Jordanie/Irak : restitution de pièces d’antiquité

La Jordanie restitue des pièces d’antiquité : 2003-2019

Dispositions du DIH

Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :


DIH coutumier : Chaque partie au conflit doit respecter les biens culturels :

Toute saisie, destruction ou dégradation intentionnelle d’établissements consacrés à la religion, à l’action caritative, à l’enseignement, à l’art et à la science, de monuments historiques et d’œuvres d’art et de science, est interdite.

Tout acte de vol, de pillage ou de détournement de biens qui présentent une grande importance pour le patrimoine culturel des peuples, ainsi que tout acte de vandalisme à l’égard de ces biens, est interdit.

Premier Protocole à la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (La Haye, 14 mai 1954) : Chacune des Hautes Parties contractantes s'engage à remettre à la fin des hostilités, aux autorités compétentes du territoire précédemment occupé, les biens culturels qui se trouvent chez Elle, si ces biens ont été exportés contrairement au principe du paragraphe premier du Premier Protocole à la Convention de La Haye de 1954.

Résumé du cas d’étude

La Jordanie a ratifié le Premier Protocole à la Convention de La Haye de 1954 en 1957.

En 2003 en Irak, en raison d’un conflit armé, des pièces d’antiquité ont été pillées sur les sites archéologiques du pays et dans les musées. Il y a eu de nombreuses tentatives de trafic illicite de ces biens volés en passant ou en transitant par le territoire de la Jordanie voisine.

Conscients de l’importance du patrimoine culturel irakien, les agents des douanes jordaniens ont saisi des milliers de pièces d’antiquité volées. La Jordanie les a conservées, puis les a restituées à l’Irak. Dans cette situation, le respect du DIH a été renforcé par la coopération entre les autorités jordaniennes, divers services de forces de l’ordre, des organisations culturelles internationales et régionales et des éducateurs militaires.

Respect du DIH : les points à retenir

  1. Pendant le conflit, la Jordanie a constitué une unité spéciale à la frontière avec l’Irak pour empêcher le trafic de pièces d’antiquité irakiennes, en utilisant des technologies avancées pour détecter les biens volés. Entre 2003 et 2019, les douanes jordaniennes ont identifié et saisi plus de 5 000 antiquités volées. La Jordanie s’est chargée de les conserver jusqu’à ce que l’Irak demande que ces pièces lui soient restituées.
  2. La Jordanie a ensuite restitué à l’Irak des milliers de pièces d’antiquité.
  3. La coopération entre le Département des antiquités jordanien, divers services de forces de l’ordre, des universités militaires et des organisations culturelles internationales et régionales, en particulier l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) a renforcé le respect du patrimoine culturel et du DIH et a permis d’aider à prévenir le trafic de biens culturels volés.

Ce cas pratique a été élaboré par Neil Cockerill, Patrycja Pałys et Andreas Piperides, étudiants en droit (LL.M) à l’université de Leiden, sous la supervision du professeur Robert Heinsch ainsi que de Sofia Poulopoulou et Daniel Mogster (respectivement chercheuse doctorante et chercheur), du Kalshoven-Gieskes  Forum de l’université de Leiden. 

 

A. LA JORDANIE PREND DES MESURES POUR RETROUVER LES ANTIQUITÉS IRAKIENNES 

[Source : Comité international de coordination (CIC) pour la sauvegarde du patrimoine culturel en Irak, rapport final, 3e session plénière, 13-14 novembre 2007, p. 15 [traduction CICR] disponible sur : http://www.unesco.org/culture/laws/pdf/ICC2007_FinalReport.pdf] 

 

[…]

 

Le docteur Fawaz Al Khraysheh (directeur du Département des antiquités de Jordanie) a fait observer que de 2003 à 2005, la Jordanie a tenté de limiter le trafic illicite d’antiquités irakiennes. Environ 1 600 objets issus du patrimoine culturel irakiens ont été saisis au cours de 23 opérations douanières et transfrontalières différentes. Il a également fait remarquer que, parmi les objets saisis, se trouvaient un certain nombre de reproductions. Il a rappelé qu’il avait été demandé à l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) et au SBAH (Conseil national des antiquités et du patrimoine irakien) de faire l’inventaire de tous les objets saisis. Il a insisté sur la coopération de son département avec l’ICCROM (Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels), l’ALECSO (Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences), l’ISESCO (Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la culture), l’UNESCO, des institutions japonaises et d’autres institutions et universités afin d’organiser des formations. […] Il a aussi rappelé que la Jordanie conserverait ces antiquités retrouvées en lieu sûr jusqu’à ce que l’Irak demande leur restitution. Il a mis fin à son intervention en insistant sur le fait que les manuscrits historiques devraient aussi faire l’objet d’une attention particulière.

 

[…]

 

B. CRÉATION D’UNE UNITÉ JORDANIENNE SPÉCIALISÉE POUR LUTTER CONTRE LE TRANSPORT ILLICITE D’ANTIQUITÉS IRAKIENNES

[Source : UNESCO, rapport sur la mise en œuvre de la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé adoptée à la Haye en 1954 et de ses deux Protocoles de 1954 et 1999, 2005-2010, p. 51, disponible sur : https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000140792_fre]

 

[…] En 1996 a été créée au sein du Département de la lutte contre les stupéfiants une unité chargée de surveiller tout impact sur les antiquités meubles et immeubles. Il existe une coopération étroite et directe entre les forces de l'ordre, le Département des douanes et le Département des antiquités. D’autre part, les questions relatives au patrimoine culturel et naturel figurent aux programmes d’études des départements militaires et sécuritaires des universités et des sections d’enseignement des forces armées. 

 

Pendant la guerre d’Iraq, en 2003, une unité jordanienne spécialisée a été déployée à la frontière irakienne pour lutter contre le transport illicite de biens du patrimoine irakien. Employant les dispositifs de détection les plus élaborés, cette unité s’est révélée très efficace pour mettre un terme au transport illicite. Le Gouvernement jordanien a rendu aux autorités irakiennes des centaines d’objets, dont des sculptures, des poinçons et des tablettes d’argile gravées. 

 

[…]

 

C. LA JORDANIE RESTITUE LES ANTIQUITÉS VOLÉES À L’IRAK

[Source: The Daily Star Lebanon, « Stolen artifacts trickle back to Iraq, this time from Jordan », 24 juin 2008, [traduction CICR] lien non disponible]   

 

[…]  Ce dimanche, les autorités jordaniennes ont remis au plus haut responsable des antiquités irakiennes près de 2 500 objets archéologiques volés. Cet échange est le dernier d’une longue liste, tous très médiatisés, qui permettent aux gouvernements de se présenter comme des soutiens à l’Irak déchirée par la guerre, en l’aidant à récupérer son patrimoine volé. Lors d’une brève cérémonie organisée à Amman, au département des antiquités de Jordanie, la ministre jordanienne du Tourisme, Maha al-Khatib, a présenté les pièces d’antiquité au représentant du gouvernement irakien, Mohammad Abbas al-Uraibi.

 

Au cours des derniers mois, les autorités jordaniennes disent avoir saisi quelque 2 466 pièces lors de contrôles aux frontières.

 

« Les objets ont été saisis par les douaniers jordaniens lors de 22 tentatives de contrebande » a déclaré Khatib. « Toutes les personnes impliquées ont été arrêtées ».

 

La restitution de ces objets, a-t-elle poursuivi, a prouvé l’efficacité des mesures prises par les autorités jordaniennes pour empêcher que ses frontières ne deviennent un passage pour les contrebandiers.

 

Dans le chaos qui a suivi l’invasion américaine de 2003, les pilleurs ont volé près de 32 000 pièces sur les 12 000 sites archéologiques d’Irak. De plus, on pense que 15 000 objets historiques supplémentaires volés au Musée national de Bagdad sont sortis du pays par voie clandestine. Les pilleurs ont volé les collections babyloniennes, sumériennes et assyriennes du pays, héritées de la civilisation mésopotamienne ancienne et représentant près de 7 000 ans d’histoire.

 

Amira Iadan, responsable du bureau des antiquités et du patrimoine irakien, a déclaré que les pièces archéologiques récupérées étaient riches en « valeur humaine et culturelle » et dataient de périodes allant de 7 000 à 200 av. J.-C. L’objet le plus précieux a été volé au Musée national. Il s’agissait d’un relief en ivoire daté du premier millénaire et hérité de la ville assyrienne antique de Nimrod.

 

[…]

 

Uraibi a déclaré aux journalistes que dans les jours à venir, les antiquités retrouvées seraient préparées à l’envoi et restituées à l’Irak. Il a déclaré que seulement 8 500 pièces d’antiquité avaient été retrouvées, en dépit d’un système de récompense instauré octroyant jusqu’à 3 000 dollars à ceux qui rendaient les objets volés.

 

L’événement de dimanche fut le dernier d’une série de cérémonies consacrées à la restitution des antiquités pillées aux responsables irakiens. En avril, les autorités syriennes ont restitué près de 700 pièces volées, notamment des pièces d’or et des bijoux, saisis par les douaniers.

 

[…]

 

Les responsables irakiens et internationaux de la culture se sont battus pour retrouver ces trésors, de peur qu’ils ne soient à nouveau perdus dans un climat de violence généralisée et qu’il soit difficile d’évaluer l’étendue des dégâts.

 

[…]

 

[Source: Daily Mail, « Ancient artefacts looted from Iraq are finally returned home after Jordanian officials caught smugglers with 1,300-piece priceless stash », 3 février 2019, [traduction CICR] disponible sur : https://www.dailymail.co.uk/news/article-6663681/Ancient-artefacts-Iraq-returned-home-Jordanian-officials-1-300-piece-stash.html

 

Des antiquités très anciennes pillées en Irak ont été rendues après l’arrestation des contrebandiers […].

 

Des textes sumériens anciens, des poteries et des vases en verre datant de l’ère babylonienne, qui étaient tous exposés au Musée national de Bagdad, ont été saisis en Jordanie.

 

Ils sont maintenant exposés dans le Musée en Irak, après que son voisin, la Jordanie, ait restitué ces précieuses antiquités.

 

Le ministre de la Culture irakien Abdulameer al-Hamadani a déclaré : « Le patrimoine irakien a beaucoup souffert durant ces dernières décennies du fait de pillages et de destructions. Nous croyons que la protection du patrimoine irakien relève d’une responsabilité collective mondiale, car il s’agit du patrimoine de l’humanité toute entière ».

 

Al-Hamadani demande à présent à la communauté internationale de soutenir l’Irak dans sa quête de restitution des antiquités.

 

La restitution de ces objets archéologiques à l’Irak a eu lieu alors que le Premier ministre Adel Abdul-Mahdi et son homologue jordanien, Omar Razzaz, ont exprimé leur volonté nouvelle de faire front commun.

 

Samedi, la frontière entre les deux nations a été officiellement réouverte après la signature d’un accord, qui prévoit notamment de favoriser les échanges commerciaux.

 

 

[…]

 

Discussion

 

I. Qualification de la situation et droit applicable

1. Comment qualifieriez-vous la situation en Irak en 2003 ? S’agissait-il d’un conflit armé ? Si oui, quelles étaient les parties au conflit ? De quelles informations supplémentaires auriez-vous besoin pour procéder à une telle qualification ? (CG I-IV, art. 2)

2. Comment qualifieriez-vous le territoire irakien en 2003 ? En application du DIH, peut-on considérer certaines zones de ce territoire comme occupées ? (CG I-IV, art. 2; Règlement de la Haye, art. 42)

3. La Jordanie était-elle partie au conflit armé en Irak en 2003 ? Dans le cas contraire, avait-elle, malgré tout, des obligations en vertu du DIH ? Lesquelles ? Les traités internationaux relatifs à la protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé soumettent-ils les États tiers à des obligations ? (Premier Protocole pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. La Haye, 14 mai 1954, par. 3)

 

 

II. Protection des biens culturels

4. Qu’entend-on par « bien culturel » ? Quelle est la protection garantie par le DIH contre le trafic illicite de biens culturels issus du territoire de pays touchés par des conflits armés ? Les États sont-ils tenus de réprimer le transfert illicite de biens culturels ? Quand peut-on considérer que l’exportation, le transport ou le transfert de ces biens sont « illicites » ? Quelles mesures peuvent être adoptées à cette fin ? (Convention de La Haye 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, art. 1, 2, 3, 4, 8; Premier Protocole de la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé 1954, par. 1, 2, 3; DIHC, règles 40-41)

5. Les Hautes Parties contractantes au Premier Protocole de la Convention de La Haye sont-elles tenues de restituer les biens culturels aux territoires à partir desquels ils ont été transférés illicitement ? Quel est le champ d’application temporel de cette obligation ? (Premier Protocole de la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, par. 3)

6. Quel rôle est envisagé pour l’UNESCO dans la Convention de La Haye de 1954 ? Les Hautes Parties contractantes de la Convention peuvent-elles faire appel à son concours ? (Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, art. 23)

 

 

III. Éléments contribuant au respect du DIH

7. (Document A) Quels sont les avantages que la Jordanie peut tirer de la coopération avec de multiples acteurs régionaux et internationaux afin de garantir la protection des antiquités irakiennes ? La coopération entre les États contribue-t-elle au respect des obligations relatives aux biens culturels ?  

8. Le cas échéant, la valeur symbolique et historique des biens culturels peut-elle inciter les États à respecter leurs obligations envers les biens culturels ? La manière dont l’opinion publique perçoit les dommages causés aux biens culturels peut-elle inciter les États à mettre en œuvre des mesures pratiques pour protéger les biens culturels dans les conflits armés ?  

9. (Document C) Pensez-vous que les bonnes relations politiques et économiques qu’entretient la Jordanie avec l’Irak ont pu avoir une influence dans sa décision de restituer les pièces d’antiquité à l’Irak ?