Inde, diffusion du DIH dans les écoles

Promouvoir le DIH dans les écoles en Inde : 1998-2009

Dispositions du DIH

Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :


Chaque partie au conflit doit respecter et faire respecter le DIH par ses forces armées ainsi que par les autres personnes ou groupes agissant en fait sur ses instructions ou ses directives ou sous son contrôle.

Les États doivent encourager l’enseignement du DIH à la population civile.

Résumé du cas d’étude

Les populations qui vivent dans l’État du Jammu-et-Cachemire administré par l’Inde subissent depuis longtemps l’insécurité due à la rivalité entre la Chine, l’Inde et le Pakistan pour le contrôle du territoire. Entre 2007 et 2009, les écoles du Jammu-et-Cachemire ont participé à un programme pilote en DIH mettant en exergue l’importance de faire la promotion des principes humanitaires auprès des jeunes pour orienter leurs choix futurs. Grâce au succès du programme, le ministère de l’Éducation indien a accepté de considérer l’idée de l’enseigner au secondaire. En parallèle, la plupart des universités indiennes avaient déjà inclus un enseignement du DIH dans leurs programmes en droit.

On retrouve la nécessité d’observer des règles humanitaires dans un conflit armé dans plusieurs épopées et textes sacrés indiens anciens connus de la plupart des Indiens, ce qui peut avoir une influence sur la manière dont le DIH est perçu dans le pays.

Respect du DIH : les points à retenir

  1. Dès 1998, sur recommandation de l’Association des universités indiennes, la plupart des universités en Inde ont intégré l’enseignement du DIH dans leurs programmes de premier cycle en droit. En 2001, pour les programmes de troisième cycle :
    • Près de deux tiers des universités indiennes proposaient aux étudiants en droit international un parcours optionnel en DIH
    • 35 universités proposaient une option DIH aux étudiants en master de Défense et d’études stratégiques
    • La plupart des programmes sur les droits de l’homme comprenaient un enseignement du DIH.
  2. Les étudiants et les enseignants en droit ont également approfondi leurs connaissances en DIH grâce aux sessions de formation dispensées par le CICR, qui a également apporté son soutien à des recherches, promu des événements et des publications, la plupart du temps en coopération avec les membres de la sphère académique indienne.
  3. Entre 2007 et 2009, 19 écoles de l’enseignement secondaire dans l’État du Jammu-et-Cachemire en Inde ont participé, à titre d’essai, au programme du CICR « Explorons le droit humanitaire » (EDH), visant à aider les jeunes à appliquer les principes humanitaires dans leur vie quotidienne. Les retours ont été positifs sur ce programme, c’est pourquoi le ministère de l’Éducation indien a considéré l’idée l’enseigner au secondaire. 

Cette étude de cas a été élaborée par Ran Yosef, étudiant en droit (LL.B) à l’université Reichman (IDC Herzliya), sous la supervision de Yael Vias Gvirsman, directrice de clinique à l’université Reichman et Jemma Arman et Isabelle Gallino, étudiantes en droit (LL.M.) à l’Académie de Genève.

 

A.    INDE : DES ÉCOLES DU JAMMU-ET-CACHEMIRE OUVRENT LA VOIE EN À LA PROMOTION DES PRINCIPES HUMANITAIRES

[Source : CICR, « Inde : les écoles du Jammu-et-Cachemire ouvrent la voie à la promotion des principes humanitaires », 28 août 2009, disponible sur : https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/feature/india-feature-280809.htm]

 

Dix-neuf écoles du Jammu-et-Cachemire ont expérimenté le programme « Explorons le droit humanitaire » (EDH) conçu pour aider les jeunes à faire leurs les principes d’humanité dans leur vie de tous les jours. Stéphanie Bouaziz, coordonnatrice du CICR chargée de la communication, a rencontré quelques uns des enseignants imaginatifs et dévoués qui, en dépit de programmes chargés, trouvent encore un peu de temps pour promouvoir les valeurs humanitaires parmi leurs élèves. 

 « Je n’attendais pas une réaction aussi favorable de la part des jeunes. Je craignais qu’ils ne veuillent pas qu’on les embête avec une matière supplémentaire, mais le résultat s’est révélé si positif que je regrette de ne pas avoir une salle de classe plus vaste pour pouvoir accueillir tous ceux qui souhaiteraient se joindre à nous ! », explique Manmeet Bali, formatrice EDH régionale pour l’État du Jammu-et-Cachemire. Enthousiaste et pleine d’entrain, l’enseignante est intarissable lorsqu’elle parle de l’impact qu’a le cours sur ses élèves âgés entre 13 et 18 ans. « Je considère qu'en tant qu’enseignante, il est de mon devoir d’aider les élèves à faire les bons choix pour l’avenir. Des choix qui doivent leur permettre d’éviter la violence et les comportements à haut risque. Il faut toujours garder à l’esprit que les enfants d’aujourd ’hui sont les adultes de demain. » 

Le programme est aussi mis en pratique dans des écoles pour filles de la région, où il a été chaleureusement accueilli. [...]

 

Appréhender les conflits sous un angle humanitaire  

Le programme EDH a une façon très particulière de promouvoir les valeurs humanitaires, dans la mesure où les enseignants laissent les élèves s’exprimer librement à travers des débats, des mises en scènes, des discussions ouvertes, etc.
 

« Je pense que cette approche interactive est très efficace et qu’elle permet aux élèves d'oublier leur stress lorsqu’ils parlent de la guerre. En classe, on ne parle pas de politique ; seul ce qui a trait à l’humanitaire est autorisé », indique Mohamed Rafi, ancien directeur de l’éducation scolaire au Cachemire.
 

Vu le succès qu’a connu ce projet pilote, les enseignants du Jammu-et-Cachemire souhaitent qu’il soit mené dans le plus grand nombre d’écoles possible, de sorte que tous les adolescents de l’État, jusque dans les régions les plus reculées, puissent en bénéficier. Un tel objectif n’est réalisable que si les modules EDH sont incorporés dans les programmes scolaires et que suffisamment d'enseignants sont formés à leur utilisation.

 

Le Jammu-et-Cachemire, un pionnier et un exemple ?  
 

Meenu Raghunathan, responsable du projet EDH pour le CICR en Inde, a fait savoir que le programme pilote EDH était actuellement dans les mains du ministère de l’Éducation, qui devait se prononcer sur son intégration dans les programmes de l’enseignement secondaire. Le Jammu-et-Cachemire a joué un rôle de pionnier en Asie du Sud, le programme n’ayant jusque-là jamais été enseigné dans la région. « D’ici à ce que les autorités soient en mesure d’assumer l’entière responsabilité du cours, le CICR continuera à fournir soutien technique et matériel didactique. Une fois que le programme sera mis en œuvre, je suis convaincu que beaucoup considéreront le Jammu-et-Cachemire comme un exemple à suivre. »

 

B.     ENSEIGNER LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE : APERÇU D’UN PROGRAMME DE SENSIBILISATION DU CICR EN INDE

[Source : U. Kadam, « Teaching international humanitarian law: an overview of an ICRC dissemination programme »Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 841, vol. 83, 2001, [traduction CICR] disponible sur : https://www.icrc.org/eng/resources/documents/article/other/57jqyx.htm]

 

[…]

 

Les responsables de la planification de l’éducation de divers pays de l’Asie du Sud ont, pour la grande majorité, convenu d’intégrer le droit international humanitaire dans l’enseignement du droit et des sciences politiques. Faisant suite aux recommandations émises par l’Association des universités indiennes en mai 1998, la plupart des universités indiennes ont inclus le droit international humanitaire comme composante de leurs programmes LL.B. de premier cycle, qui sont mis en œuvre par les 550 facultés de droit qui leur sont affiliées. Près de 30 universités proposent des cours de troisième cycle en droit international. Parmi celles-ci, une vingtaine proposent un cours optionnel complet en droit international humanitaire. De plus, au niveau master, trente-cinq universités en Inde proposent un programme d’enseignement en défense et études stratégiques, avec un cours facultatif en droit international humanitaire. La plupart des programmes de troisième cycle ou des programmes diplômants en droits de l’homme comprennent un cours de droit international humanitaire.

 

[…] Le CICR, par le biais de sa délégation régionale à New Delhi, prend activement part à la promotion du droit international humanitaire au sein des institutions académiques de l’Asie du Sud. En effet, la délégation :

 

  • Organise régulièrement une session de formation en Asie du Sud sur le droit international humanitaire destinée aux étudiants de troisième cycle et aux jeunes chargés de cours ;
  • Soutient la recherche et les publications dans ce domaine ;
  • Publie une revue sur le droit international humanitaire et organise des événements académiques sur des aspects spécifiques du droit international humanitaire, tels que la Cour pénale internationale, les Protocoles additionnels de 1977, la question des mines terrestres antipersonnel, etc.

 

La délégation accepte également des étudiants en stage et a créé un centre de documentation dans ses locaux. Elle soutient également les bibliothèques des institutions académiques en fournissant des publications sur le droit international humanitaire, organise des concours de procès fictifs et de rédaction de dissertations, ainsi que d’autres événements promotionnels. Elle organise régulièrement des programmes de formation en droit international humanitaire pour le personnel universitaire enseignant le droit, les relations internationales, les droits de l’homme, etc., qui donne des cours sur ce sujet en premier cycle et en troisième cycle. Depuis 1999, en partenariat avec l’Académie indienne de droit international, elle a lancé un programme diplômant de troisième cycle en droit international humanitaire.

 

Il est important de souligner que ces activités de la délégation du CICR à New Delhi sont menées en coopération avec des universités et d’autres établissements d’enseignement dans les pays concernés, mais aussi avec des sociétés universitaires. Les institutions académiques démontrent en général un vif intérêt pour présenter le droit international humanitaire dans l’enseignement supérieur. Par conséquent, en Asie du Sud, le secteur académique est parfaitement conscient de son importance.

 

C.    DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE : UNE PERSPECTIVE INDO-ASIATIQUE

[Source : V. S. Mani, « International humanitarian law: an Indo-Asian perspective », Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 841, vol. 83, 2001, [traduction CICR] disponible sur : https://www.icrc.org/eng/resources/documents/article/other/57jqzm.htm]

 

[…] Que les préceptes [du DIH] soient imprégnés de la sagesse émanant de toutes les civilisations humaines ne fait pas l’ombre d'un doute. Toutes les civilisations ont eu pour objectif de les faire accepter. La Bataille de Solférino de 1859 et ce que le mouvement de la Croix-Rouge d’Henry Dunant a fait en demandant une réponse aussi vaste et aussi pleine de compassion ont principalement permis de constamment raviver, intensifier, soutenir et pérenniser ces préceptes anciens. […] Ils ne sont pas seulement le produit de la civilisation européenne naissante de l’ère post-westphalienne. Si Hugo Grotius parlait de temperamenta ac belli (la modération humaine en temps de guerre) au début du dix-septième siècle, les sages d’Inde et de Chine dissertaient sur ce sujet il y a plus cinq mille ans déjà.

 

 […]

 

Inde ancienne (jusqu’à l’an 711 apr. J.-C.)  

Au début de la période pré-védique, alors que la société indienne était organisée en communautés tribales, la guerre entre les communautés était considérée comme « normale », sans retenue. Pourtant, dans de nombreuses régions de l’Inde, le cycle de la guerre était divisé en cinq phases : 1. la saisie du bétail de l’ennemi ; 2. la mobilisation en vue de l’invasion ; 3. le bombardement de la forteresse ennemie ; 4. les combats proprement dits ; et 5. la victoire. La saisie du bétail était un signe avant-coureur d’une attaque et laissait le temps aux civils et aux non-combattants de se réfugier.

 

Tandis que la société commençait à se stabiliser et à devenir de mieux en mieux organisée sur le plan politique et social pendant la période védique, les das, les Shastras et les épopées de Ramayana et Mahabharata ont commencé à prescrire ou supposer l’existence de lois et de coutumes de la guerre.

 

[…]

 

Méthodes de guerre  

Il semble que les sages des temps anciens aient eu pour credo que « la guerre pour une juste cause doit être conduite de manière juste ». Les combats doivent avoir lieu entre deux guerriers occupant une position similaire. Un guerrier en armure ne doit pas combattre un autre guerrier ne portant pas une protection similaire. […] Tout guerrier dont l’arme est brisée, dont l’arc a été fendu ou qui n’a plus de char ne doit pas être frappé.

 

Un principe de proportionnalité semble avoir exister concernant l’utilisation des armes. Nagendra Singh cite une strophe de Mahabharata, soulignant la retenue dont a fait preuve Arjuna qui s’est abstenu d’utiliser le Pasupastra (une arme « hyper-destructrice » qui lui a été remise par Lord Siva, le dieu de la destruction), car la conduite de la guerre se limitait alors aux armes conventionnelles. Une telle utilisation d’armes non conventionnelles « n’était pas même morale, et encore moins conforme à la religion ou aux lois reconnues en matière de conduite de la guerre ».

 

[…]

 

Armes de guerre  

Le principe de prohibition des armes causant des souffrances inutiles était reconnu dans l’Inde ancienne. Les flèches empoisonnées ou barbelées étaient interdites. En utilisant des armes, le premier objectif était alors d’affaiblir l’ennemi et de faire en sorte que ses guerriers soient hors de combat, mais pas de les massacrer de façon systématique. On trouve une preuve évidente de ceci pendant la guerre de Rama contre le roi-démon Ravana, lorsque Rama interdit à son frère Lakshmana d’utiliser une arme de guerre qui pourrait anéantir la race ennemie tout entière, y compris ceux qui ne sont pas armés, « parce qu’une telle destruction de masse est interdite par les lois de la guerre ancestrales, même si Ravana se bat pour une guerre injuste et que sa cause est injuste et que, étant lui-même défini comme un démon diabolique, il pourrait être considéré comme n’appartenant pas au monde civilisé de l’époque ».  

 

[…]

 

Traitement des populations et des biens civils

 

Les textes anciens mettent fortement l’accent sur la protection des populations et des biens civils contre les conséquences néfastes de la guerre. Un citoyen non violent qui marche le long d’une route, qui se nourrit ou qui se cache et tous les civils se trouvant près du lieu des combats ne doivent pas être blessés.

 

[…]

 

 

« Si un fort peut être capturé par d’autres moyens, il ne doit jamais être pris par le feu, car le feu est sournois ; il déplaît non seulement aux dieux, mais il détruit également les populations, les graines, le bétail, l’or, les matières premières et bien d’autres choses. De même, la prise d’un fort et de biens détruits par le feu n’est qu’une source de pertes supplémentaires. » Il faut rappeler que :

 

« Le territoire qui a été conquis doit être préservé de manière si paisible qu’on pourrait y dormir sans crainte... En détruisant le commerce, l’agriculture et les récoltes, en poussant les populations à fuir et en tuant leurs chefs en secret, le pays sera dépouillé de son peuple. »

 

En effet, comme le fait remarquer Jawaharlal Nehru, un éminent historien indien, il était courant, dans l’Antiquité, que les belligérants signent officiellement un accord avec les chefs de villages abritant des communautés autonomes, en s’engageant à ne pas détruire les récoltes et à verser un dédommagement pour tout préjudice causé involontairement aux terres. Les guerres se tenaient habituellement dans les plaines, à l'écart des zones habitées.

[…]

 

Conclusion

 

L’Asie du Sud en général et en particulier l’Inde, peut être fier à juste titre de son patrimoine culturel. Les principes fondamentaux du droit international humanitaire sont profondément ancrés dans ce patrimoine. Ils ont pu être moins prégnants à certaines époques, mais ont toujours été reconnus comme occupant une place essentielle et ils se sont souvent entremêlés à la philosophie de chaque période historique successive.

 

[…] Le cadre juridique et institutionnel indien, fondé sur le respect des droits fondamentaux, est extrêmement favorable, ouvert et attentif à la mise en œuvre des principes du droit international humanitaire. En effet, les lois indiennes, telles que la Loi sur les conventions de Genève de 1960, doivent être élaborées en respectant les spécificités culturelles et constitutionnelles du régime politique indien.

 

Les forces armées indiennes peuvent désormais se prévaloir d'un bilan remarquable et enviable en termes de respect des préceptes du droit international humanitaire, auxquels leur Manuel militaire se conforme en très grande partie. Les diverses opérations qui ont eu lieu en dehors des frontières de l’Inde, ainsi que celles sous l’égide des Nations Unies auxquels les forces de maintien de la paix indiennes ont participé, ont largement démontré ce respect des règles du DIH.

 

 

[…]

 

Discussion

I. Diffusion du DIH

1. Les États sont-ils tenus de diffuser le droit international humanitaire dans la population civile ? Auprès des enfants ? (CG I-IV, art. 1 commun, CG I, art. 47 ; CG II, art. 48 ; CG III, art. 127 ; CG IV, art. 144). Considérez-vous que la diffusion du DIH auprès des jeunes gens contribue efficacement à réduire les souffrances liées à la guerre ?

2. Le CICR est-il soumis à la même obligation juridique que les États de respecter et de faire respecter le DIH ? (CG I-IV, article 1 commun, DIHC, Règle 143). Pourquoi ? Quelle est l’origine de ce mandat du CICR qui prévoit que l’organisation diffuse le droit international humanitaire ? (Statuts du Mouvement, art. 5, Statuts du CICR, art. 4). Est-il important que le CICR et les Sociétés nationales de la Croix-Rouge / du Croissant-Rouge diffusent le DIH même si les États remplissent déjà leurs obligations à cet égard ? Pourquoi ?

3. L’obligation de diffuser le droit international humanitaire s’applique-t-elle uniquement pendant en période de conflit armé ou également en temps de paix ? (CG I-IV, art. 1 commun, CG I, art. 47 ; CG II, art. 48 ; CG III, art. 127 ; CG IV, art. 144). Pourquoi ?

 

II. Éléments contribuant au respect du DIH

4. Selon vous, dans quelle mesure les principes humanitaires du DIH sont-ils universels ? Dans quelle mesure sont-ils fondés sur l’histoire et les textes sacrés indiens ?

 

5. Quelles mesures pourraient être prises pour adapter l’enseignement du DIH à une région du monde particulière ? Quels sont les avantages et les inconvénients d’une telle approche ?