Libération de détenus lors du conflit armé au Yémen.

Accord relative à l’échange et la libération de détenus au Yémen : 2018-2019

Dispositions du DIH

Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :


Les personnes civiles et les personnes hors de combat doivent être traitées avec humanité.

Les prisonniers de guerre doivent être libérés et rapatriés sans délai après la fin des hostilités actives.

Les internés civils doivent être libérés dès que les causes qui ont motivé leur internement cessent d’exister, mais en tout cas dans les plus brefs délais possibles après la fin des hostilités actives.

Les personnes privées de leur liberté en relation avec un conflit armé non international doivent être libérées dès que les causes qui ont motivé leur privation de liberté cessent d’exister. Les personnes privées de leur liberté en relation avec un conflit armé non international doivent être libérées dès que les causes qui ont motivé leur privation de liberté cessent d’exister.

Résumé du cas d’étude

Le Yémen est dévasté par un conflit armé depuis 2014. Depuis 2015, une coalition militaire dirigée par l’Arabie Saoudite mène des attaques contre les Houthis, un groupe armé non étatique, en soutien au gouvernement yéménite. Les combats se poursuivent entre les forces gouvernementales et d’autres groupes armés. Les groupes armés s’affrontent également entre eux dans d’autres régions du pays. Les Nations Unies (NU) poursuivent leurs efforts visant à négocier la paix entre les parties. Pendant ce temps, des personnes sont toujours détenues ou internées en raison des combats.

Dans le cadre d’un accord négocié par les NU et signé en 2018 par des représentants des parties yéménites et de la coalition arabe pour instaurer une confiance mutuelle, les deux camps ont libéré des centaines de détenus conformément au DIH. Les signataires de l’accord ont pu être influencés par un ou plusieurs des facteurs suivants : les efforts diplomatiques ; l’influence de la communauté internationale ; la volonté de se montrer crédible et d’améliorer leur image publique.

Respect du DIH : les points à retenir

  1. En décembre 2018, des représentants des parties yéménites et de la coalition arabe ont signé un accord pour procéder à « l’échange complet et intégral de tous les prisonniers et détenus, de toutes les personnes disparues, détenues arbitrairement ou de toutes les personnes victimes de disparition forcée, ainsi que celles assignées à résidence » dans le cadre d’un processus facilité par les NU et le CICR.
  2. En 2019, les signataires de l’accord ont commencé à honorer leur engagement : le Comité national houthi pour les prisonniers a libéré 290 détenus. De son côté, la coalition menée par l’Arabie Saoudite a libéré 128 détenus.

Ce cas pratique a été élaboré par Tawny Brar, Patrick Calvo, Jenna Corcoran, Paola Maymí, Austin McCarthy, George Mixon et Nathalie Kalombo, étudiants (Juris Doctor) à la faculté de droit d’Emory, sous la supervision de Laurie Blank, professeure de la faculté de droit d’Emory.

 

A.  UN ACCORD POUR L’ÉCHANGE DE PRISONNIERS A ÉTÉ CONCLU ENTRE LES PARTIES YÉMÉNITES

[Source : Bureau de l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour le Yémen, Agreement for The Exchange Prisoners, Detainees, Missing Persons, Arbitrarily Detained And Forcibly Disappeared Persons, And Those Under House Arrest, 17 décembre 2018, [traduction CICR] disponible sur : https://osesgy.unmissions.org/agreement-exchange-prisoners-detainees-missing-persons-arbitrarily-detained-and-forcibly-disappeared]

 

Préambule :

 

Il s’agit d’une question humanitaire qui ne saurait être utilisée à des fins politiques quelles qu’elles soient ou à d’autres fins et les parties apporteront leur concours pour réunir les familles endeuillées, conformément aux principes de l’Islam.

 

Reconnaissant l’importance de répondre à ce problème de manière immédiate, conformément aux procédures légales et aux dispositions applicables, notamment les Conventions, normes et principes relatifs au droit international humanitaire, aux droits de l’homme et au droit national applicable de la République du Yémen, ainsi que conformément aux résolutions des Nations Unies,

 

Cet accord a été exécuté sous les auspices et la supervision du Bureau de l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour le Yémen, en sa qualité de protecteur et garant de cet accord.  Le Comité international de la Croix-Rouge devra également superviser et faciliter le processus d’échange et les procédures techniques prévues par l'accord.

 

 […] En conséquence, la sécurité des employés du Comité international de la Croix-Rouge devra être assurée tout au long du processus et tous les équipements nécessaires devront leur être fournis, de manière à ce que le Comité international de la Croix-Rouge puisse remplir son rôle d’intermédiaire neutre, afin de promouvoir la mise en œuvre de l’accord.

 

En gage de leur bonne volonté et pour soutenir le processus de paix, les parties yéménites et les Représentants de la Coalition Arabe (ci-après, « les Parties ») s'engagent à organiser un échange de tous les prisonniers, détenus, personnes disparues, personnes détenues arbitrairement ou victimes de disparitions forcées et des personnes assignées à résidence, conformément aux principes suivants :

 

[…]

 

Dispositif de mise en œuvre :

 

Chaque Partie devra transmettre à la Partie du camp adverse les listes de ses prisonniers, détenus, personnes kidnappées, ou toute autre personne arrêtée en lien avec le conflit, dans un délai d’une semaine à partir de la date de signature de cet accord. Toutes les listes seront échangées en passant par le Bureau de l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour le Yémen.

 

 

Les listes finalisées devront être signées par toutes les Parties et transmises au Bureau de l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour le Yémen et au Comité international de la Croix-Rouge, en vue de préparer et organiser le processus d’échange, en coordination avec le Bureau de l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour le Yémen.

[…]

 

Une commission composée de représentants des deux parties devra être constituée et devra débuter sa mission après signature de l'accord, pour retrouver et échanger les corps sur toutes les lignes de front et zones de combat et les deux Parties devront apporter leur concours au travail de cette commission, garantir sa sécurité et coopérer.

[…]

 

 

B.  PRÈS DE 300 DÉTENUS ONT ÉTÉ LIBÉRÉS PAR LES FORCES HOUTHIES

[Source : Deutsche Welle, Houthi Rebels Release Hundreds of Detainees in Yemen, 30 septembre 2019, [traduction CICR] disponible sur : https://www.dw.com/en/houthi-rebels-release-hundreds-of-detainees-in-yemen/a-50647201]

 

Lundi, les rebelles Houthis yéménites ont libéré au moins 290 détenus dans une prison de la capitale, Sanaa, suite à un accord relatif à un échange des prisonniers, signé entre les rebelles et le gouvernement soutenu par les Saoudiens, sous les auspices des Nations Unies.

 

En décembre 2018, les Houthis soutenus par l’Iran avaient conclu un accord avec le gouvernement du Yémen pour échanger des prisonniers, une première étape pour établir un climat de confiance réciproque. Chaque partie s’était engagée à libérer au moins 7 000 prisonniers, mais la mise en œuvre de l’accord a été entravée.

 

Un grand nombre de prisonniers avaient été capturés à la suite de bombardements orchestrés par les forces rebelles depuis 2014, après qu’ils se soient emparés de Sanaa et d’une majeure partie du nord du Yémen, en écartant le gouvernement yéménite en place.

 

 […] Lundi, les Houthis ont déclaré avoir libéré 350 détenus de la prison centrale de Sanaa et ont ajouté que les noms des prisonniers libérés figuraient sur une liste élaborée dans le cadre de l'accord conclu sous l’égide des Nations Unies.

 

La Croix-Rouge a déclaré avoir participé au processus de libération de 290 prisonniers ; toutefois, davantage de prisonniers auraient pu être libérés sans son assistance, selon The Associated Press.

 

Un haut-responsable houthi, en charge des questions relatives aux prisonniers, a déclaré aux journalistes, devant la prison, que cette initiative avait « prouvé » que les rebelles respectaient leur engagement à mettre en œuvre l’accord conclu en Suède à la fin de l’année 2018 et a appelé la coalition menée par les Saoudiens à « prendre des mesures similaires ».

 

L’Envoyé spécial des Nations Unies pour le Yémen, Martin Griffiths, a salué cette décision unilatérale de libérer les prisonniers, ajoutant qu’il espérait que cette étape « mène à de nouvelles initiatives qui faciliteront l’échange de tous les détenus liés au conflit, conformément à l’accord de Stockholm ».

[…]

C.  LES HOUTHIS ANNONCENT LA LIBÉRATION DE PRISONNIERS

[Source : Houthis announce release of hundreds of prisoners, Al Jazeera, 30 septembre 2019, [traduction CICR] disponible sur :  https://www.aljazeera.com/news/2019/09/houthis-announce-release-350-prisoners-almasirah-tv-190930083854096.html]

 

[…] Dans une déclaration diffusée sur Al Masirah TV, le Comité national houthi pour les prisonniers (NCPA) a annoncé que les noms des détenus étaient inscrits sur la liste élaborée dans le cadre de l’accord sur l’échange de prisonniers, conclu à Stockholm en décembre dernier.

 

« Notre initiative est une preuve de notre engagement à mettre en œuvre l’accord suédois et nous appelons les autres parties à prendre des mesures similaires », a déclaré Adboul Qader al-Murtada, le chef du NCPA, dans un communiqué diffusé sur des chaînes de radio et de télévision pro-houthis.

 

« Nous avons pris la décision de libérer 350 prisonniers, car aucun des objectifs fixés par l’accord de Suède n’a été atteint. La libération aura lieu aujourd’hui », pouvait-on lire dans le communiqué du NCPA.

 

Les Houthis ont déclaré que la libération des prisonniers était un gage de leur bonne volonté, un geste directement adressé à la coalition conduite par l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis, qui mène une campagne de bombardements en soutien au gouvernement d’Abdrabbo Mansour Hadi reconnu par la communauté internationale depuis 2015.

 

[…]

 

Il a exhorté les Nations Unies à faire pression sur le gouvernement afin qu’il prenne des mesures similaires.

 

 […]

 

Les Houthis ont récemment annoncé la capture de centaines de membres des forces loyalistes yéménites lors de l’offensive de la fin du mois d’août, à proximité de la frontière saoudienne, mais ces derniers ne faisaient pas partie de ceux qui ont été libérés lundi.

 

Lundi dernier, le ministre de l’Information au Yémen, Mouammar al-Iryani, a accusé les rebelles houthis de revendiquer une « fausse victoire » pour occulter le dilemme politique auquel ils sont confrontés.

 

D.  LA COALITION SAOUDIENNE LIBÈRE DES DÉTENUS HOUTHIS DANS LE CADRE DE L’ÉCHANGE

[Source : Houthi prisoners released by Saudi arrive in Yemeni capital, Reuters 28 novembre 2019, [traduction CICR] disponible sur : https://www.reuters.com/article/us-yemen-security-prisoners/houthi-prisoners-released-by-saudi-arrive-in-yemeni-capital-idUSKBN1Y217P]

 

Jeudi, un groupe de prisonniers houthis libérés par l’Arabie Saoudite est arrivé dans la capitale yéménite, Sanaa, selon des correspondants de Reuters. Une nouvelle étape a ainsi été franchie et pourrait inciter les parties à mettre un terme à une guerre qui frappe le pays depuis près de cinq ans.

 

Les détenus sont issus d’un mouvement pro-iranien contre lequel la coalition militaire menée par l’Arabie Saoudite lutte depuis mars 2015, après que les Houthis aient renversé le gouvernement de Sanaa, reconnu par la communauté internationale.

 

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui a assuré le transfert des détenus de l’Arabie saoudite vers le Yémen, a affirmé que 128 personnes avaient été rapatriées. Mardi, la coalition a déclaré avoir libéré 200 prisonniers. Il a été difficile, au départ, d’expliquer pourquoi ces chiffres étaient différents.

 

Selon les correspondants de Reuters, les deux avions du CICR qui transportaient les détenus ont atterri à l’aéroport de Sanaa.  

 

« Le CICR considère ce rapatriement comme une étape positive et espère qu’elle favorisera la libération et le rapatriement d’autres personnes détenues dans le cadre du conflit », a déclaré l’organisation dans un communiqué de presse. Le CICR a également rappelé qu’il avait agi en qualité d’intermédiaire neutre, sans participer aux négociations ayant précédé la libération.

 

Selon nos sources, depuis la fin du mois de septembre, Riyad tente de faire avancer les négociations informelles avec les Houthis concernant un cessez-le-feu, dans l’objectif de mettre fin à cette guerre impopulaire et alors que les Émirats arabes unis, son principal allié dans la coalition, ont rappelé leurs troupes. 

 

[…]

 

Discussion

 

I. Qualification de la situation et droit applicable

1.       Comment qualifieriez-vous la situation au Yémen ? Existe—il un conflit armé ?  De quelles informations supplémentaires auriez-vous besoin pour procéder à une telle qualification ? (CG I, art. 3 ; PA II, art. 1)

 

II. La libération des prisonniers dans le cadre d’un conflit armé

2.    Quelles sont les principales protections dont bénéficient les personnes privées de liberté dans les conflits armés ? Ces protections sont-elles identiques selon qu’il s’agit d’un conflit armé international ou d’un conflit armé non international ? (CGI, art. 2 ; CGI, art. 3 ; PA II, art. 1 ; CG IV, art. 32 ; CG IV, art. 76, DIHC, règle 87)

 

3.      Quand les personnes privées de leur liberté en lien avec un conflit armé devraient-elles être libérées ? Les règles énoncent-elles un moment précis où il faut les libérer et si oui, de quelle manière ? (CG III, art. 3 ; PA II, art. 4 ; PA II, art. 5 ; DIHC, règle 128)

 

III. Éléments contribuant au respect du DIH

4.      (Document A) Selon vous, quelle a été l’influence de l’accord de Stockholm sur la décision des Houthis de libérer des détenus ? Pensez-vous que les relations diplomatiques et la pression exercée par la communauté internationale aient pu influencer les parties au conflit en les encourageant à respecter le DIH ?

 

5.      (Document A) La religion a-t-elle influencé la décision de libérer les détenus par les parties au conflit, tel que mentionné dans le préambule de l’accord de Stockholm ?

 

6.      (Documents A et B) Quel a été le rôle du Bureau de l’Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour le Yémen pour aider à mettre en œuvre l’accord prévoyant la libération et l’échange de prisonniers ? Quels ont été les avantages de disposer du CICR en qualité d’intermédiaire neutre pour organiser l’échange ?

 

7.      (Document C) La pression politique exercée publiquement par les responsables houthis, en appelant la coalition menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis à prendre des mesures, a-t-elle pu avoir une influence sur ce qui a suivi ?

 

8.     (Document C) D’après la déclaration suivante des représentants houthis : « Notre initiative est une preuve de notre engagement à mettre en œuvre l’accord suédois et nous appelons les autres parties à prendre des mesures similaires », pensez-vous que cette initiative conforme au DIH aurait pu être motivée par une volonté de gagner en légitimité et d’améliorer leur image auprès de l’opinion publique ? Aurait-il pu s’agir d’un moyen d’ « occulter le dilemme politique auquel ils sont confrontés », tel que l’a laissé entendre le ministre du Yémen ?

 

9.      (Documents B, C et D) D’après vous, peut-on considérer la libération de prisonniers houthis par la coalition menée par l’Arabie Saoudite comme un exemple de réciprocité positive ?