Pérou, le traitement des morts

Apporter des réponses aux familles de personnes portées disparues au Pérou : 2002–2016

Dispositions du DIH

Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :


Chaque fois que les circonstances le permettent, chaque partie au conflit doit prendre sans tarder toutes les mesures possibles pour rechercher, recueillir et évacuer les morts, sans distinction de caractère défavorable.

Les morts doivent être inhumés de manière respectueuse, et leurs tombes doivent être respectées et dûment entretenues.

Afin de permettre l’identification des morts, chaque partie au conflit doit enregistrer toutes les informations disponibles avant l’inhumation, et marquer l’emplacement des sépultures.

Chaque partie au conflit doit prendre toutes les mesures pratiquement possibles pour élucider le sort des personnes portées disparues par suite d’un conflit armé, et doit transmettre aux membres de leur famille toutes les informations dont elle dispose à leur sujet.

Résumé du cas d’étude

Entre 1980 et 2000, le Pérou était en proie à un conflit armé, opposant le gouvernement péruvien à des groupes armés non étatiques. Des dizaines de milliers de personnes ont été tuées et beaucoup d’entre elles étaient encore portées disparues des années plus tard.

En 2001, le gouvernement péruvien a constitué une Commission de vérité et de réconciliation afin d’enquêter sur des allégations de violations des droits humains liées au conflit. Par la suite, le gouvernement a pris des mesures concrètes pour rechercher et identifier les disparus et pour apporter une réponse à leurs familles.

Respect du DIH : les points à retenir

  1. En 2002, le Bureau du Procureur général du Pérou, la Commission de vérité et de réconciliation, le Bureau du médiateur et la Coordination nationale des droits de l’homme péruvienne se sont engagés à travailler conjointement afin de rechercher, exhumer et identifier les dépouilles des personnes disparues en raison du conflit. L’accord prévoyait :
    • d'impliquer les familles des victimes
    • d'appliquer des procédures élaborées conformément aux normes internationales
    • de nommer une équipe multidisciplinaire péruvienne et des experts en médecine légale pour assurer l’efficacité, l’indépendance et l’impartialité des enquêtes forensiques.
  2. En 2016, le gouvernement péruvien a entériné une loi sur la recherche des personnes portées disparues et a approuvé la mise en œuvre d’un projet humanitaire qui prévoyait, entre autres :
    • des dispositifs pour rechercher les dépouilles mortelles en coopération avec les familles des disparus
    • un registre national des lieux de sépulture, administré par un service dédié à la question des personnes disparues
    • des mesures pour protéger les lieux de sépulture afin qu’ils ne soient pas détruits..
  3. Entre 2002 et 2016, 3 528 restes humains ont été exhumés et 2 084 personnes ont été identifiées.

Ce cas pratique a été élaboré par Cristina San Juan Serrano et Eva Vaz Nave, étudiantes en droit (LL.M.) à l’université de Leiden, sous la supervision du Professeur Robert Heinsch ainsi que Sofia Poulopoulou et Christine Tremblay, doctorantes au Kalshoven-Gieskes Forum de l’université de Leiden, avec le concours de Jemma Arman et Isabelle Gallino, étudiantes en droits (LL.M.) à l’Académie de Genève.

 

A. DES EFFORTS CONCERTÉS POUR EFFECTUER DES RECHERCHES DANS LES FOSSES COMMUNES

[Source : Déclaration conjointe du Bureau du Procureur général, du Bureau du médiateur, de la Commission de vérité et de réconciliation et de la Coordination nationale des droits de l’homme péruvienne (ONG), Final Report, Exhumations, juin 2002, [traduction CICR] disponible sur : http://www.cverdad.org.pe/ingles/apublicas/exhumaciones/declaracion.php]

 

« Plateforme de travail conjointe pour effectuer des recherches dans les fosses communes.

Les institutions soussignées [le Bureau du Procureur général du Pérou, le Bureau du médiateur, la Commission de vérité et de réconciliation et la Coordination nationale des droits de l’homme péruvienne], dans le cadre de leurs fonctions et de leurs mandats respectifs, déclarent qu’ils travailleront en coordination pour effectuer des recherches dans les fosses communes, le principal objectif visant à contribuer à établir la vérité, à rendre leur dignité aux victimes et à leur famille et à promouvoir l’accès à la justice. Ces travaux seront réalisés selon les modalités suivantes :

1. Les recherches dans les fosses communes clandestines feront systématiquement l’objet de consultations auprès du groupe de coordination composé du Bureau du Procureur général, de la Commission de vérité et de réconciliation, du Bureau du médiateur et de la Coordination nationale des droits de l’homme péruvienne. Celui-ci favorisera la participation des familles des victimes aux recherches. Les procédures juridiques associées à ces recherches seront engagées sous l’égide du Procureur spécialisé dans les cas de disparition forcée, les exécutions extrajudiciaires et les exhumations des fosses communes clandestines.

2. La procédure à suivre pour fouiller les fosses communes sera régie par les normes internationales telles qu’énoncées dans les accords et les recommandations applicables. À cet effet, les institutions s’efforceront d’adapter la procédure auxdites normes.

3. Les travaux techniques et scientifiques devront être effectués par des spécialistes des différentes expertises requises, notamment, entre autres, des médecins, des pathologistes, des dentistes, des anthropologues-légistes, des archéologues et des photographes médico-légaux. L’institut de médecine légale et la division de sciences criminelles de la police nationale du Pérou devront être intégrés au sein de cette équipe pluridisciplinaire, de même que des experts légistes péruviens et étrangers.

4. Les candidatures d’experts indépendants devront être soumises par la Commission vérité de et de réconciliation et validées par le Bureau du Procureur général. Ils intégreront l’équipe du Bureau du Procureur général, dans un cadre professionnel et transparent.

5. Les institutions soussignées coordonneront leurs travaux pour élaborer un projet national d’exhumation qui servira de cadre aux recherches effectuées à moyen et long terme dans les fosses communes clandestines. Elles établiront par ailleurs les normes nécessaires et s’engagent à régler tout désaccord de bonne foi, par la voie du dialogue.

6. Le mécanisme de mise en œuvre de ces accords sera mis en place dans le cadre du travail de coordination entre les institutions signataires de la présente déclaration. »

B. EXHUMATION ET RESTITUTION DES RESTES AUX FAMILLES

[Source : Andean Air Mail & Peruvian Times, Decades Later, Families Receive Remains of Victims of Peru’s Conflict, 30 octobre 2014, [traduction CICR] disponible sur : https://www.peruviantimes.com/30/decades-later-families-receive-remains-of-victims-of-perus-conflict/23166/]

 

« Plusieurs dizaines d’années plus tard, les familles reçoivent les restes de leurs proches victimes du conflit au Pérou

Des dizaines d’années après leur mort, les restes de 80 personnes tuées pendant le conflit interne entre le Pérou et les rebelles du Sentier lumineux ont été restitués à leur famille être inhumés. La cérémonie, présidée par le Bureau du Procureur général, s’est déroulée au sud du Pérou, dans la région andine d’Ayacucho, qui fut l’épicentre du conflit sanglant des années 1980 et du début des années 1990.

 

Les victimes ont été identifiées par des anthropologues légistes qui, entre 2011 et 2013, ont exhumé les corps de fosses communes à Ayacucho et ont procédé à des analyses ADN. Sur ces 80 victimes, 51 personnes avaient été tuées par le Sentier lumineux et 29 par les forces de sécurité de l’État. Les meurtres se sont déroulés entre 1983 et 1992 et les victimes étaient des hommes et des femmes, dont deux enceintes, ainsi que des enfants. […]

 

Depuis le début des exhumations en 2006, les anthropologues légistes ont récupéré 2 925 corps et en ont identifié 1 689, dont 1 485 ont été restitués aux familles survivantes.

 

Les recherches pluridisciplinaires menées par les légistes de la police scientifique ont duré plusieurs années. Pour permettre l’identification des victimes, le Bureau du Procureur général a organisé une exposition de vêtements et d’accessoires retrouvés dans les sépultures, dans l’espoir que quelqu’un puisse reconnaître un pull, un objet, un bijou ou des chaussures. L’identification a été confirmée par des tests ADN et parfois, grâce aux dossiers dentaires des victimes et à leur fiche de personne disparue déposée au moment de leur décès. L’exposition a été inaugurée à Lima et est actuellement présentée dans les différentes provinces de la région d’Ayacucho. […]

 

C. CRÉATION D’UN REGISTRE PUBLIC DES LIEUX DE SÉPULTURE

[Source : « Perú crea un registro público de fosas », El País, 28 décembre 2016, [traduction CICR] disponible en espagnol sur : https://elpais.com/internacional/2016/12/28/america/1482884465_462664.html]

 

Le Pérou crée un registre public des lieux de sépulture

Après des années d’attente pour les familles des victimes des violences perpétrées pour la première fois en 1980 par le groupe terroriste Sentier lumineux, avant qu’un conflit ne soit déclenché avec les forces armées et les forces d’autodéfense jusqu’en 2000, le ministère de la Justice péruvien vient d’approuver une nouvelle réglementation. Le projet national de recherche des personnes disparues prévoit la création d’un registre national des lieux de sépulture et l’établissement de mécanismes de recherche des restes des victimes du conflit, dans l’objectif humanitaire de les restituer aux familles.

 

« L’élément nouveau ici est la priorité donnée à l’aspect humanitaire : quelque chose d’inédit est actuellement inventé au Pérou, comme au Sri Lanka, au Népal et en Colombie. Avant cela, dans les Balkans, les mécanismes centralisés de recherche des personnes disparues dépendaient du tribunal pénal et l’objectif était de rendre justice », a expliqué à El País Rafael Barrantes, un anthropologue du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui travaille au Pérou.

 

Le projet national de recherche des personnes disparues doit être mis en œuvre dans le cadre de la loi sur la recherche des personnes disparues, promulguée en mai dernier et « la prochaine étape consistera à créer un service pour les personnes disparues, qui sera en charge d’administrer le registre national des personnes disparues et des lieux de sépulture », a indiqué une source du ministère de la Justice à El País.

 

[…]

 

S’agissant du nombre de lieux de sépulture, en 2003, la Commission de vérité et de réconciliation – qui a mené des recherches sur ces 20 années de violence – en a établi 4 644 dans le le pays, mais l’organisation non gouvernementale COMISEDH en a ensuite dénombré 4 051 seulement dans la région d’Ayacucho. Le nombre total de lieux de sépulture est donc estimé à plus de 6 400 au total.

 

La réglementation stipule que l’institution responsable de la recherche des personnes disparues demandera aux autorités de protéger les lieux de sépulture afin d’éviter qu’ils ne soient détruits.

 

Au Pérou, entre 2002 et 2016, 3 528 corps ont été exhumés et 2 084 ont été identifiés, dont certains ont été restitués à leurs familles pour qu’elles les enterrent. Toutefois, les restes de quelque 900 personnes retrouvés lors des exhumations ont été conservés, faute de ressources pour effectuer des tests ADN et les identifier.

 

La source du ministère de la Justice a souligné l’importance d’un travail préliminaire pour « recenser et classer les informations à disposition afin de savoir qui rechercher et comment traiter chaque cas ».

 

Pour sa part, l’anthropologue-légiste du CICR a précisé qu’à ce jour, les informations disponibles avaient été « organisées de façon à démontrer que des violences avaient été subies » par les personnes disparues, mais le registre des victimes de violences « n’a pas été conçu pour rechercher ces personnes, mais plutôt pour permettre d’indemniser leurs familles ». […]

 

Selon le projet national de recherche des personnes disparues, les recherches doivent être effectuées avec le consentement libre et éclairé des familles et une aide psychologique doit leur être apportée, dans leur langue maternelle. […]

 

Dans plusieurs de ses jugements, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a ordonné au Pérou […] de localiser les restes des personnes disparues. […]

 

Discussion

 

I. Qualification de la situation et droit applicable

1. Comment qualifieriez‑vous la situation au Pérou, sachant que le gouvernement péruvien luttait contre le Sentier lumineux et le Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru ? De quelles informations supplémentaires auriez‑vous besoin pour procéder à une telle qualification ? Sous quelles conditions le Protocole additionnel II serait‑il applicable ? (CG I‑IV, art. 3 ; PA II, art. 1).

 

II. Traitement des morts

2. Quelles obligations incombaient au Pérou concernant le traitement des morts ? À qui doit‑il restituer les restes des personnes décédées ? Comment doit-on inhumer les restes des personnes décédées ? (DIHC, règles 112–117À la lecture de ces documents, peut-on affirmer que le Pérou a respecté ces règles ? Ces règles s’appliquent‑elles aux groupes armés non étatiques ?

3. Selon le DIH, quels sont les droits des familles des personnes disparues au Pérou ? Jouissent‑elles d’un droit d’être informées ? (DIHC, règle 117 ; pour les CAI, voir également PA I, art. 32)

4. Quels objectifs vise-t-on en exhumant les corps ? Informer les familles de la mort de leurs proches ? Apporter la preuve aux familles que leurs proches sont morts ? Restituer aux familles les restes de leurs proches ? Déterminer comment les personnes décédées ont été tuées et qui les a assassinées ? Ces objectifs sont‑ils toujours compatibles ou sont‑ils parfois contradictoires ?

5. (Document C) Quel est le but du registre national créé par le Pérou ? Les parties au conflit sont‑elles tenues de marquer l’emplacement des sépultures ? S’agit‑il d’une règle de droit coutumier ? (DIHC, règle 116)

 

III. Éléments contribuant au respect du DIH

6. (Document A) Que pensez‑vous de l’initiative de la Commission de vérité et de réconciliation, en coopération avec d’autres acteurs, pour procéder à la recherche et à l’exhumation des corps des personnes décédées en raison du conflit ? Pourquoi est‑ce important, même longtemps après la fin des hostilités ? Est‑ce pour les proches des personnes décédées ? Pour la société dans son ensemble ? Pour le gouvernement qui a ordonné l’exhumation ?

7. (Document B) Que pensez‑vous de l’idée de procéder à des exhumations publiques et d’organiser une cérémonie publique à cette occasion ? Selon vous, pourquoi le gouvernement péruvien a‑t‑il choisi de procéder à des exhumations publiques ?

8. Le Document C mentionne des jugements rendus contre le Pérou par la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Pensez‑vous que ces décisions ont influencé les mesures concrètement prises par le Pérou ? Les tribunaux régionaux des droits de l’homme peuvent‑ils contribuer à une meilleure mise en œuvre du DIH en général ?