Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :
DIH coutumier
- Chaque partie au conflit doit respecter les biens culturels :
- Toute saisie, destruction ou dégradation intentionnelle d’établissements consacrés à la religion, à l’action caritative, à l’enseignement, à l’art et à la science, de monuments historiques et d’œuvres d’art et de science, est interdite.
- Tout acte de vol, de pillage ou de détournement de biens qui présentent une grande importance pour le patrimoine culturel des peuples, ainsi que tout acte de vandalisme à l’égard de ces biens, est interdit.
Première Protocole à la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (La Haye, 14 mai 1954) :
- Chacune des Hautes Parties contractantes s'engage à mettre sous séquestre les biens culturels importés sur son territoire et provenant directement ou indirectement d'un quelconque territoire occupé. Cette mise sous séquestre est prononcée soit d'office à l'importation, soit, à défaut, sur requête des autorités dudit territoire.
- Chacune des Hautes Parties contractantes s'engage à remettre à la fin des hostilités, aux autorités compétentes du territoire précédemment occupé, les biens culturels qui se trouvent chez Elle, si ces biens ont été exportés contrairement au principe du paragraphe premier du premier Protocole de la Convention.
Résumé du cas d’étude
En 1958, les Pays-Bas ont été l’un des premiers pays à ratifier le Premier Protocole de la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé.
En 1995, quatre icônes chypriotes ont été découvertes en la possession d’un citoyen hollandais. Ils avaient été extraits d’une église orthodoxe grecque pendant le conflit à Chypre en 1974 (Depuis août 1974, Chypre est divisée en deux zones : la première au sud, sous le contrôle des Chypriotes grecs, la seconde au nord, contrôlé par les Chypriotes turcs. Voir le Rapport d'activité du CICR, 1976).
À la demande du gouvernement chypriote et conformément au Protocole, les Pays-Bas ont restitué ces icônes à Chypre.
Respect du DIH : les points à retenir
- Après avoir reçu une demande officielle de la part des autorités chypriotes en 1997 pour que les quatre icônes leur soient restituées, le gouvernement des Pays-Bas a reconnu son obligation de retourner ces biens culturels à Chypre, en vertu des dispositions du Premier Protocole à la Convention de La Haye de 1954.
- Reconnaissant également que, avant de rendre ces icônes, il devait d’abord introduire une nouvelle loi applicable, l’État hollandais a adopté la loi sur le patrimoine culturel provenant d’un territoire occupé (2007), faisant spécifiquement référence à cette situation.
- En 2013, les Pays-Bas ont officiellement restitué les icônes à Chypre, ce qui constitue un bon exemple de l’engagement des États parties à la Convention de La Haye de 1954 à respecter la Convention et ses Protocoles.
Ce cas pratique a été élaboré par Adinda van de Walle et Gabriele Kuchenbecker, étudiantes en droit (LL.M.) à l’université de Leiden, sous la supervision du professeur Robert Heinsch ainsi que de Sofia Poulopoulou (chercheuse doctorante), Johanna Trittenbach et Mahan Charmshir (assistants chercheurs), du Kalshoven-Gieskes Forum de l’université de Leiden.
A. ADOPTION D’UNE NOUVELLE LOI RELATIVE À LA PROTECTION DU PATRIMOINE CULTUREL AUX PAYS-BAS
[Source : Pays-Bas, ministère de l’Éducation, la Culture et les Sciences, Mémorandum explicatif relatif au patrimoine culturel provenant d’un territoire occupé (restitution), loi de 2007, AVT08/OCW92681A, 8 mars 2007, p. 4-6, [traduction CICR], disponible sur : https://www.eui.eu/Projects/InternationalArtHeritageLaw/Documents/NationalLegislation/Netherlands/explanatorymemoandrulesforactcoveringoccupiedterritories2007.pdf.
1. Introduction
[…]
La présente loi permet de mettre en œuvre le Protocole. Le Protocole comporte des obligations, qui, comme exposé ci-après, nécessitent l’élaboration de règles statutaires pour la restitution des biens culturels soustraits à des territoires occupés. C’est la première fois que de telles règles sont introduites.
[...]
2. Les Pays-Bas et le Protocole
Les Pays-Bas ont adopté le Protocole pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé avec la loi du 16 juillet 1958 [...] Les Pays-Bas ont été l’un des premiers pays à ratifier le Protocole. Un instrument de ratification a été déposé par les Pays-Bas conjointement avec le Directeur général de l’UNESCO, le 14 octobre 1958.
[...]
3. Nécessité de cette mise en œuvre
[…]
À la lumière de la jurisprudence mentionnée ci-dessus, on peut conclure que les dispositions du Protocole sont sans effet immédiat. Ceci signifie que le possesseur de biens culturels qui doivent être restitués à leur pays d’origine en vertu des obligations prévues par le Protocole, ne peut pas être soumis à l’obligation de s’en séparer, sur le fondement de ce même Protocole.
Dans cette situation, la renonciation forcée à des biens en sa possession n’est possible que si la législation néerlandaise contient elle-même des dispositions à cet égard. L’adoption d’une nouvelle loi est par conséquent nécessaire.
La raison pour laquelle il a fallu tant de temps pour reconnaitre la nécessité de mettre en œuvre cette nouvelle loi tient au fait que première demande de restitution de biens culturels adressée au gouvernement néerlandais par une autorité étrangère au titre du Protocole n’a été soumise qu’en 1997. […] La demande de restitution des icônes a été formulée à la suite de la procédure civile engagée en 1995 par l’Église chypriote grecque devant la Cour du district de Rotterdam, en vue de cette restitution. Dans son jugement du 4 février 1999, […], la Cour du district a considéré que l’article 1.4 du Protocole n’était pas une disposition d’exécution automatique en vertu de l’article 94 de la Constitution des Pays-Bas. Ce jugement a été maintenu en appel par la Cour d’appel de La Haye […]. La demande de restitution d’objets culturels détenus sur le territoire néerlandais évoquée ici a ainsi été refusée. La demande des autorités chypriotes relative au retour de ces biens ne pouvait être considérée comme un évènement isolé. Au regard des nombreux points de tensions à travers le monde sur ce sujet [...] il était en aucun cas inconcevable que le gouvernement néerlandais reçoive à l’avenir d’autres demandes du même type que celle de Chypre.
Les Pays-Bas ne pouvaient pas attendre plus longtemps la mise en œuvre du Protocole dans la législation nationale. Par ailleurs, Les Pays-Bas ont toujours eu un rôle pionnier dans l’application de la Convention, par exemple lors de l’introduction du Deuxième Protocole à la Convention, qui a été adopté en mars 1999. […] Il convient de noter que les informations recueillies par l’UNESCO ont révélé que, pour autant qu’on le sache, en dehors des Pays-Bas, aucune autre partie à la Convention n’a encore mis en œuvre le Protocole de cette manière.
[…]
B. LES PAYS-BAS RAPATRIENT DES ICÔNES CHYPRIOTES
[Source : Pays-Bas et Chypre, « Présentation conjointe de Chypre et des Pays-Bas sur le retour de 4 icônes des Pays-Bas vers Chypre dans le cadre du Protocole de la Convention de la Haye de 1954 », 10ème réunion des Hautes parties contractantes à la Convention de la Haye de 1954, 16 décembre 2013, lien indisponible]
Les Pays-Bas
Le 18 septembre 2013, le Directeur Général de la Culture et des Médias des Pays-Bas a remis officiellement quatre icônes à l’Ambassadeur de Chypre. Lors de la cérémonie, qui s’est tenue au Ministère de la Culture à La Haye, des représentants des Gouvernements hollandais et chypriote, ainsi que de l’Église orthodoxe grecque, étaient présents.
[...]
Pour la première fois, les Pays-Bas retournaient des biens culturels dans le cadre du premier Protocole à la Convention de La Haye. Il semble également qu’il s’agissait là du premier retour d’un bien culturel en vertu de ce Protocole dans le monde.
Chypre
[...]
Au-delà de la réaction positive et de la grande coopération des autorités néerlandaises tout au long de la procédure, Chypre reconnaît et félicite également les mesures législatives très importantes prises par les Pays-Bas pour renforcer la protection des biens culturels provenant de territoires occupés. Ce développement réaffirme également la nécessité du respect des dispositions de la Convention de La Haye de 1954 et de ses Protocoles par tous les États contractants.
Le Gouvernement de Chypre considère que la coopération entre les États en vue de conserver les biens culturels dans leur contexte et lieu d’origine est d’une importance capitale, et que le rapatriement de ces quatre icônes constitue un exemple emblématique de cette coopération.
Les icônes de l’église d’Antiphonitis, Kalograia
Les 4 icônes ecclésiastiques ont été retournées à Chypre par les Pays-Bas le 20 septembre 2013. Elles appartiennent à l’église du Christ Antiphonitis située dans le village de Kalograia (district de Kyrenia), à savoir dans une zone de Chypre qui n’est pas sous le contrôle effectif du Gouvernement de la République de Chypre.
L’église a été construite lors de la période byzantine, à la fin du XIIe siècle, et modifiée au XVe siècle.
Cependant, à la suite des événements de 1974, une grande partie de ces peintures murales ont été découpées en morceaux, et les icônes ainsi que les portes du sanctuaire ont été enlevées. [...]
Quatre icônes représentant les Évangélistes Jean et Marc, ainsi que les Apôtres Pierre et Paul, datant du XVIe siècle, ont été retrouvées en mai 1995. Ces dernières étaient en la possession d’un citoyen néerlandais qui les avait achetées à un collectionneur peu de temps après l’invasion de 1974. [...]
Suite de l’intervention des Pays-Bas
La restitution marque la conclusion d'un long processus initié en mai 2011 par la demande du Ministre de la Culture de Chypre au Ministre de la Culture des Pays-Bas pour le retour des quatre icônes. À cette époque, ces icônes étaient en possession privée.
La lettre du Ministre de la Culture de Chypre n’était guère surprenante. Les objets demandés avaient déjà fait l'objet d'un procès au tribunal civil des Pays-Bas dans les années 1990. À cette époque, les juges avaient conclu que, sur la base de la législation existante des Pays-Bas, les icônes ne peuvent être retournées en vertu du droit civil. La législation internationale sur laquelle pourrait se fonder un retour, à savoir le Premier Protocole à la Convention de La Haye de l'UNESCO, n'avait pas d'effet contraignant direct sur les citoyens néerlandais.
Ce fut une révélation pour le gouvernement néerlandais. [...]
La Convention de La Haye était une réaction à ce qui s'était passé pendant la Seconde Guerre mondiale. Les bombardements et la guerre avaient non seulement tué des personnes, mais également gravement endommagé des bâtiments, monuments et églises des deux côtés du champ de bataille. Dans les pays alliés, des œuvres d'art furent systématiquement pillées. Dans la situation chaotique de l’après-guerre, des œuvres d'art furent exportées comme trophées de guerre.
Ayant fait cette expérience, les Pays-Bas sont devenus des acteurs de premier plan dans la création d’instruments normatifs internationaux pour la protection des biens culturels en cas de conflit. En conséquence, lorsqu’il est apparu il y a dix ans que la loi néerlandaise était insuffisante à cet égard, le Gouvernement néerlandais a jugé de la plus haute importance de réparer cette omission. Cela a abouti à l’adoption de la loi sur le patrimoine culturel provenant de territoires occupés en 2007.
Fait intéressant, dans le Memorandum explicatif de cette loi, le cas des icônes chypriotes a été décrit comme la raison immédiate de sa création. […]
[...]
Lors de la cérémonie de transfert des icônes, le Directeur général a soulevé des questions telles que : Pourquoi la communauté internationale a-t-elle fait tous ces efforts ? Pourquoi ces icônes doivent-elles être retournées ? Pourquoi pensons-nous que cela est si important ? La réponse est que les biens culturels sont liés à un pays, à des personnes, à leur histoire. La présence de l'Ambassadeur de Chypre et des représentants de l'Église orthodoxe grecque de Chypre lors de la cérémonie a démontré la valeur de ces représentations des quatre évangélistes pour eux, pour Chypre, pour leur église et pour les citoyens de Chypre. […]
Discussion
I. Qualification de la situation et droit applicable
1. Comment qualifieriez-vous la situation à Chypre en 1974 ? De quelles informations supplémentaires auriez-vous besoin pour procéder à une telle qualification ? (Règlement de La Haye, art. 42 ; CG I-IV, art. 2)
2. Les Pays-Bas étaient-ils impliqués dans la situation à Chypre en 1974 ? Le cas échéant, les Pays-Bas sont-ils soumis à certaines obligations en vertu du DIH ? (Premier Protocole pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, Convention de La Haye de 1954, par. 1 et 3)
II. Retour d’un patrimoine culturel exporté illégalement
3. Les États parties au Premier Protocole à la Convention de La Haye de 1954 ont-ils l’obligation de restituer le patrimoine culturel présent sur leur territoire après avoir été exporté illégalement ? Quel est le champ d’application temporel de cette obligation ? (Premier Protocole pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, Convention de La Haye de 1954, par. 2 et 3)
4. Quelle procédure s’applique au retour de patrimoine culturel exporté illégalement ? Est-il nécessaire que le pays d’origine en fasse la demande ? (Premier Protocole pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, Convention de La Haye de 1954, par. 3 et 4)
5. Quelles sont les mesures que les États doivent prendre pour mettre en œuvre le Premier Protocole après l’avoir ratifié, afin que ses dispositions soient pleinement mise en application ? Dans quels délais doivent-ils prendre ces mesures ? (Premier Protocole pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, Convention de La Haye de 1954, par. 11)
III. Éléments contribuant au respect du DIH
6. (Document B) Êtes-vous d’accord avec l’affirmation selon laquelle « les biens culturels sont liés à un pays, à des personnes, à leur histoire » ? Selon vous, la restitution de ces objets d’antiquité en présence de représentants du gouvernement chypriote et de l’Église orthodoxe grecque démontre-elle la valeur que représentent ces icones pour Chypre, ses citoyens et l’église ? La présence de représentants est-elle aussi la preuve de l’exercice d’une pression politique pour que ces biens culturels soient restitués ?
7. (Document B) La demande officielle formulée par le ministre chypriote pour le retour des objets d’antiquité est-t-elle la raison qui a poussé les Pays-Bas à agir ? L’action en justice a-t-elle été intentée par Chypre ?
8. (Documents A et B) Le fait qu’un État subisse le pillage de son propre patrimoine culturel pendant un conflit armé passé contribue-t-il à l’encourager à ratifier des traités internationaux réglementant la protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé, puis à les mettre en œuvre dans sa législation nationale ?
9. (Documents A et B) Pensez-vous que le « rôle pionnier » des Pays-Bas en ce qui concerne la mise en œuvre de la Convention de La Haye de 1954 ait pu avoir une influence sur l’adoption d’une nouvelle loi en 2007 ? Une cérémonie publique pour la restitution de ces biens culturels constitue-elle un bon moyen pour mettre en avant cette nouvelle législation ? Selon vous, l’opinion publique peut-elle influencer la conduite d’un État ? Peut-elle encourager les États à répondre à des manquements dans la mise en œuvre du Premier Protocole ?