élucider le sort des personnes disparues ? Pourquoi est-il si essentiel que les familles aient accès aux renseignements recueillis sur les disparus ? En quoi la pression exercée par les familles influence-t-elle l’action des autorités ?
7.(Document D) Quel est l’intérêt du travail de sensibilisation sur la question des disparus dans la société ? En quoi les affaires de disparition non résolues constituent-elles une entrave à toute tentative de surmonter les « traumatismes de la guerre » ? S’agit-il également d’un facteur qui incite les États à agir dans le respect du DIH ?
8. (Document B) Quel rôle joue le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires pour s’assurer que la Croatie respecte ses obligations à l’égard des personnes disparues ? Cela peut-il encourager la Croatie à prendre des mesures pour retrouver et identifier les restes des personnes décédées ?
9. (Document B) Quelle est l’importance de la Déclaration signée par la Croatie ? Est-il notable que cette Déclaration ait aussi été signée par la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Serbie ? Est-il important que les États démontrent leur engagement à prendre des mesures et à se conformer à leurs obligations internationales sous la forme d’une déclaration ?
10. (Document A, C) Quel soutien l’ICMP offre-t-elle à la Croatie ? Selon vous, comment ce soutien a-t-il encouragé la Croatie à lancer des recherches pour retrouver les personnes disparues ?
11. (Document D) Quels avantages représente la coopération entre la Croatie et la Croix-Rouge croate ? En quoi le Livre des personnes disparues contribue-t-il à répondre à ce problème ?