Libye : le CICR visite des détenus

Visites des détenus en Libye : 2011–2013

Dispositions du DIH

Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :


Chacune des Parties au conflit sera tenue d'appliquer au moins les dispositions suivantes :

  • Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable.
  • Les blessés et malades seront […] soignés.
  • Un organisme humanitaire impartial, tel que le Comité international de la Croix-Rouge, pourra offrir ses services aux Parties au conflit.

Dans les conflits armés internationaux, le CICR doit se voir accorder un accès régulier à toutes les personnes privées de liberté afin de vérifier leurs conditions de détention et de rétablir le contact entre ces personnes et leur famille.

Résumé du cas d’étude

En 2011 en Libye, les mouvements sociaux ont conduit au déclenchement d’un conflit armé, s’accompagnant de plusieurs milliers d’arrestations. La situation était complexe et changeante, avec de nombreux lieux de détention contrôlés par une multitude d’acteurs distincts.

De nombreuses autorités détentrices ont instauré un dialogue avec le CICR, permettant aux délégués de l’organisation de visiter les détenus dans les lieux de détention que ces autorités contrôlaient afin de vérifier que les prisonniers étaient bien traités. Grâce au soutien du CICR, les autorités ont également pris des mesures concrètes pour garantir un meilleur traitement des prisonniers et de meilleures conditions de vie.

Respect du DIH : les points à retenir

  1. Plusieurs autorités ont permis au CICR de procéder à des visites régulières dans des lieux de détention placés sous leur contrôle et de s’entretenir en privé avec les détenus de leur choix, en particulier les personnes dont la détention revêtait un aspect hautement politique. Elles ont accepté de recevoir des conseils confidentiels du CICR concernant certains détenus, ce qui a conduit à la libération de certains prisonniers pour raison médicale.
  2. Dès 2011, les autorités détentrices ont autorisé le CICR à fournir aux détenus des biens de première nécessité, tels que des kits d’hygiène et à répondre à des besoins en fonction des saisons, en fournissant par exemple des couvertures et des vêtements chauds et en s’assurant qu’ils restent en bonne santé en hiver.
  3. En 2013, lorsque la situation sécuritaire s’est améliorée, les autorités pénitentiaires ont coopéré avec le CICR pour améliorer les conditions de détention des prisonniers, en particulier :
    • permettre à 1 050 détenus issus de deux prisons à Tripoli d’avoir un meilleur accès à la lumière du jour et à l’extérieur en aménageant un espace récréatif extérieur et en plaçant des fenêtres dans les cellules
    • faire en sorte que les détenus puissent faire l’objet d’un examen médical à leur arrivée et aient accès aux programmes de santé publique nationaux

Ce cas pratique a été élaboré par Matthew Brown et Clara Burkard, étudiants en droit (LL.M.) à l'université de Leiden, sous la supervision du Professeur Robert Heinsch ainsi que Sofia Poulopoulou et Christine Tremblay, doctorantes au sein du Kalshoven-Gieskes Forum de l’université de Leiden ; avec la contribution de Jemma Arman et Isabelle Gallino, étudiantes en droit (LL.M.) à l'Académie de Genève.

 

A. LIBYE : LES SOUFFRANCES ET LES DANGERS SUBSISTENT

[Source : CICR, « Libye : les souffrances et les dangers subsistent », point sur les activités n° 12/01, 16/02/2012, disponible à la p. 25 : https://library.icrc.org/library/docs/DOC/PSA_2012_FRE.pdf]

 

Actuellement, les délégués du CICR visitent quelque 8 500 détenus dans plus d’une soixantaine de lieux de détention. Environ 10% des personnes détenues sont des ressortissants étrangers.

« Nous portons une attention toute particulière au traitement des détenus et insistons sur le fait que leur dignité doit être respectée en toutes circonstances » a indiqué M. Comninos, chef de la délégation du CICR en Libye. « La situation actuelle est complexe et difficile à gérer, parce qu’il y a beaucoup de lieux de détention et un grand nombre d’autorités responsables à différents niveaux. » Le CICR a appelé toutes ces autorités à veiller à ce que les détenus soient remis au ministère de la Justice et placés dès que possible dans des lieux de détention convenables.

« Bien que nous restions déterminés à régler toutes les questions de manière bilatérale avec les autorités responsables, la situation actuelle en Libye a confirmé que notre travail est nécessaire dans les lieux de détention, a ajouté M. Comninos. Nos compétences et la qualité du dialogue que nous avons établi avec les autorités à tous les niveaux nous permettent d’obtenir certaines améliorations en ce moment critique. »

Les visites du CICR se déroulent régulièrement. Les délégués de l’institution s’entretiennent sans témoin avec les détenus de leur choix, afin d’évaluer leurs conditions de détention et le traitement qui leur est réservé. Tous les centres de détention et tous les détenus doivent être visités. Le CICR examine également les besoins des détenus en matière de soins médicaux, et donne la possibilité aux prisonniers de se mettre en contact avec leur famille.

Entre le début du mois de mars 2011 et la fin de l’année dernière, le CICR a effectué quelque 225 visites dans 100 lieux de détention en Libye.

Pour contribuer à faire en sorte que les conditions de détention soient acceptables, le CICR a également fourni une aide aux détenus. Il a distribué plus de 2 500 assortiments d’articles d’hygiène dans plus d’une trentaine de centres à travers le pays. Dans les prisons situées dans les montagnes de Nafoussa, à Tajoura, à Tripoli et à Misrata, les secours comprenaient plus de 3 000 couvertures, 700 matelas et près de 2 900 pulls et autres articles d’hiver. […]

 

B. RAPPORT D’ACTIVITÉ DU CICR  2013 (LIBYE)

[Source : CICR, Rapport d’activité 2013 (Libye), p. 164-169, [traduction CICR et Croix-Rouge française] disponible sur : http://www.refworld.org/pdfid/5374af880.pdf]

Principaux résultats/obstacles en 2013 :

[…]

Les conditions de vie des détenus visités par les délégués se sont quelque peu améliorées, grâce à l'appui direct et au travail du CICR, tandis qu'un dialogue s’est progressivement instauré avec les autorités, pour mettre en place des réformes au sens large.

[…]

Personnes privées de liberté (toutes catégories/tous statuts confondus)

Visites du CICR

Détenus visités : 13 622 ; 

Détenus visités et suivis individuellement : 280 ;

Nombre de visites effectuées : 81 ;

Nombre de lieux de détention visités : 41.

[…]

 

MESURES ET RÉSULTATS DU CICR

 

[…]

Il a souvent fallu établir de nombreux contacts préliminaires avec les autorités pour que les délégués puissent rendre visite aux personnes détenues dans le cadre du conflit de 2011 ou des flux migratoires en Libye. Ils ont examiné le traitement et les conditions de vie des détenus. Les autorités détentrices ont reçu un compte-rendu confidentiel sur les visites et sur les différentes difficultés rencontrées, notamment concernant le respect des garanties judiciaires. Un dialogue portant sur de plus larges réformes - concernant les services de santé, la gestion des locaux, etc., s’est progressivement instauré. Grâce à l'appui du CICR et à son travail avec les autorités détentrices, les conditions de vie se sont rapidement améliorées : ceci est principalement dû à la construction d'espaces extérieurs pour les détenus, à l'amélioration du système d'approvisionnement en eau, aux campagnes de lutte contre les maladies et à la distribution d'articles ménagers et d'hygiène essentiels. […]

 

La poursuite tardive d’un dialogue avec les autorités détentrices

A la suite des visites du CICR, les autorités détentrices - y compris les ministères de la Défense, de l'Intérieur et de la Justice, ainsi que les brigades révolutionnaires soumises au processus de mise sous contrôle gouvernemental de tous les lieux de détention - ont bénéficié des retours confidentiels et des recommandations du CICR pour améliorer la situation. Les questions relatives au traitement des détenus et les cas individuels nécessitant une attention particulière figuraient parmi les sujets abordés dans les conclusions ; à la suite de quoi certains détenus ont été relâchés pour motif médical.

[…]

 

Les conditions de vie des détenus s'améliorent

Les autorités ont remédié à certaines déficiences du système pénitentiaire avec l'appui technique du CICR, notamment dans le domaine de la santé. Il s'agissait de contribuer à l'élaboration d'un projet de mise en place de dispensaires dans les prisons et de veiller à ce que les détenus fassent l’objet d’un examen médical à leur arrivée et puissent bénéficier des programmes de santé nationaux.

 

[…]

Chaque fois que les conditions de sécurité le permettaient, les autorités pénitentiaires et le CICR s'efforçaient d'améliorer les conditions de vie, en particulier l'hygiène générale des détenus dans certaines prisons ou centres de rétention. Par exemple, à Tripoli, 1 050 détenus dans deux prisons et 150 migrants dans un centre ont eu un meilleur accès à la lumière du jour et à l'air frais après la construction et l'installation d'un espace extérieur et de fenêtres dans les cellules.

 

C. LE CICR DIT AVOIR VISITÉ LE FILS DE KADHAFI EN PRISON

[Source : Reuters Africa, « Le CICR dit avoir visité le fils Kadhafi en prison », 22 novembre 2011, [traduction CICR et Croix-Rouge française] disponible sur : https://fr.reuters.com/article/idUSTRE7AL1VK20111122]

GENÈVE, le 22 novembre - Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a déclaré avoir rendu visite à Saif al-Islam Kadhafi en détention en Libye, ce mardi.

« Le CICR a rendu visite à Saïf al-Islam Kadhafi cet après-midi à Zintan. Il semblait en bonne santé », a déclaré Steven Anderson, porte-parole du CICR, à Reuters.

Il a refusé de nommer le centre de détention de Zintan, dans la région des montagnes de l'Ouest, ou de donner plus de détails sur la visite du fils de Mouammar Kadhafi, qui fut un temps manifestement destiné à lui hériter, et qui a été capturé samedi par des combattants libyens dans le désert du Sud.

Cette visite était respectait les procédures habituelles du CICR, qui prévoient notamment le droit d'interroger les détenus en privé et d'effectuer des visites de suivi, a indiqué M. Anderson.

« C’est l’une des nombreuses visites effectuées par les délégués (officiels) du CICR auprès des personnes placées en détention en Libye, dans le but d’observer les conditions dans lesquelles elles sont détenues et le traitement qu'elles reçoivent », a-t-il déclaré. […]

En échange de l'accès aux détenus, les observations confidentielles sur les conditions de détention et le traitement des détenus ne sont communiquées qu'aux autorités détentrices. Le CICR transmet également des messages entre les détenus et leur famille.

Yves Daccord, directeur général du CICR, a déclaré lors d'une conférence de presse lundi que l’organisation avait demandé aux autorités libyennes l'autorisation de rendre visite à Saïf al-Islam en prison et qu'il avait besoin de « protection ». […]

 

Discussion

I. Qualification de la situation et droit applicable

1. Comment qualifieriez-vous la situation en Libye ? De quelles informations supplémentaires auriez-vous besoin pour procéder à une telle qualification ? (CG I-IV, art. 2 et art. 3 ; PA I, art. 1 ; PA II, art. 1)

 

II. Détention

2. Le DIH se prononce-t-il sur la détention dans les conflits armés non internationaux ? Quelles sont les protections prévues par le DIH pour les personnes détenues ou internées dans un conflit armé non international ? En droit international des droits de l'homme ? (CG I-IV, art. 3 ; PA II, art. 4, 5 et 6 ; voir aussi Principes de procédure et garanties en matière de détention interne/administrative dans les conflits armés et autres situations de violence).

3. Le CICR a-t-il le droit de rendre visite aux détenus ? Dans les conflits armés internationaux ? Dans les conflits armés non internationaux ? (CG I-IV, art. 3 ; CG III, art. 126 ; CG IV, art. 143 ; PA II, art. 18)

4. Les civils qui sont détenus dans le cadre de procédures pénales ordinaires sont-ils toujours protégés par le droit international humanitaire ? Le CICR peut-il leur rendre visite ? Si oui, sur quel fondement juridique ?

5. Les belligérants sont-ils tenus de libérer les détenus si leur état de santé l'exige ? En est-il de même dans les conflits armés non internationaux ?

6. Selon vous, le fait de rendre visite à une personnalité politique de premier plan est-il conforme aux Principes fondamentaux du CICR ? Même si la personne est accusée de crimes de guerre ? (Proclamation des Principes fondamentaux de la Croix-Rouge)

 

III. Éléments contribuant au respect du DIH

7. Pourquoi les États peuvent-ils être réticents à autoriser des visites du CICR dans les prisons ? Quels aspects du modus operandi du CICR pourraient les encourager à autoriser de telles visites (voir Proclamation des Principes fondamentaux de la Croix-Rouge ; les objectifs et le déroulement des visites du CICR) ?

8. Quel soutien pratique le CICR peut-il apporter aux centres de détention ? En quoi ceci peut-il être bénéfique pour les autorités détentrices ?

9. Le Document B mentionne les nombreux contacts entre CICR et les autorités. Pensez-vous que ces relations pourraient contribuer à renforcer le respect du DIH ? De quelle manière ?

10. Selon vous, le fait que les personnes privées de liberté aient été correctement traitées et que leur dignité ait été respectée pendant leur détention peut-il encourager le processus de paix après la fin des hostilités ? Pourquoi ?