Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :
Le meurtre est interdit.
La torture, les traitements cruels ou inhumains et les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, sont interdits.
La privation arbitraire de liberté est interdite.
La vie de famille doit être respectée dans toute la mesure possible.
Les disparitions forcées sont interdites.
Chaque partie au conflit doit prendre toutes les mesures pratiquement possibles pour élucider le sort des personnes portées disparues par suite d’un conflit armé, et doit transmettre aux membres de leur famille toutes les informations dont elle dispose à leur sujet.
Les données personnelles des personnes privées de liberté doivent être enregistrées.
Résumé du cas d’étude
Le conflit entre le gouvernement népalais et le Parti Communiste du Népal (maoïste) (PCN-M) a duré 10 ans et a pris fin en 2006. Pendant le conflit, de nombreuses personnes ont été arrêtées et un grand nombre de disparitions forcées ont été signalées.
En 2014, le Népal a adopté une loi sur la vérité et la réconciliation, qui a établi une Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée.
Pendant le confit et depuis la fin des hostilités, la Cour Suprême du Népal a joué un rôle important pour s’assurer que le Népal respecte le DIH, en rendant des décisions historiques sur le motif de la détention et sur la légalité des amnisties. Elle a également appelé le gouvernement à enquêter sur les allégations de disparitions forcées.
Respect du DIH : les points à retenir
-
Pendant le conflit, la Cour Suprême a ordonné à plusieurs reprises aux forces de sécurité compétentes d’autoriser les détenus à comparaitre devant un tribunal afin de faire la lumière sur la légalité de leur détention.
- Après la cessation des hostilités, en juin 2007, la Cour Suprême du Népal a rendu des décisions dans de nombreuses affaires de disparition forcée et s’est prononcée sur près de 80 affaires dans lesquelles la légalité du motif de la détention des personnes emprisonnées pouvait être remise en cause. La Cour a également ordonné au gouvernement népalais :
- d’établir une commission d’enquête pour enquêter sur les allégations de disparitions forcées, conformément aux règles du droit international
- de prendre des mesures contre les membres des forces de sécurité faisant l’objet de poursuites pour avoir contribué à des disparitions forcées
- d’adopter une législation pour pénaliser les disparitions forcées, conformément à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
- En 2015, la Cour Suprême a abrogé une disposition de la loi sur la création d’une Commission de vérité et réconciliation (2014) qui permettait d’accorder une amnistie aux auteurs de violations des droits de l’homme.
Ce cas d’étude de cas a été élaboré par Pierpaolo Castiglioni, Yiota Constantinidi, Fiammetta Ferioli, étudiants en droit (L.L.M.) à l’université de Rome III, sous la direction de Giulio Bartolini (professeur) et Tommaso Natoli (assistant de recherche), de la clinique juridique de DIH de l’université de Rome III ; avec la participation de Jemma Arman et Isabelle Gallino, étudiantes en droit (L.L.M.) à l’Académie de Genève.
A. NÉPAL : LA COUR SUPRÊME ORDONNE DE FAIRE TOUTE LA LUMIÈRE SUR LES CAS DE « DISPARITIONS »
[Source : « Nepal: Supreme Court Orders Action on 'Disappearances' », 15 juin 2007, Human Rights Watch, [traduction CICR] disponible sur : https://www.hrw.org/news/2007/06/15/nepal-supreme-court-orders-action-disappearances]
Le 1er juin, la Cour suprême a statué sur un grand nombre de cas de disparitions forcées, examiné des requêtes en habeas corpus et ordonné au gouvernement d’ouvrir immédiatement une enquête sur les allégations de disparitions forcées de 80 personnes. Elle a, en outre, ordonné au gouvernement d’enquêter sur toutes les allégations de disparitions forcées. Elle a en outre ordonné que cette Commission d’enquête soit tenue de respecter les règles internationales en matière de droits de l’homme [sic].
[…]
Human Rights Watch et la Commission internationale de Juristes ont salué cette décision de la Cour suprême.
« Avec cette décision, la Cour suprême du Népal a montré que tout appareil judiciaire peut jouer un rôle important pour garantir le respect des règles du droit et des principes internationaux des droits de l’homme, même dans un pays sortant tout juste d’un conflit » a déclaré Wilder Tyler, secrétaire-général adjoint de la Commission internationale de juristes. « Cette décision devrait servir d’exemple pour tous les autres systèmes judiciaires dans le monde qui s’efforcent de traiter des affaires impliquant des cas de disparitions forcées ».
La Cour suprême a également ordonné au gouvernement de poursuivre les responsables de la mort de Chakra Bahadur Katuwal alors qu’il était en prison. Katuwal avait été transféré dans une caserne militaire après avoir passé une journée en garde à vue au poste de police du district de Okhaldhunga. Le jour où de son transfert, il avait ensuite été ramené au poste de police, présentant manifestement de sévères marques de torture. Il est mort le jour même. Lorsque sa famille a voulu lui rendre visite pour savoir comment il allait, elle s’est vu répondre qu’il avait été transféré dans un autre district.
La Cour suprême a également ordonné que, parallèlement aux enquêtes qui devaient être menées, le gouvernement prenne des mesures administratives à l’encontre des membres des forces de sécurité faisant l’objet d’une enquête pour leur implication dans la mort de Katuwal. La Cour a également requis la mise en place de mesures administratives conformément au rapport remis par le Groupe de travail en charge d’enquêter sur les détenus et constitué par la Cour suprême, lequel a recommandé de suspendre de leurs fonctions les personnes faisant l’objet d’une enquête suite à des affaires de disparitions forcées.
La Cour a par ailleurs ordonné au gouvernement de fournir une aide provisoire aux familles des victimes de « disparitions forcées » et ce, quelles que soient les conclusions finales de ces affaires. La Cour a également ordonné au gouvernement de prévoir une législation pour condamner les disparitions forcées et prendre en compte la nouvelle Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
[...]
B. PROTECTIONS CONSTITUTIONNELLES GARANTIES PAR LES TRIBUNAUX
[Source : « Nepal Conflict Report », 2012, Bureau du Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, pp. 153-154, [traduction CICR] disponible sur : https://www.ohchr.org/en/documents/country-reports/nepal-conflict-report]
Tel que mentionné précédemment, le droit selon lequel nul ne peut être arbitrairement détenu ne peut pas être suspendu pendant un état d’urgence déclaré. Sauf dans certains cas exceptionnels, les tribunaux népalais ont en général respecté ce droit pendant le conflit, en utilisant le mécanisme d’ordonnance d’habeas corpus ; dispositif de placement en détention préventive a été vivement contesté et souvent, cela a porté ses fruits. Néanmoins, il reste que les forces de sécurité ont fait peu preuve de diligence pour respecter ce droit et n’ont parfois pas respecté les ordonnances de remise en liberté, ou ont arrêté à nouveau un détenu lorsque les tribunaux avaient ordonné qu’il soit remis en liberté.
b) Détention préventive par ordonnance au titre de la loi népalaise sur la sécurité publique
La loi népalaise sur la sécurité publique permettait aux chefs de district de délivrer une ordonnance de détention préventive pour une période de 90 jours, renouvelable pour 90 jours supplémentaires puis à nouveau pour 180 jours (soit 12 mois au total).
[...]
Cette loi sur la sécurité publique disposait que les ordonnances délivrées par les chefs de districts pour placer des individus en détention préventive ne pouvaient faire l’objet d’un recours par un tribunal. Toutefois, les dispositions des articles de la Constitution cités précédemment prévalaient sur cette règle et il était possible de contester la légalité d’un arrêté ou d’une ordonnance devant la Cour suprême ou devant les cours d’appel.
[...]
10.4.8 Système judiciaire
La Cour suprême a joué un rôle majeur dans des affaires en lien avec les droits de l’homme et le DIH. Elle a notamment rendu des décisions concernant des requêtes en habeas corpus au titre desquelles, pendant le conflit, la Cour a ordonné à plusieurs reprises que les forces de sécurité autorisent les détenus à comparaitre devant un tribunal. Comme mentionné précédemment, en juin 2007, suite à des requêtes en habeas corpus de 83 personnes disparues, la Cour suprême a rendu une décision historique qui ordonnait au gouvernement d’établir une commission d’enquête pour enquêter sur des allégations de disparitions forcées, conformément au droit des droits de l’homme (au moment de la rédaction de ce rapport, la commission n’a pas encore été créée). En mai 2008, la Cour suprême a également rendu une décision importante prévoyant qu’en vertu de ses obligations juridiques internationales, le gouvernement népalais était tenu d’adopter une loi-cadre pour répondre aux violations des droits de l’homme en raison d’un recours excessif à la force. Les familles de 22 victimes ont demandé une assistance à la Cour Suprême et aux cours d’appel en déposant une requête en mandamus pour que la police ouvre une enquête. Néanmoins, l’efficacité de la procédure judiciaire et l’indépendance des tribunaux ont été mises à l’épreuve pour plusieurs raisons :
• Le non-respect par la police, l’armée et le PCN (Parti communiste du Népal, maoïste) des ordonnances délivrées par la Cour Suprême, qui a gravement affaibli et continue d’affaiblir l’appareil judiciaire.
• La création de systèmes de justice parallèles pendant le conflit, chaque partie au conflit contestant la légalité des tribunaux établis par l’autre partie. À l’époque où des tribunaux maoïstes étaient en place, plutôt que de s’en remettre à l’appareil judiciaire de l’État, les gens préféraient régler leurs différends devant un « tribunal populaire », ou y étaient contraints.
• Plusieurs tribunaux ont été saccagés pendant le conflit, notamment dans les districts de Jumla, Jajarkot, Achham, Arghakhanchi, Myagdi et Bara. Une grande partie, voire la totalité, des dossiers judiciaires ont également été détruits. [...]
C. LA COUR SUPRÊME ABROGE UNE DISPOSITION DE LA LOI RELATIVE A LA VÉRITÉ ET LA RÉCONCILIATION QUI PREVOYAIT L'AMNISTIE DES AUTEURS
[Source : Tariq Ahmad, « Nepal: Supreme Court Strikes Down Amnesty Provision in Truth and Reconciliation Law », 17 mars 2015, Global Legal Monitor, [traduction CICR] disponible sur : https://www.loc.gov/item/global-legal-monitor/2015-03-17/nepal-supreme-court-strikes-down-amnesty-provision-in-truth-and-reconciliation-law/]
(17 mars 2015) Le 26 février 2015, la Cour suprême népalaise a abrogé une disposition relative au droit d’amnistie figurant dans la loi sur la création d’une Commission de vérité et réconciliation (CVR). […]
Cette disposition accordait à la Commission de vérité et réconciliation et à la Commission sur les disparitions forcées le pouvoir discrétionnaire de recommander d’amnistier des individus responsables de graves manquements ou de violations des droits de l’homme. […]
Selon un juge de la Cour suprême, « [l]a cour a abrogé la disposition relative au droit d’amnistie figurant dans cette loi et a déclaré que le processus de réconciliation ne pouvait avancer sans le consentement des victimes ». […]
La Cour a également « indiqué clairement que toutes les affaires en instance devant un tribunal ne pouvaient être transférées aux commissions ». De plus, la Cour a « déclaré que le consentement des victimes serait nécessaire à tout processus de réconciliation. » […]
La Cour suprême a jugé inconstitutionnelle une ordonnance de 2013 qui avait établi une Commission de vérité et réconciliation […] en se fondant en partie sur le fait que cette Commission permettrait d’accorder l’amnistie aux individus responsables de graves violations des droits de l’homme. […]
La loi actuelle sur la création d’une CVR a été promulguée le 11 mai 2014, par le biais d’un projet de loi qui constituait un compromis. Il s’agissait d’une version révisée de l’ordonnance précédente que la Cour avait abrogée. La nouvelle loi a néanmoins conservé les dispositions relatives au droit d’amnistie. […]
D. LE NÉPAL SE PENCHE-T-IL SÉRIEUSEMENT SUR LA QUESTION DE LA RECHERCHE DE SES DISPARUS ?
[Source : « Ten Years After Peace, Is Nepal Finally Serious About Finding Its Disappeared? », 29 août 2016, International Centre for Transitional Justice, [traduction CICR] disponible sur : https://www.ictj.org/news/nepal-disappeared-search]
[…]
Les luttes de pouvoirs politiques ont atteint leur apogée en 2014, lorsque le parlement a adopté la loi relative à la vérité et la réconciliation. À l’instar du projet de loi de 2007, cette nouvelle loi a établi une nouvelle Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée (CIEDP) mais elle a également doté l’instance qui lui était associée, la Commission vérité et réconciliation (CVR), du pouvoir d’accorder l’amnistie aux auteurs de crimes. L’adoption de telles dispositions est insoutenable pour nombre de victimes qui n’ont aucune confiance en une commission ayant un tel pouvoir d’amnistie.
Au début de l’année 2015, on aurait pourtant pu croire que la décision de la Cour suprême népalaise de considérer comme inconstitutionnelles les dispositions de la loi relative à la vérité et la réconciliation prévoyant l'amnistie des auteurs allait dissiper les craintes des victimes. Toutefois, le gouvernement a poursuivi ses efforts pour soutenir la création de la CIEDP sans amender la loi comme le demandait la Cour dans sa décision et s’est contenté de continuer d’appliquer le texte en vigueur s’agissant du droit d’amnistie.
Malgré certaines tentatives pour amender la loi, ces dispositions relatives au droit d’amnistie sont toujours en vigueur aujourd’hui. Sans tenir compte de la décision rendue par la Cour suprême, en mars 2016, le parlement a approuvé la loi établissant la CIEDP et a procédé à sa création.
[...]
Comme l’a déclaré Laxmi Khadka, dont l’époux a été victime d’une disparition forcée causée par les maoïstes, « je doute que la commission établisse la vérité. J’ai entendu dire que le gouvernement et la commission ne respecteraient pas la décision prononcée par la Cour suprême. Dans cette situation, comment peuvent-ils aider les victimes du conflit à se faire entendre ? »
[...]
Discussion
I. Qualification de la situation et droit applicable
1. Comment qualifieriez-vous la situation au Népal entre 1996 et 2006 ? De quelles informations supplémentaires auriez-vous besoin pour procéder à une telle qualification ? (CG I- IV, art. 3 commun ; PA II, art. 1)
II. Protections accordées aux détenus et aux personnes portées disparues
2. Le DIH réglemente-il la détention en lien avec un conflit armé non international ? Pour quels motifs une personne peut-elle être placée en détention? Quand doit-elle être remise en liberté ? (CG I- IV, art. 3 commun ; DIHC, Règle 128)
3. Quelles sont les garanties judiciaires prévues par le DIH s’agissant des personnes détenues ou internées dans les conflits armés non internationaux ? Existe-t-il un droit d’habeas corpus ? Ce droit peut-il être suspendu si un état d’urgence est déclaré ? (CG I-IV, art. 3 commun ; PA II, art. 4, 5, 6 ; Voir également les principes en matière de procédure et mesures de protection pour l’internement/la détention administrative dans le cadre d’un cas de conflit armé et d’autres situations de violence)
4. Dans quelle mesures les dispositions du DIH permettent-elles d’éviter que les détenus soient victimes de disparitions forcées ?
5. Au titre du DIH, quelles sont les obligations qui incombent aux parties s’agissant des personnes portées disparues ? Le DIH prévoit-t-il l’obligation d’enquêter sur les cas de « disparitions forcées » ? (DIHC, Règle 98, 117)
III. Éléments contribuant au respect du DIH
6. Pensez-vous qu’au lendemain d’un conflit armé, le rétablissement de l’appareil judiciaire devrait être une priorité pour les États ? Quel est le rôle que peuvent jouer les tribunaux pour garantir le respect du DIH ? Quelles compétences le système judiciaire doit-il avoir pour assurer ce rôle avec efficacité ?
7. Comment la constitution du Népal a-t-elle facilité le respect du DIH sur le plan judiciaire ? Selon vous, la constitution d’un État devrait-elle inclure certaines règles relatives au DIH ? Si oui, lesquelles ?
8. Dans quelle mesure un pouvoir judiciaire fort peut-il aider la société civile ? Outre le caractère contraignant des décisions judiciaires, quelle influence peut-il exercer s’agissant du « droit souple » ?
9. Le DIH favorise-t-il les amnisties ? (PA II, art. 6, par. 5)
10. Le DIH interdit-il d’accorder une amnistie pour la commission de crimes de guerre ? Pensez-vous qu’il y ait une contradiction entre des valeurs prônant la fin de l’immunité et celles visant à rétablir la paix ? L’amnistie pour des crimes de guerre est-elle concevable lorsque les victimes y consentent ?
Pour plus d’informations sur le conflit au Népal, voir également l’étude de cas « Civil war in Nepal », sur la base de données How Does Law protect in War?.