États-Unis/Royaume-Uni : les soldats blessés pendant la première guerre du Golfe reçoivent des soins médicaux

Traitement des soldats blessés par le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique pendant la guerre du Golfe : 1990-1991

Dispositions du DIH

Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :


Il est interdit d’attaquer des personnes reconnues comme étant hors de combat. Est hors de combat toute personne qui est sans défense du fait qu’elle a perdu connaissance, ou du fait de naufrage, de blessures ou de maladie.

Les personnes civiles et les personnes hors de combat doivent être traitées avec humanité.

Chaque fois que les circonstances le permettent, et notamment après un engagement, chaque partie au conflit doit prendre sans tarder toutes les mesures possibles pour rechercher, recueillir et évacuer les blessés, les malades et les naufragés, sans distinction de caractère défavorable.

Les blessés, malades et naufragés doivent recevoir, dans toute la mesure possible et dans les délais les plus brefs, les soins médicaux qu’exige leur état. Aucune distinction fondée sur des critères autres que médicaux ne doit être faite entre eux.

Résumé du cas d’étude

Pendant la guerre du Golfe de 1990-1991, le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique ont formé, avec 30 autres États, une coalition contre l’Irak, en réponse à l’invasion du Koweït par l’Irak.

Le Royaume-Uni et les États-Unis ont respectivement établi des services sanitaires efficaces, prévoyant notamment une évacuation par avion, afin de fournir les traitements adaptés aux soldats blessés des deux parties au conflit.

Ces mesures conformes au DIH s’expliquent en partie par des considérations militaires, notamment la volonté de s’assurer que les soldats retournent sur le champ de bataille avec toutes leurs capacités physiques et la nécessité de maintenir le moral des troupes.

Respect du DIH : les points à retenir

  1. Après avoir évalué le nombre de soldats et de blessés sur le terrain, les États-Unis et le Royaume-Uni ont respectivement établi un réseau d’infrastructures médicales, reliées à un système d’évacuation, pour dispenser aux blessés les soins dont ils avaient besoin. Ce réseau comprenait des postes médicaux avancés au plus près des combats, des postes de secours sur le terrain avec une équipe de chirurgiens et des hôpitaux militaires, éloignés des lignes de front.
  2. Lorsqu’il est apparu que la capacité d’accueil des hôpitaux britanniques avait été fondée sur le nombre estimé de soldats blessés uniquement parmi les forces britanniques, des hôpitaux internationaux supplémentaires ont été déployés sur le terrain afin d’augmenter les capacités britanniques, permettant ainsi de fournir un traitement à tous les combattants blessés quel que soit leur camp.

Ce cas pratique a été élaboré par Sadhana Sanjay et Johanna Trittenbach, étudiantes en droit (LL.M.) à l’université de Leiden, sous la supervision de Robert Heinsch (professeur) et de Sofia Poulopoulou et Daniel Møgster (chercheuse doctorante/chercheur) du Kalshoven-Gieskes Forum de l’université de Leiden.

 

A. RAPPORT DU DÉPARTEMENT DE LA DÉFENSE DES ÉTATS-UNIS DEVANT LE CONGRÈS CONCERNANT LA CONDUITE DE LA GUERRE DU GOLFE

[Source : Final report to Congress, vol. 31 (3), avril 1992, pp. 526-527, [traduction CICR] disponible sur : https://www.globalsecurity.org/military/library/report/1992/cpgw.pdf]

 

 […]

 

Les opérations Bouclier du désert et Tempête du désert ont reçu le soutien d’unités médicales relevant du Commandement central des États-Unis (CENTCOM), du Commandement des forces des États-Unis en Europe (EUCOM), du Commandement Pacifique des États-Unis, ainsi que du Commandement continental des États-Unis (CONUS). La structure de la mission médicale était conçue de manière à répondre aux besoins du commandement, en fonction des effectifs déployés sur le théâtre des opérations et de l’estimation de l’étendue des dommages collatéraux, causés par les différentes opérations de combat menées par le centre de commandement (CINCCENT), d’après le commandant en chef.

 

[…]

 

PRÉSENTATION DE LA NOTION D’APPUI AUX SERVICES DE SANTÉ (HEALTH SERVICE SUPPORT)

 

L’appui conjoint aux services de santé (HSS, Health Service Support) consiste à limiter au minimum l’impact des maladies, des dommages et des blessures sur la capacité d’intervention, l’efficacité et le moral des unités. Le système HSS, employé dans les opérations Bouclier du désert et Tempête du désert, était issu d'un service déjà existant et de procédures opérationnelles conjointes. Si, en Asie du Sud-Est, la situation et les besoins opérationnels étaient singuliers, les soins de santé ont néanmoins été inclus dans la planification des opérations. Ils ont été organisés et dispensés de façon optimale, en y intégrant les ressources du HSS, conformément aux orientations fixées par chaque service pour l’appui aux services de santé. Cette mission a été accomplie en recourant à un système de soins de santé échelonné, du moment où la blessure est constatée à la phase d’évacuation du théâtre des opérations, pour évacuer les soldats vers l'hôpital du Commandement continental (CONUS). L’efficacité du système se mesure par l'efficacité avec laquelle il prend en charge les patients, de sorte qu’ils puissent retourner rapidement en zone de combat en position la plus avancée possible, tout en limitant au maximum le risque de morbidité et de mortalité. L’application des principes du HSS et la mise en place de différents niveaux de prise en charge ont permis de réduire la nécessité de recourir à un personnel de remplacement, d’évacuer les patients et de renforcer l’appui logistique.

 

[…]

 

B. LES COMBATTANTS BLESSÉS DES FORCES ALLIÉES ET IRAKIENNES RECOIVENT DES SOINS DE SANTÉ À L’HÔPITAL DE CAMPAGNE BRITANNIQUE « 32 »

[Source : Lieutenant-colonel MCM Bricknell, « The Evolution Of Casualty Evacuation In The British Army In The 20th Century (Part 3) – 1945 To Present », in Journal of the Royal Army Medical Corps, 2003 (149), pp. 85-95, [traduction CICR] disponible sur : https://militaryhealth.bmj.com/content/jramc/149/1/85.full.pdf]

 

[…]

 

La « première » guerre du Golfe (1990-1991), visant à libérer le Koweït, a entraîné un déploiement expéditionnaire gigantesque de forces britanniques en Arabie saoudite depuis des bases situées au Royaume-Uni et en Allemagne […]. Ce fut une guerre blindée, livrée à ciel ouvert, sans restriction majeure aux mouvements de troupes. Tout au long de la guerre, les soldats ont craint la menace des armes nucléaires, biologiques et chimiques.

 

Pendant trois mois, un service médical opérationnel fut mis en place avec le déploiement de quatre hôpitaux, un navire‑hôpital, cinq unités d’ambulance de campagne et de nombreuses autres unités de plus petite taille. Les services médicaux avaient été en majeure partie équipés en s'appuyant sur le scénario d’une guerre courte et de combats intenses, typique de la Guerre froide, avec des prévisions très pessimistes en termes de dommages collatéraux, limitant en conséquence les services de soins de santé à l’évacuation et au rapatriement vers le Royaume-Uni. […]

 

La mise en pratique du plan sanitaire fut dictée par l'étendue considérable et la forte mobilité des opérations terrestres qui avaient été planifiées. Les blessés étaient d’abord évacués vers des postes de secours régimentaires (Regimental Aid Posts), puis vers des postes de secours. Les ambulances de campagne de ces postes de secours étaient également accompagnées d’équipes chirurgicales mobiles en renfort, afin d’être en mesure de pratiquer de lourdes opérations chirurgicales aux soldats les plus grièvement blessés qui étaient en réanimation.

 

L’hôpital de campagne 32 fut installé en position avancée le 20 janvier 1991. Il se composait d’une zone de réception et de tri, un foyer à huit travées pour la réanimation, un secteur réservé aux traitements moins lourds, un bloc opératoire équipé de huit tables, ainsi que 200 lits répartis dans quatre salles. En renfort, des services de pathologie et de radiologie étaient également mis en place. L’hôpital de campagne 32 utilisait ses salles de convalescence et ses blocs opératoires pour la ventilation post-opératoire, ce qui permettait de prolonger les temps de convalescence et de reporter les opérations chirurgicales.

 

Les blessés étaient ensuite chargés à bord du C‑130 et transférés vers des hôpitaux généraux d’une capacité de 600 lits, tels que l’hôpital « 33 » à Jubail et l’hôpital « 205 » de Riyad. Après y avoir reçu les soins adaptés, ils étaient rapatriés au Royaume-Uni par avion […].

 

[…]

 

[Source : Chirurgien, lieutenant-commandant T. J. W. Spalding et al., « Penetrating Missile Injuries in the Gulf War 1991 », in Journal of the Royal Army Medical Corps, 1992 (138), pp. 129-132, disponible sur : https://militaryhealth.bmj.com/content/jramc/138/3/129.full.pdf]

 

[…]

 

L’hôpital de campagne 32 a été déployé par les forces britanniques et a servi d'antenne chirurgicale en poste avancé, en appui à l’offensive terrestre. Il a pris en charge des blessés britanniques ainsi que des prisonniers de guerre irakiens. […]

 

L’hôpital de campagne 32

 

[…] Les blessés recevaient les premiers secours et étaient admis en unité de soins intensifs des postes de secours régimentaires (Regimental Aid Posts) et des postes de triage et de premiers secours. Après avoir été évacués jusqu’à l’hôpital de campagne 32 par hélicoptère, les patients restaient en unité de soins intensifs et subissaient des examens cliniques. Les données relatives aux patients subissant des interventions chirurgicales étaient inscrites sur des formulaires incluant la date, l’heure, la cause et la nature de la blessure, la durée de l’opération, les résultats médicaux et les opérations chirurgicales qui avaient été réalisées. Dès le premier jour après l’opération, les patients étaient évacués vers des hôpitaux militaires dans le sud de l’Arabie saoudite.

 

Admissions et gestion des blessés

 

Entre le 20 janvier et le 6 mars, 1 053 patients furent admis à l’hôpital et 100 opérations furent réalisées. Parmi les victimes, on comptait 63 victimes de traumatismes pénétrants causés par des missiles. Sur ces 63 victimes, on comptait 31 Britanniques, 29 prisonniers de guerre irakiens et 3 Égyptiens. […]

 

C. TRAVAUX PRÉPARATOIRES DU ROYAUME-UNI POUR ORGANISER LES MISSIONS MÉDICALES DURANT LA GUERRE DU GOLFE

[Source : Général de division R. P. Craig, « Preparations Made and Lessons Learned by the United Kingdom Defence Medical Services During Operation Granby », in Journal of the US Army Medical Department, 1992, pp. 26-30 [traduction CICR]]

 

[…]

 

Taux de pertes humaines

 

La présence d’unités de soutien médical et chirurgical pendant la guerre dépend de divers facteurs, mais le taux de pertes reste le paramètre le plus important […]. Il est calculé par des experts en stratégie militaire, avec l’appui du service en charge de l’analyse opérationnelle, mais jamais par les services médicaux eux-mêmes. […]

 

Effectifs militaires

 

Le deuxième élément déterminant pour savoir si un appui médical est adapté est, à l’évidence, l’ampleur des effectifs militaires déployés et du personnel militaire exposé au risque. […]

 

Prisonniers de guerre blessés

 

Au départ, l’envergure des services hospitaliers déployés dépendait de l’estimation préalable du nombre de blessés dans les forces armées britanniques. Ainsi, ces structures sanitaires n’étaient pas destinées à accueillir des prisonniers de guerre (désignés par l’expression « prisonniers de guerre ennemis » dans les pays du Golfe). Finalement, plusieurs unités sanitaires multinationales furent déployées afin d’accroître la capacité britannique, y compris des hôpitaux de campagne du Canada, de Suède et de Roumanie. La Norvège, la Belgique, la Nouvelle-Zélande, le Danemark, les Pays-Bas et Singapour proposèrent aussi une assistance. […]

 

Le conflit

 

Côté britannique, l’hôpital de campagne 32 prenait en charge la plus grande partie des soldats blessés et évacués suite aux opérations terrestres, dont près de 50% étaient Irakiens. […]

 

Philosophie du déploiement

 

La philosophie appliquée par les forces britanniques pour le traitement des soldats blessés au combat reposait sur deux principes :

 

1) Que le plus grand nombre reçoive des soins et soit en mesure de retourner au combat ;

 

2) Que ceux qui ne peuvent être soignés ne soient admis en unité de soins intensifs ou ne subissent d’opérations chirurgicales que si leur évacuation vers un nouveau lieu de prise en charge médicale est garantie.

 

 

D. CHAÎNE D’ÉVACUATION MÉDICALE MISE EN PLACE PAR L’ARMÉE BRITANNIQUE

[Source : T. E. Martin, « Al Jubail – an aeromedical staging facility during the Gulf conflict: discussion paper », in Journal of the Royal Society of Medicine, 1992 (85), pp. 32-36, disponible sur : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1293459/pdf/jrsocmed00115-0048.pdf]

 

[…]

 

Au cours du second semestre de l’année 1990, la Royal Air Force a mis en place une chaîne d’évacuation médicale pour appuyer la première division blindée britannique, dans le cadre de l’opération Granby (désignée aux États-Unis par le nom de code « opération Tempête du désert »). […]

 

Lorsque la phase d’offensive terrestre a débuté, la chaîne d’évacuation britannique était déjà pleinement opérationnelle et en capacité de soigner et de transférer des centaines de blessés chaque jour. En l’occurrence, seulement 850 patients furent transférés via cette chaîne d’évacuation pendant le conflit et moins de 10 % des blessures étaient dues aux combats. […]

 

Des plans d’intervention sanitaire d’urgence adaptés à un conflit à grande échelle avaient été préalablement établis et il était évident que disposer de la possibilité d’une évacuation médicale aérienne était indispensable. Dans les conflits contemporains, le temps nécessaire pour transférer des blessés vers des centres médicaux éloignés de la zone de combat est extrêmement réduit, grâce à la rapidité de l’évacuation, qui peut aussi bien s’effectuer par transport routier que par voie aérienne, notamment par hélicoptère. […]

 

Le concept d’opération (CONOPS)

 

Le détachement sanitaire aérien à Jubail était situé au centre d’une chaîne d’évacuation qui partait du champ de bataille pour aller jusqu'au Royaume-Uni. D’autres installations sanitaires aériennes britanniques étaient positionnées à Bahreïn, Dhahran, Riyad et Qaisumah dans la région du Golfe, ainsi qu’à Akrotiri, à Chypre. Le plan consistait à évacuer les blessés depuis les postes de triage et de secours situés derrière les lignes de front, vers des hôpitaux de campagne à proximité de la tête de pont aérienne de Qaisumah, à près de 75 km au sud de la frontière entre l’Irak et l’Arabie saoudite. Une fois arrivés, ils étaient transportés par avion directement jusqu’à Riyad ou Jubail pour y recevoir d’autres soins médicaux, le cas échéant, avant d’être transférés vers une antenne chirurgicale.

 

[…]

 

Pendant toute la conduite des hostilités, 848 blessés au total furent transportés via la chaîne d’évacuation médicale de la Royal Air Force (RAF). […]

 

 

Discussion

 

I. Qualification de la situation et droit applicable

 

1. Comment qualifieriez-vous la situation dans le golfe Persique en 1990-1991 ? S’agissait-il d’un conflit armé ? Dans l’affirmative, les États-Unis et le Royaume-Uni étaient-ils parties au conflit ? De quelles informations supplémentaires auriez-vous besoin pour procéder à une telle qualification ? Quel est le droit applicable ? (CG I-IV, art. 2 ; PA I, art. 1)

 

II. Traitement et soin des blessés

 

2. Quelles sont les obligations qui incombent aux parties à un conflit armé à l’égard des blessés et des malades ? À quel type de soins ont-ils droit ? Le DIH prévoit-il l’évacuation des blessés et des malades du champ de bataille ? (CG I, art. 12 et 15 ; PA I, art. 10 ; DIHC, règles 47, 87, 109 et 110)

 

3. Dans quelles circonstances un individu est-il considéré comme « blessé » au titre du DIH ? Une distinction peut-elle être établie entre civils et combattants ? Entre combattants du même camp et combattants ennemis ? Le DIH autorise-t-il les parties au conflit à soigner en priorité les soldats de leurs forces armées ? La distinction de caractère défavorable en ce qui concerne la fourniture de soins médicaux aux blessés est-elle interdite par le DIH ? Quel est le statut des combattants blessés qui tombent au pouvoir de l’adversaire ? (CG I, art. 12, 13 et 14 ; PA I, art. 8)

 

4. Un travail préparatoire est-il nécessaire afin de se conformer aux obligations relatives au traitement des blessés et des malades ? Les États-Unis et le Royaume-Uni étaient-ils dans l’obligation de prévoir des antennes sanitaires pour soigner les blessés ? Quels facteurs ont-ils pris en considération lors des préparatifs des opérations d’appui médical pendant la guerre du Golfe ? Le DIH prévoit-il que des acteurs extérieurs puissent intervenir pour apporter une assistance aux parties au conflit afin de fournir des soins médicaux aux blessés ? (CG I, art. 27)

 

III. Éléments contribuant au respect du DIH

 

(Documents A et C) Dans quelle mesure l’objectif visant à « limiter au minimum l’impact des maladies, des dommages et des blessures sur la capacité d’intervention, l’efficacité et le moral des unités » incite-t-il les parties au conflit à garantir des soins médicaux aux blessés ? Selon vous, quelle est la corrélation entre le moral des soldats et le fait de savoir qu’une partie au conflit a bien prévu des structures pour soigner les combattants susceptibles d’être blessés pendant le conflit armé ?

 

5. (Document C) Etes-vous d’accord avec l’affirmation selon laquelle les parties au conflit peuvent avoir un intérêt militaire à fournir des soins médicaux aux blessés, afin que ces derniers soient en mesure de « retourner au combat » aussitôt que possible ?

 

6. Pensez-vous que la réciprocité positive ait un rôle à jouer lorsqu’il s’agit de proposer un traitement médical et des soins aux soldats ennemis ? Le fait qu’il soit entendu que la partie adverse soignera les soldats blessés indépendamment du camp pour lequel ils ont combattu pourrait-il contribuer au respect des normes relatives au DIH et applicables par une partie au conflit ?