Identification des dépouilles mortelles

Identifier les dépouilles mortelles aux îles Falkland/ Malouines : 1982–2018

Dispositions du DIH

Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :


Chaque fois que les circonstances le permettent, chaque partie au conflit doit prendre sans tarder toutes les mesures possibles pour rechercher, recueillir et évacuer les morts, sans distinction de caractère défavorable.

Les parties au conflit doivent s’efforcer de faciliter le retour des restes des personnes décédées, à la demande de la partie à laquelle ils appartiennent ou à la demande de leur famille.

Les morts doivent être inhumés de manière respectueuse, et leurs tombes doivent être respectées et dûment entretenues.

Afin de permettre l’identification des morts, chaque partie au conflit doit enregistrer toutes les informations disponibles avant l’inhumation, et marquer l’emplacement des sépultures.

Chaque partie au conflit doit prendre toutes les mesures pratiquement possibles pour élucider le sort des personnes portées disparues par suite d’un conflit armé, et doit transmettre aux membres de leur famille toutes les informations dont elle dispose à leur sujet.

Résumé du cas d’étude

Le conflit armé de 1982 entre l’Argentine et le Royaume-Uni (RU) dans les îles Falkland/Malouines a fait de nombreuses victimes. À l’époque, certains des morts n’avaient pas pu être identifiés et les familles des soldats disparus en ont profondément souffert.

Pendant des années, des anciens combattants de l’armée argentine et de l’armée britannique ont interpelé leurs gouvernements pour qu’ils aident à établir l’identité des corps non identifiés. En décembre 2016, convaincus de l’importance humanitaire de cette initiative, les gouvernements d’Argentine et du RU ont signé un accord permettant au CICR de procéder à une identification médico-légale des restes humains de personnes décédées en raison du conflit. L’accord prévoyait notamment l’obligation des parties de fournir des réponses aux familles des disparus.

Les familles des soldats argentins identifiés grâce à ce procédé ont été par la suite autorisées à se rendre sur la tombe de leurs proches et d’y inscrire leur nom.

Respect du DIH : les points à retenir

  1. Après le conflit, un officier de l’armée britannique a recueilli les corps de près de 120 soldats argentins décédés et les a inhumés avec soin, avec tous leurs effets personnels, dans des tombes individuelles gravées. Il avait noté l’emplacement où chaque soldat avait été retrouvé, inhumé et chaque caractéristique particulière du corps, pour permettre l'identification.
  2. Dans l’objectif d’apporter des réponses aux familles des soldats non identifiés, les anciens combattants de l’armée argentine et de l’armée britannique se sont assurés d’obtenir le soutien des deux parties au conflit afin d’identifier ces dépouilles mortelles.
  3. En décembre 2016, après avoir défini conjointement l’objectif humanitaire à suivre, l’Argentine et le RU ont signé le Plan de projet humanitaire, permettant au CICR de se charger de l’identification des restes humains.
  4. En coopération avec les familles des disparus, le CICR a exhumé les dépouilles de 122 soldats et, en utilisant des technologies médico-légales de pointe, a procédé à des analyses par ADN pour confirmer l’identité des victimes, afin d’apporter des réponses à leurs familles.

Ce cas pratique a été élaboré par Nina Bries, Lavinia Francesconi et Naomi Smith, étudiantes en droit (LL.M) à l’université de Leiden, sous la supervision de Robert Heinsch (professeur) et de Sofia Poulopoulou et Daniel Møgster (chercheuse doctorante/chercheur) au Kalshoven-Gieskes Forum de l’université de Leiden.

 

A. UNE ACTION COMMUNE EN VUE D’IDENTIFIER LES SOLDATS INCONNUS

[Source : Patrick Wintour, « Falklands: Argentinian soldiers’ relatives to put names on graves », The Guardian, 11 mars 2018, [traduction CICR] disponible sur : https://www.theguardian.com/uk-news/2018/mar/11/argentinian-soldiers-names-graves-falkland-islands-dna]

 

[…]

 

Les proches parents de 89 soldats argentins jusqu’alors non identifiés, tués lors de l’invasion des îles Falkland/Malvinas en 1982, se rendront sur place ce mois-ci pour faire graver un nom sur leurs tombes.

 

Cette identification a été rendue possible grâce à des analyses ADN méticuleusement réalisées et au travail humanitaire d’un capitaine britannique qui, en 1982, avait rassemblé les dépouilles mortelles de plus de 120 soldats ainsi que les effets personnels retrouvés sur leurs corps et les avait enterrés en inscrivant sur chacune des tombes « Soldado argentino solo conocido por Dios («Soldat argentin dont le nom n'est connu que de Dieu»).

 

[…]

 

En 2016, à la suite d’une campagne menée conjointement par des anciens combattants britanniques et argentins, les gouvernements britannique et argentin avaient établi que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) se chargerait de réaliser l’analyse des dépouilles exhumées.

 

Les principaux acteurs de cette campagne, parmi lesquels des experts légistes du CICR, Roger Waters du groupe Pink Floyd, ainsi que les familles des soldats inconnus, se sont réunis vendredi à l’ambassade d’Argentine à Londres pour célébrer leur action commune en faveur de la réconciliation.

 

[…]

 

Nigel Baker, chef de la section Amérique du Sud au ministère des Affaires étrangères, a déclaré : « Il était clair pour nous qu’il s’agissait d’un problème humanitaire pour lequel la priorité première était de respecter la volonté des familles ». Il a rendu hommage aux groupes d’anciens combattants qui « continuent à nous enseigner la véritable signification des termes "dignité" et "réconciliation" ».

 

Le processus d’identification a été rendu possible grâce à Geoffrey Cardozo, capitaine de l’armée britannique parlant couramment l’espagnol. Initialement déployé dans les îles Falkland/Malvinas en 1982 pour s’assurer du respect de la discipline militaire après la fin des hostilités, il passa finalement six semaines à aider à la construction d’un cimetière destiné à accueillir les dépouilles de soldats — des conscrits, pour la plupart — que les forces britanniques retrouvaient dispersées sur le territoire des îles, parfois à demi enterrées. Il prit soin de recouvrir de draps blancs les corps de chaque soldat et de les envelopper dans des sacs plastiques, avant de les enterrer dans un cercueil contenant les effets personnels retrouvé sur le corps, tels que des numéros d’identification ou des lettres de leurs familles. Il tint par ailleurs un journal de bord, qui contenait des indications sur les endroits où les corps avaient été retrouvés, l’endroit précis où ils étaient enterrés et des détails relatifs aux signes distinctifs des dépouilles.

 

« Certes, je suis officier de l’armée, je suis un soldat, mais avant toute chose, je suis un être humain. Ce sont 900 jeunes cœurs humains qui ont cessé de battre en 1982, même s’ils continuent de battre très fort dans le cœur de leurs proches », a déclaré Geoffrey Cardozo.

 

En 2008, il a donné son journal de bord à trois anciens combattants argentins. L’un d’entre eux, Julio Aro, avait visité le cimetière en 2008 et créé la fondation No Me Olvides («Ne m’oubliez pas»). Ce dernier a indiqué qu'il avait manifesté sa détermination à identifier les morts à la suite d'une conversation qu'il avait eu avec sa propre mère, cette dernière lui ayant dit : « Si tu avais été porté disparu, j’aurais cherché à te retrouver jusqu’à mon dernier souffle ». Si cela avait été son cas, a-t-il poursuivi, il sait qu’il aurait été impossible de l’identifier, car son nom n’aurait été gravé nulle part, mais simplement griffonné sur un bout de papier, collé à l’aide de ruban adhésif.

 

Roger Waters a expliqué s’être associé à cette campagne lors d’une tournée en Argentine, en décembre 2011. À ce moment-là, il avait reçu un courriel d’un correspondant de guerre argentin, Gaby Cociffi, qui l’avait poussé à faire pression sur le président argentin.

 

Il a déclaré : « Ces familles ont subi une double perte : celle d’avoir perdu un enfant dans la guerre et celle de n’avoir aucun endroit où se recueillir pour y déposer une fleur ou verser une larme ».

 

[…]

 

À l’ambassade, il a lu un extrait de l’appel qu’il avait lancé aux législateurs des îles Falkland/Malvinas, les exhortant « à imaginer l’angoisse des familles, à s’élever au-dessus des basses querelles et à opter pour le sens moral le plus élevé », ajoutant que « s’ils en étaient capables, il s’agirait là d’un geste remarquable ». Ils ont finalement opté pour ce choix honorable, a-t-il fait observer.

 

Après des années de campagne, en décembre 2016, les deux gouvernements sont finalement parvenus à un accord sur une opération forensique pluridisciplinaire, dans le cadre de laquelle le CICR a été chargé d’identifier les dépouilles mortelles des soldats.

 

Laurent Corbaz, responsable du Plan de projet humanitaire au CICR, s’est mis en relation avec les proches des soldats disparus et a pu obtenir des échantillons d’ADN collectés auprès des membres des 107 familles, pour tenter de recouper ceux-ci avec les analyses de l’ADN prélevé sur les dépouilles. Personne ne pouvait prédire l'état dans lequel on trouverait les corps.

 

« Pendant sept semaines à compter de juillet de l’année dernière, c’est-à-dire en plein hiver, dans les Malvinas, nous avons travaillé au cimetière pour exhumer les 122 dépouilles, porter les échantillons d’ADN à la morgue, puis replacer les dépouilles dans leurs sépultures et dans de nouveaux cercueils », a indiqué Laurent Corbaz. « Nous n’avions jamais effectué une opération de cette envergure auparavant. Nous avons dû déployer des équipements très spécifiques et installer une morgue à la pointe de la technologie ». Les échantillons d’ADN étaient envoyés au laboratoire d’une morgue en Argentine et, en parallèle, à deux autres laboratoires situés au Royaume-Uni et en Espagne pour confirmation des résultats.

 

Morris Tidball-Binz, expert forensique au sein du Comité international de la Croix-Rouge, a indiqué : « Parfois, il a été nécessaire de revenir vers les familles pour prélever de nouveaux échantillons d’ADN, lorsque le lien de parenté avec les soldats disparus ne pouvait pas être établi avec certitude. Nous avons établi un degré de fiabilité de 99,8 %. Le processus a été astreignant : ne serait-ce que quelques années plus tôt, les avancées de la science ne nous l’auraient pas permis ».

 

Interrogé sur son ressenti après avoir rencontré, pour la première fois, d’autres militants dans le cadre de cette campagne, tels que Geoffrey Cardozo, Roger Waters a déclaré : « C’est un cadeau de l’univers d’avoir l’opportunité de faire preuve d’empathie et d’amour pour un autre être humain ».

 

Ou encore, pour reprendre les mots de l’ambassadeur d’Argentine : « Parfois, les plus grandes tragédies donnent lieu aux plus beaux gestes et motivent les actions les plus exemplaires ».

 

 

[Source : Federico Rivas Molina, « Thirty-five years later, a drive to identify soldiers who died in Falklands War », El País, 7 juin 2017, [traduction CICR] disponible sur : https://english.elpais.com/elpais/2017/06/06/inenglish/1496757536_525378.html]

 

[…]

 

Le projet faisait l’objet de discussions depuis de nombreuses années déjà. En 2012, à l’occasion de la 30e cérémonie de commémoration du conflit, le gouvernement de Cristina Fernández de Kirchner avait initié un processus similaire, mais celui-ci avait achoppé […].

 

[…]

 

Les pourparlers ont repris lorsque Mauricio Macri a été élu président de l’Argentine. Dans le cadre des mesures envisagées par son gouvernement pour améliorer les relations avec Londres, le ministère des Affaires étrangères a publié, le 17 juin 2016, un communiqué indiquant qu’il autorisait la Croix-Rouge à se rendre dans les îles « en vertu du caractère strictement humanitaire de cette initiative ».

 

 

B. LE PLAN DE PROJET HUMANITAIRE CONVENU ENTRE L’ARGENTINE, LE ROYAUME-UNI ET LE CICR SUR L’IDENTIFICATION DES DÉPOUILLES MORTELLES DE SOLDATS ARGENTINS NON IDENTIFIÉS

[Source : « le Plan de projet Humanitaire convenu par l’Argentine, le Royaume-Uni et le CICR sur l’identification des dépouilles mortelles de soldats argentins non identifiés et enterrés dans le cimetière de Darwin, aux îles Falkland (Malvinas) », [traduction CICR] 20 décembre 2016, Bulletin officiel de la République argentine, disponible sur : https://www.boletinoficial.gob.ar/]

 

Préambule

 

Considérant [...]

 

Que l’Argentine et le Royaume-Uni se sont engagés à apporter des réponses aux familles conformément à leurs obligations au titre du DIH d’aider à l’identification des dépouilles de soldats argentins inconnus enterrés au cimetière de Darwin ;

 

Que le CICR, en tant qu'organisation humanitaire neutre et impartiale, s’est engagé à soutenir l’Argentine et le Royaume-Uni dans leurs efforts en vue d’identifier les restes humains des soldats non identifiés de façon à apporter des réponses à leurs familles ;

 

Les Parties ont convenu de ce qui suit :

 

Article 1. Objectif et application du Plan de projet humanitaire

 

L’Argentine et le Royaume-Uni demandent au CICR, et permettent à celui-ci, de mener à bien les opérations d’identification des dépouilles mortelles des soldats argentins non identifiés inhumés dans 123 tombes du cimetière de Darwin, dans le but de déterminer l’identité la plus probable des défunts, en poursuivant l’unique objectif humanitaire d’aider à apporter des réponses à leurs familles, conformément aux conditions et aux modalités du Plan de projet humanitaire. […]

 

Article 2. Cadre juridique et principes directeurs

 

Le Plan de projet humanitaire et l’ensemble des activités menées dans le cadre de celui-ci seront régis et guidés par les principes suivants :

 

1) Les Parties seront engagées dans la mise en œuvre du Plan de projet humanitaire selon des objectifs purement humanitaires et dans le seul but de déterminer l’identité la plus probable des soldats argentins non identifiés enterrés au cimetière de Darwin afin d'en informer leurs familles.

 

2) L’approche adoptée par les Parties concernant les activités relatives au Plan de projet humanitaire sera strictement humanitaire et s’abstiendra de toute autre action susceptible de transgresser, compromettre ou entraver le caractère et la visée humanitaires dudit Plan.

 

[…]

 

5) Les Parties respecteront et préserveront la dignité des soldats non identifiés, de leurs dépouilles mortelles et de leurs familles tout au long du processus.

 

6) L’Argentine et le Royaume-Uni s’assureront que le CICR est en mesure de mener l’ensemble des activités du Plan de projet humanitaire en pleine conformité avec ses principes fondamentaux de neutralité, d’impartialité et d’indépendance reconnus et définis dans les Statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

 

[…]

 

 

C. LA DIPLOMATIE AU SERVICE D’OBJECTIFS HUMANITAIRES

[Source : CIRC, « Diplomacy at the Service of Humanitarian Objectives: Reflections on the Humanitarian Project Plan on the Falkland/Malvinas Islands », [traduction CICR] 21 novembre 2018, disponible sur : https://www.icrc.org/en/document/diplomacy-service-humanitarian-objectives]

 

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la Mission permanente de la République argentine et la Mission permanente du Royaume-Uni organisent conjointement, le 21 novembre 2018, un événement sur le thème « diplomatie au service d’objectifs humanitaires ».

 

Cet événement a lieu neuf mois après que le CICR a présenté aux gouvernements argentin et britannique son rapport final sur le Plan de projet humanitaire. […]

 

Cet événement sera l'occasion de revenir sur les facteurs qui ont permis de faire aboutir les négociations entre les deux gouvernements. Il réaffirmera l’importance du droit international humanitaire et le rôle neutre et impartial joué par le CICR pour apporter des réponses à des dizaines de familles de disparus, qui attendaient depuis des années de savoir où reposait le corps de leur proche.

 

Cette rencontre sera également l’occasion de s’entretenir des pratiques forensiques de qualité qui ont été développées dans le cadre du projet.

 

[…]

 

Le Plan de projet humanitaire relatif aux îles Falkland/Malvinas a été la première initiative forensique à être menée en vertu d’un mandat spécifique, conféré par deux pays ayant été impliqués dans un conflit armé international.

 

Le processus avait été amorcé en 2012, lorsque le gouvernement argentin avait sollicité l’aide du CICR, en tant qu’intermédiaire neutre, pour l’identification des soldats argentins.

 

Les travaux menés en 2017 et 2018 ont constitué l’aboutissement des négociations diplomatiques engagées en 2016 et ont conduit à un accord, conclu entre l’Argentine et le Royaume-Uni, confiant au CICR la tâche d’identifier les soldats morts pendant le conflit et enterrés dans des tombes portant l’inscription « Soldado argentino solo conocido por Dios («Soldat argentin dont le nom n'est connu que de Dieu) ». […]

 

Des initiatives comme ce Plan de projet humanitaire sont prévues par les Conventions de Genève et s'inscrivent au cœur de la mission plus globale du CICR consistant à prévenir et d’élucider les disparitions de personnes à la suite d’un conflit armé.

 

L’identification des soldats enterrés au cimetière de Darwin répond à l’objectif humanitaire d'apporter des réponses aux familles de disparus.

 

 

[Source : CICR, « Diplomacy in the Service of Humanitarian Objectives: Falkland/Malvinas Islands », 22 novembre 2018, [traduction CICR] disponible sur : https://www.icrc.org/en/document/diplomacy-service-humanitarian-objectives-lessons-learned-humanitarian-project-plan]

 

[…]

 

« Le principal objectif de cette opération était de permettre aux familles de vivre leur deuil dans la dignité », a déclaré Dominik Stillhart, directeur des opérations du CICR, qui s’est exprimé au début de la conférence. Outre l’aspect humain, il a insisté sur l’importance du droit international humanitaire et du processus diplomatique relatif au Plan de projet humanitaire. « Le Royaume-Uni et l’Argentine ont œuvré de concert pour définir, élaborer et atteindre un objectif humanitaire commun. Mon souhait est que d’autres États prennent exemple sur cette initiative », a-t-il conclu, en soulignant le rôle d’intermédiaire neutre joué par le CICR.

 

[…]

 

Étaient notamment présents le Secrétaire aux droits de l’homme et au pluralisme culturel de l’Argentine, Claudio Avruj, l’ambassadeur du Royaume-Uni à Genève, Julian Braithwaite, les anciens combattants Geoffrey Cardozo et Julio Aro, la présidente du comité des familles, María Fernando Araujo, et Morris Tidball-Binz, responsable des activités forensiques du Plan de projet humanitaire. On comptait également parmi les participants le Représentant permanent de l’Argentine auprès des Nations unies, Carlos Foradori, et le Représentant de Corporación América, Roberto Curilovic.

 

Deuil

 

« Nous devons reconnaître que l’Argentine pleure encore ses héros et ses familles », a déclaré Claudio Avruj, ajoutant qu'il était temps d'obtenir des réponses. Selon lui, le Plan de projet humanitaire représente « un tournant important dans l’histoire moderne » et «un exemple de la valeur que représente l’action humanitaire ».

 

Julian Braithwaite a fait observer que le Plan de projet humanitaire traitait d’une question humanitaire sensible et que la priorité était de répondre aux demandes des familles concernées. Pour lui, le Plan est « un bon exemple de la manière dont le CICR et le droit international humanitaire peuvent aller au-delà des considérations politiques pour faire passer en priorité les besoins des personnes affectées par les conflits », et il a ajouté que le CICR avait contribué de manière décisive à la coopération entre l’Argentine et le Royaume-Uni.

 

Mercedes Salado, spécialiste de médecine légale et membre du groupe d’experts, a expliqué que son travail allait au-delà d’une simple communication des informations forensiques aux familles des soldats. Elle a indiqué que pour elle, et pour toute l’équipe argentine d’anthropologie forensique, ce projet avait été empreint d’un sens moral plus profond et très différent. « Nous n’aurions jamais pensé que nous les trouverions enterrés avec respect et dignité, avec l’intention manifeste de les préserver pour l’avenir. Cela m’a touchée ».

 

Morris Tidball-Binz a fait observer que « pour chacune de ces familles, c’est comme si elles avaient marché ces 36 dernières années avec un caillou dans la chaussure et que ce caillou avait désormais été ôté ». Il a remis des pierres du cimetière de Darwin à María Fernanda Araujo, présidente du comité des familles, pour qu’elle les rapporte aux différents bureaux du comité.

 

Le frère de María Fernando Araujo faisait partie des soldats qui ont pu être identifiés dans le cadre du Plan de projet humanitaire. Elle a fait un récit très touchant de l’expérience vécue par sa famille. Ainsi, lorsque leur mère a reçu les résultats des analyses, qui confirmaient que son fils avait bien été enterré en toute dignité, elle a eu ces mots : « J’aimerais embrasser les mains qui ont pris le soin d’envelopper le corps de mon fils. Peu importe qu’elles soient anglaises, écossaises ou inuit, les mains qui ont enveloppé mon fils étaient celles d’un être humain. C’est comme si cela lui avait donné une seconde naissance ».

 

María Fernando Araujo a raconté que c’est à ce moment-là qu’elle a enfin compris que sa mère faisait référence au travail accompli par Geoffrey Cardozo, qui avait aménagé le cimetière en 1983, l’année qui avait suivi le conflit.

 

Geoffrey Cardozo était également présent. Il a relaté son expérience de l’enterrement des soldats argentins. « Ce n’était pas de mon fait. C’est l’être humain qui en moi qui a rendu cela possible », a-t-il affirmé. Julio Aro, qui avait combattu dans les rangs de l’Argentine, a déclaré voir dans le travail de Geoffrey Cardozo la preuve manifeste d’une attitude profondément humaine. « Il s’agit de se mettre à la place de l’autre. Ce que nous avons fait, nous l’avons fait avec amour, dans une volonté de se mettre au service d'autrui ».

 

[…]

 

Discussion

 

I. Qualification de la situation et droit applicable

1. Comment qualifieriez-vous la situation entre l’Argentine et le Royaume-Uni en 1982 ? S’agissait-il d’un conflit armé ? Quel était le droit applicable à la situation ? Le Protocole additionnel I était-il applicable à la situation ? Pourquoi ? (CG I-IV, art. 2 ; PA I, art. 1)

 

II. Identification des dépouilles mortelles des soldats

2. Quelles sont les obligations qui incombent aux parties au conflit, au titre du DIH, concernant la recherche, la collecte, l’identification et l’enterrement des morts ? Quel est le champ d’application temporel de ces obligations ? Le fait que le conflit prenne fin décharge-t-il les belligérants de leurs obligations à l’égard des morts ? (CG I, art. 15, 16, 17 ; PA I, art. 34 ; DIHC, règles 112 et 116)

3. Les familles des personnes disparues ont-elles le droit de connaître le sort de leurs proches ? (PA I, art. 32 ; DIHC, règle 117)

 

III. Éléments contribuant au respect du DIH

4. Pourquoi est-ce important, même longtemps après que les hostilités ont pris fin, d’identifier les morts et de leur garantir des funérailles dignes ? Est-ce pour les familles des disparus ? Pour la société dans son ensemble ? Pour les parties ? Que pensez-vous de l’idée d’organiser une cérémonie publique ?

5. (Document A) Les pressions exercées par la société civile — qui se compose de l’ensemble des personnes touchées par le phénomène, qu’il s’agisse d’anciens combattants ou même d’un musicien de rock célèbre — peuvent-elles contribuer au respect des obligations énoncées par le DIH par les parties à un conflit ? Comment peuvent-elles influencer le comportement des personnes investies des plus hautes responsabilités pour qu'elles respectent le DIH ? Pourquoi le diplomate britannique affirme-t-il que les anciens combattants « continuent à nous enseigner la véritable signification des termes "dignité" et "réconciliation"» ?

6. (Document A) Êtes-vous d’avis que « l’empathie et l’amour » ont un rôle à jouer dans le respect du DIH ?

7. (Document A) Quel est le lien entre l’élucidation du sort des personnes disparues et le processus de réconciliation ? En quoi l’intérêt manifesté par l’Argentine d’ « améliorer les relations politiques » avec le Royaume-Uni a-t-il contribué à mener ce projet humanitaire à son terme ?

8. (Document C) Quel rôle a joué la diplomatie pour signer cet accord humanitaire ? Selon vous, le DIH peut-il « dépasser les considérations politiques pour faire passer en priorité les besoins des personnes affectées par les conflits » ?

9. Pensez-vous que le fait que l’identification des disparus soit une « question purement humanitaire » facilite la coordination des efforts déployés par les parties en vue de se conformer à leurs obligations juridiques ?

10. Comment les intermédiaires neutres tels que le CICR peuvent-ils aider à surmonter les différends politiques susceptibles de faire obstacle au règlement des questions humanitaires ?

11. (Document C) Est-il possible que « d’autres États » s’inspirent de l’exemple de l’Argentine et du Royaume-Uni » ? Le fait de partager les pratiques optimales entre parties à un conflit peut-il favoriser un meilleur respect des obligations qui incombent aux États au regard du DIH ?