Soudan : la libération de détenus par des groupes armés non étatiques

Libération de détenus au Soudan : 2016–2017

Dispositions du DIH
Libération de détenus au Soudan : 2016–2017

Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :


La privation arbitraire de liberté est interdite.

Les personnes privées de leur liberté en relation avec un conflit armé non international doivent être libérées dès que les causes qui ont motivé leur privation de liberté cessent d’exister. La privation de liberté de ces personnes peut se poursuivre si des procédures pénales sont en cours à leur encontre ou si elles purgent une peine qui a été prononcée dans le respect de la loi.

Résumé du cas d’étude

Le gouvernement soudanais a longtemps pris part à différents conflits armés simultanés l’opposant à des groupes armés non étatiques, notamment le Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) et le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord (SPLM-N). Les personnes détenues par ces groupes étaient entre autres des membres des forces armées ou de groupes armés rivaux, mais aussi des civils.

En 2016–2017, le Mouvement pour la justice et l’égalité et le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord ont libéré un grand nombre de détenus. Les libérations s’expliquent par un appel des chefs religieux et des organisations issues de la société civile en ce sens et, s’agissant des libérations organisées par le SPLM-N, par la médiation du président ougandais.

Respect du DIH : les points à retenir

  1. En août 2016, le commandement du JEM s’est engagé à libérer des membres des forces armées soudanaises, en réponse à un appel de responsables du culte musulman soufi.
  2. Puis, évoquant l’influence de chefs religieux, d’organisations issues de la société civiles et de personnalités influentes dans le pays, le commandement du JEM a confirmé que le groupe avait libéré tous les prisonniers, en coopération avec le CICR.
  3. En mars 2017, the SPLM-N a remis sans condition plus de 125 détenus soudanais au gouvernement soudanais, en vertu d’un accord négocié par le président de l’Ouganda visant à instaurer la confiance entre les parties dans le cadre de négociations de paix plus larges.

Ce cas pratique a été élaboré par Pierpaolo Castiglioni, Yiota Constantinidi et Fiammetta Ferioli, étudiants en droit (LL.M) à l’université de Rome III, sous la supervision de Giulio Bartolini (professeur) et de Tommaso Natoli (assistant de recherche) de la clinique de DIH de l’université de Rome III ; avec le concours de Jemma Arman et Isabelle Gallino, étudiantes en  droit (LL.M.) à l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève.

 

A. LE MOUVEMENT POUR LA JUSTICE ET L’ÉGALITÉ PROMET DE LIBÉRER DES DÉTENUS À LA DEMANDE D’UN CHEF RELIGIEUX

[Source : Sudan Tribune, Darfur group promises to release POWs at religious leader’s request, 29 août 2016, [traduction CICR] disponible sur : http://www.sudantribune.com/spip.php?article60067]

 

28 août 2016 (KHARTOUM) - Le chef du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE), Gibril Ibrahim, a promis de libérer les prisonniers de guerre retenus par les forces gouvernementales à la demande d’un responsable religieux soufi.

 

Le 10 août, le responsable de la secte soufie Kabashi, Abdel-Wahab al-Khalifa al-Hibir al-Kabashi, a adressé une lettre au chef du MJE, lui demandant de relâcher les prisonniers de guerre détenus par le gouvernement.

 

Dans une lettre qu’il a rédigée en réponse au message d’al-Kabashi, Gibril Ibrahim a remercié celui-ci pour sa demande, indiquant que le chef religieux et les familles des prisonniers de guerre recevraient prochainement de bonnes nouvelles à ce sujet.

 

Selon Nahar Osman Nahar, le conseiller politique de la faction MJE-Dabago, un groupe dissident du MJE, plus de 100 prisonniers de guerre sont actuellement détenus dans les prisons du MJE, dont d’anciens membres du bureau exécutif et d'anciens commandants du Mouvement, tels que Hashim Haroun, parmi d’autres détenus civils.

 

Il a déclaré à Sudan Tribune que neuf détenus appartenant à la faction MJE-Dabago sont toujours incarcérés par le MJE après que neuf autres soient parvenus à s’enfuir des prisons du Mouvement, situées dans le camp de Deim Zubeir, dans la région du Bahr el-Ghazal occidental, au Soudan du Sud.

 

Pour sa part, le leader du MJE-Dabago, Issa Mohamed Issa, a déclaré que le MJE détient actuellement 48 personnes, et à peu près le même nombre de prisonniers de guerre capturés dans l’armée soudanaise.

 

Issa Mohamed Issa, qui s’est évadé des prisons du MJE au Soudan du Sud, a ajouté que, par le passé, le Mouvement avait relâché à plusieurs reprise des prisonniers de guerre du camp tenu par le gouvernement, par l’intermédiaire du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

 

Il a appelé les organisations humanitaires et la communauté internationale à surveiller les conditions de détention dans les prisons du MJE. […]

 

B. LE MOUVEMENT POUR LA JUSTICE ET L’ÉGALITÉ LIBÈRE DES DÉTENUS

[Source : Sudan Tribune, JEM leader says all detainees and POWs are released, 17 octobre 2016, [traduction CICR] disponible sur : http://www.sudantribune.com/spip.php?article60553]

 

16 octobre 2016 (KHARTOUM) – Le chef du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE), Gibril Ibrahim, a déclaré que le Mouvement avait libéré tous les détenus et les prisonniers de guerre de l’armée gouvernementale et des factions dissidentes, faisant observer que ceux-ci attendaient désormais que le CICR les transfère à leurs familles.

 

Le mois dernier, le MJE avait annoncé la libération de l’ensemble des détenus et des prisonniers de guerre des forces gouvernementales, en réponse aux appels lancés par des chefs religieux, des organisations de la société civile et des personnalités prestigieuses nationales. Ce samedi à Paris, Gibril Ibrahim a déclaré à Sudan Tribune que le Mouvement « avait relâché tous les prisonniers de guerre du gouvernement et gracié les transfuges du MJE qui étaient poursuivis pour haute trahison ».

 

Il a ajouté : « Nous nous sommes rendus à la Croix-Rouge et leur avons confié la gestion du problème. Ils sont en train de prendre les dispositions nécessaires pour obtenir l'autorisation des différents gouvernements. Le processus en est rendu à cette étape et nous souhaitons le voir s’achever et que les prisonniers de guerre regagnent leurs foyers ».

 

Il a souligné l’engagement du Mouvement à honorer sa promesse de libérer les prisonniers de guerre, affirmant que cette obligation est « irréversible ». [N.B. : MJE-Dabajo a signé un accord de paix avec le gouvernement soudanais à Doha en février 2013].

 

Il importe de souligner que certains des transfuges du MJE étaient détenus par le Mouvement depuis trois ans.

 

C. L’OUGANDA SUPERVISE LA LIBÉRATION DE DÉTENUS PAR LE SPLM-N

[Source : Présidence de l’Ouganda, President oversees the release of Sudanese prisoners, mars 2017, [traduction CICR] lien indisponible]

 

Le président [ougandais] Yoweri Museveni a supervisé la restitution au gouvernement de Khartoum de 125 prisonniers de guerre soudanais, qui avaient été capturés par les combattants rebelles du Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord (SPLM-N).

 

S’exprimant hier devant une assemblée réunissant les anciens prisonniers et une délégation éminente à la Présidence à Entebbe, le président a exprimé sa gratitude, tant au gouvernement soudanais (Khartoum) d’avoir accepté le transfert des prisonniers de guerre, qu’au SPLM-N, pour ce geste en faveur de la paix.

 

« Certains gouvernements n’accepteraient jamais de recevoir de tels prisonniers de guerre mais, dans ce cas précis, le gouvernement du Général Bashir l’a autorisé », a déclaré le président Yoweri Museveni.

 

Le président a félicité le SPLM-N pour avoir gardé les détenus en vie. Il a déclaré que la commission de tels actes – le meurtre de prisonniers – ne fait que renforcer l’ennemi, en ceci qu’ils dissuadent l’autre camp de se rendre.

 

« Pourquoi tuer un soldat qui est déjà blessé ? Le fait que vous affirmiez ne pas tuer les prisonniers de guerre montre que John Garang avait pris bonne note de mes conseils », a ajouté M. Museveni. Le défunt John Garang était un politicien et dirigeant soudanais qui avait dirigé l’Armée/Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLA/M) durant la seconde guerre civile soudanaise, de 1983 à 2005. Après qu’un accord de paix ait été conclu entre le gouvernement soudanais basé à Khartoum et le SPLA/M, John Garang avait brièvement exercé des fonctions de premier Vice-Président du Soudan, du 9 juillet 2005 au 31 juillet de la même année, date de sa mort dans un accident d’hélicoptère.

 

Le groupe d’anciens prisonniers de guerre a été libéré avec la médiation de l’Ouganda, le président Museveni ayant été un acteur central du processus de négociation qui a conduit à leur libération. Ceci s'inscrivait dans le cadre des efforts continus déployés pour instaurer la paix en impliquant le gouvernement soudanais (Khartoum), le SPLM-N et les combattants rebelles du Darfour.

 

Selon le SPLM-N, les parties avaient convenu de la libération de l’ensemble des prisonniers de guerre dans le cadre d’une opération dont le nom de code était « Bonnes intentions ». Le représentant du gouvernement soudanais, Tarig Sayed Ali, Secrétaire général des « Tribus patriotes », a affirmé que cette libération était inconditionnelle.

 

Les détenus libérés ont commencé à arriver en Ouganda jeudi dernier, après avoir été détenus pendant six ans. Ils ont vivement remercié le président Yower Museveni pour leur libération, le priant de continuer à porter l’esprit panafricain pour garantir que la paix règne sur l’ensemble du continent.

 

« Je veux remercier Dieu pour le fait que nous sommes libres après tant d'années. Nous n’oublierons jamais les efforts déployés en ce sens par le peuple ougandais et son président Yoweri Museveni », a déclaré le colonel Richard Abdalla, ancien prisonnier de guerre. […]

 

Le SPLM-N était constitué principalement de Sud-Soudanais, membres du SPLM/A, restés au Soudan après le référendum de 2011 en faveur de l’indépendance du Soudan du Sud. Ils ont été impliqués dans de violents affrontements avec l’armée soudanaise depuis 2011.

 

Discussion

 

I. Qualification de la situation et droit applicable

 

1. Comment qualifieriez-vous la situation entre le MJE et le gouvernement soudanais ? Qu’en est-il de la situation entre le SPLM-N et le gouvernement soudanais ? Le fait que le SPLM-N soit composé de Sud-Soudanais a-t-il une influence sur la qualification du conflit ? Quels critères doivent être remplis pour qualifier le conflit armé de « non international » ? (CG I-IV, art. 3 ; PA II, art. 1)

 

2. Le Protocole additionnel II aux Conventions de Genève serait-il applicable dans cette situation ? Pourquoi ? (PA II, art. 1)

 

II. Libération des détenus

 

3. Existe-t-il une norme juridique relative à la détention dans un conflit armé non international ? Dans l’affirmative, où celle-ci est-elle énoncée ? Pour quelle raison la détention de personnes sur le territoire soudanais doit-elle s'appuyer sur le cadre juridique offert par le droit international ? (CG I-IV, art. 3 ; PA II, art. 5 ; DIHC, règle 128)

 

4. Les groupes armés peuvent-ils décider d’accorder le statut de prisonniers de guerre aux personnes qu’ils retiennent captives ?

 

5. Quels motifs justifient la détention dans un conflit armé non international ? D’après vous, pourquoi les personnes retenues par le MJE et le SPLM-N étaient-elles détenues ? (Voir « Principes en matière de procédure et mesures de protection pour l’internement/la détention administrative dans le cadre d’un conflit armé et d’autres situations de violence », 2005)

 

6. Quand les personnes privées de leur liberté dans un conflit armé non international doivent-elles être libérées ? Existe-t-il une exception à cette règle ? (DIHC, règle 128, par. C)

 

III. Éléments contribuant au respect du DIH

 

7. (Documents A et B) Qu’est-ce qui a conduit le chef du MJE à libérer ces personnes ? Qui lui en a fait la demande ? D’après vous, quelle peut être l’influence de la société civile et de la communauté internationale dans cette situation ? Quelle influence peuvent avoir les responsables religieux pour favoriser le respect du DIH ?

 

8. (Document D) Pourquoi le président ougandais affirme-t-il que tuer les détenus n’affaiblit pas l’ennemi mais, au contraire, ne fait que le « renforcer » ? Partagez-vous ce point de vue ?

 

9. Selon vous, pourquoi l’Ouganda a-t-il accepté d’agir comme intermédiaire entre le gouvernement soudanais et le SPLM-N ? Dans quelle mesure peut-il être bénéfique d’avoir un tel intermédiaire lorsqu’il s’agit de libérer des détenus ? De tels intermédiaires sont-ils prévus par le DIH ? Dans les conflits armés non internationaux ? Dans les conflits armés internationaux ?

 

10. Le SPLM-N a appelé l’opération de libération « Bonnes intentions » et affirmé que cette libération était « inconditionnelle ». Que laisse entendre le nom donné à l’opération concernant les objectifs du groupe ? Selon vous, comment cette initiative sera-t-elle accueillie par la population soudanaise ?