Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :
Chaque partie au conflit doit respecter et faire respecter le DIH par ses forces armées ainsi que par les autres personnes ou groupes agissant en fait sur ses instructions ou ses directives ou sous son contrôle.
Les États et les parties au conflit doivent dispenser une instruction en DIH à leurs forces armées.
Résumé du cas d’étude
Entre 2014 et 2018, l’État islamique (EI) en Irak, un groupe armé non étatique, a cherché à occuper la région autonome du Kurdistan irakien. En 2016, les forces militaires peshmergas du Kurdistan irakien ont commencé à libérer des zones qui étaient passées sous le contrôle de l’EI.
En 2016, le président de la région autonome du Kurdistan irakien a publié un décret ordonnant aux forces peshmergas de respecter le DIH. Le ministère des Peshmergas a consulté des experts en DIH et a dialogué avec le CICR dans l’objectif de former les troupes au DIH et d’établir une stratégie relative au DIH, ce qui a conduit à l’élaboration du premier code de conduite des Peshmergas.
Respect du DIH : les points à retenir
- En 2016, le président de la région autonome du Kurdistan irakien a publié un décret appelant tous les membres des Peshmergas à respecter le DIH et les droits de l’homme fondamentaux dans le traitement réservé à la population civile. Plus précisément, le décret prévoyait les dispositions suivantes :
- S’agissant des zones qui viennent d’être libérées : protéger la population civile et autoriser la liberté de mouvement, éviter de causer des dommages à des biens civils.
- S’abstenir d’arrêter des civils sans garanties ou preuves suffisantes
- La responsabilité individuelle en cas de violation du décret.
- Par la suite, le ministère des Peshmergas a pris des mesures pour sensibiliser ses forces armées au DIH et à la protection des droits de l’homme, en consultant des experts en DIH et en droits de l’homme. Il a accepté le soutien du CICR pour :
- Former 40 personnes afin qu’elles enseignent à leur tour le DIH aux forces peshmergas
- Élaborer et distribuer un manuel présentant la stratégie relative au DIH et à la protection des droits de l’homme des Peshmergas.
- En 2018, les Peshmergas ont adopté leur premier code de conduite, élaboré avec le soutien du CICR. Ce code de conduite prévoit que les forces peshmergas respectent les principes fondamentaux du DIH (principe d’humanité, principe de distinction, principe de proportionnalité, nécessité militaire et précautions dans l’attaque). Ses dispositions faisaient en particulier référence à :
- La protection accordée aux blesses et aux maladies, aux prisonniers, aux femmes et aux enfants
- L’absence de représailles en cas de violations du DIH commises par des combattants ennemis
- La nécessité de faciliter les opérations de secours humanitaire
- Les sanctions prévues en cas de non-respect du DIH.
Ce cas pratique a été élaboré par Haya Omari, Andreas Piperides et Naomi Smith, étudiants en droit (LL.M.) à l’université de Leiden, sous la supervision du professeur Robert Heinsch, ainsi que de Sofia Poulopoulou et Daniel Møgster (chercheuse doctorante et chercheur), du Kalshoven-Gieskes Forum de l’université de Leiden.
A. UN DÉCRET OFFICIEL À L’ATTENTION DES OFFICIERS ET COMMANDANTS PESHMERGAS
[Source : Gouvernement régional du Kurdistan, présidence du Conseil des ministres, Bureau du coordinateur pour le plaidoyer international, « Clarification on Human Rights Watch (HRW) Report, Kurdistan Regional Government: Allegations of Mass Execution », 4 mars 2018, pp. 16-17, [traduction CICR] disponible sur : https://www.hrw.org/sites/default/files/supporting_resources/krg_response_march42018.pdf]
[...]
Un décret officiel a été pris par le président Massoud Barzani le 17 mars 2016. Il fait suite aux premières opérations de libération des zones sous le contrôle de l’EI [État islamique en Irak et en Syrie]. Conformément à la constitution de 2005 qui reconnait le statut d’entité autonome au Kurdistan irakien et au regard de la situation sécuritaire dans la région du Kurdistan irakien et de la lutte contre l’organisation terroriste État islamique, le décret rend les instructions suivantes. Afin de protéger les droits de l’homme durant les combats et de « préserver la position respectable et honorable des forces peshmergas », le président Barzani a donné les instructions suivantes à tous les officiers et commandants peshmergas :
1. Réitérant la mise en œuvre du décret n° 120 du 21 août 2014 qui a été transmis au ministère de l’Intérieur et des Peshmergas et qui enjoignait les forces à s’engager en faveur de hautes valeurs morales dans le cadre de la guerre contre l’EI et à protéger la vie des civils dans les zones libérées.
2. Réaffirmant que la vie des civils doit être protégée et empêcher les pillages et la destruction de leurs maisons et villages dans les zones libérées.
3. Rappelant que les civils ne doivent pas être arrêtés sans mandat judiciaire et preuves suffisantes et être jugés selon les procédures légales et dans les délais impartis.
4. Appuyant le fait que les civils ne doivent pas être déplacés sans soutien juridique et militaire.
5. Autorisant la libre circulation des civils, sauf dans les zones situées à proximité des combats contre l’EI.
6. Appelant au respect des lois et principes humanitaires relatives aux civils en ce qui concerne les lignes de défense et de front.
7. Rappelant que toute violation des points mentionnés ci-dessus engagera la responsabilité des tiers à l’origine de l’infraction.
B. LES MESURES MISES EN PLACE POUR GARANTIR UNE MEILLEURE CONNAISSANCE DU DIH AU SEIN DES FORCES PESHMERGAS
[Source : Middle East Research Institute, « Compliance of Armed Forces with International Humanitarian Law », mai 2016, p. 3, [traduction CICR] disponible sur : http://www.meri-k.org/wp-content/uploads/2016/05/Compliance-of-Armed-Forces-with-IHL-MERI-Policy-Note-May-2016.pdf]
[…]
La manière de procéder se caractérise par une poursuite et une intensification des efforts actuels visant à renforcer le respect du DIH dans les zones de combat en Irak. Pour le moment, les Peshmergas ont accueilli un certain nombre d’universitaires, dont l’expertise en matière de DIH et des droits de l’homme a été largement partagée, aussi bien avec les combattants qu’avec les commandants. [...] À ce jour, le CICR a formé plus de 40 personnes au sein des Peshmergas, qui peuvent désormais dispenser des formations en interne, établir un Code de conduite à l’attention des combattants et définir les principes qui accompagnent chacun des rôles dans le conflit.
[...]
Enfin, en coopération avec le CICR, le MoP [Ministère des Peshmergas] a élaboré et distribué un manuel décrivant les principes de la protection des droits de l’homme et du respect du DIH, précisant sans détour sa politique et ce qui était attendu des forces. Il est essentiel que le GRK [gouvernement régional du Kurdistan] fasse la démonstration active de son engagement pour respecter et faire respecter le DIH, en créant et en renforçant les mécanismes permettant d’agir contre les violations du droit international. En l’absence de ces mécanismes ou dans le cas où leur mise en œuvre aurait échoué, il conviendrait de développer et d’appliquer des mécanismes supplémentaires permettant d’établir la responsabilité.
[...]
C. INAUGURATION DU PREMIER CODE DE CONDUITE POUR LES FORCES PESHMERGAS
[Source : Gouvernement régional du Kurdistan, Ministère des Peshmergas, Code de conduite des Peshmergas, 5 décembre 2018, [traduction CICR] lien indisponible]
« Le Peshmerga est un combattant, pas un tueur »
Les Forces peshmergas, qui dépendent du Ministère des Peshmergas, sont des forces militaires professionnelles et sont résolues à se conformer au Code de conduite. Le respect du Code de conduite constitue un engagement fondamental pour les forces peshmergas qui apprennent à se comporter et à exécuter leurs devoirs de manière responsable, dans le respect systématique des principes humanitaires dans chaque situation, mais plus particulièrement dans les situations de conflits armés.
En considération de ce qui précède, en tant que membre des Forces peshmergas, je m’engage à me conformer aux règles suivantes :
Règle 1 : Je m’engage à ne cibler que des objectifs militaires et non des civils ou des biens civils.
Règle 2 : Lorsque je cible des objectifs militaires, je m’assure que les dommages collatéraux engendrés ne soient pas supérieurs à l’avantage militaire attendu. Je prends toutes les précautions possibles afin d’éviter ou de réduire au maximum les dommages collatéraux.
Règle 3 : Je n’utilise pas d’armes interdites et n’emploie pas de méthodes de guerre qui ne soient pas conformes aux règles figurant dans le présent Code de conduite.
Règle 4 : Dès que l’avancement du conflit le permettra, je m’efforcerai de recueillir et soigner les blessés et les malades et de prendre soin des dépouilles, qu’il s’agisse d’amis ou d’ennemis, en fournissant des informations sur les personnes disparues, le cas échéant. Je ferai preuve de prudence pour assurer ma sécurité et celle de mes pairs peshmergas.
Règle 5 : Je traiterai tous les individus avec humanité et respecterai leurs droits fondamentaux. Je ne porterai pas atteinte aux combattants ou aux civils qui se rendent, qui sont détenus ou qui sont placés sous mon autorité. La torture des détenus et des prisonniers de guerre est strictement interdite.
Règle 6 : Je ne prends pas d’otages et je ne les utilise pas, ni eux ni les civils, en tant que boucliers humains. J’évite de cibler des objectifs militaires situés à proximité des populations et biens civils, ou parmi eux. Je m’engage à respecter les lieux de culte et les sites culturels.
Règle 7 : Je m’assure de protéger la population civile et de respecter les biens privés et publics.
Règle 8 : Je ne déplace pas les populations civiles sauf si cela est nécessaire pour leur propre sécurité ou pour des raisons militaires impérieuses. J’autorise et facilite le retour des populations déplacées en respectant leur volonté. Le déplacement de la population civile ne doit pas durer plus longtemps que ce qui est absolument nécessaire.
Règle 9 : Je respecte les femmes et je ne commets ou ne tolère aucun viol ou abus sexuel contre quiconque.
Règle 10 : Je m’assure que les enfants bénéficient de l’aide et des soins dont ils ont besoin, je m’abstiens de lancer des attaques dirigées contre des écoles et je n’utilise pas les écoles à des fins militaires sauf pour des raisons militaires impérieuses et pendant une très courte période. Tout recrutement forcé ou volontaire d’enfants âgés de moins de 18 ans afin de les utiliser pour les combats est strictement interdit.
Règle 11 : J’autorise et je facilite l’aide humanitaire destinées aux civils qui en ont besoin.
Règle 12 : Je respecte et je protège les équipes et infrastructures médicales, y compris celles qui arborent l’emblème de la croix rouge/du croissant rouge/du cristal rouge, et d’autres symboles d’organisations humanitaires ou d’agence de presse. Toute utilisation illicite de ces symboles est interdite.
Règle 13 : Je m’abstiens de représailles et de tout acte de vengeance inhumain et brutal en violation du DCA (droit des conflits armés), même si mon ennemi commet de telles violations.
Règle 14 : Je m’engage, pour ma part, à me soumettre à l’inviolabilité de ce Code de conduite fondé sur le droit des conflits armés et à la respecter. Toute violation de ce code est strictement interdite et toute personne commettant une violation sera sanctionnée et fera l’objet de condamnations militaires à la mesure de l’infraction commise. La torture ou tout autre traitement inhumain ou dégradant sont strictement interdits dans le cadre de l’application de ces sanctions.
Discussion
I. Qualification de la situation et droit applicable
1. Comment qualifieriez-vous la situation en Irak de 2014 à 2018 impliquant l’EI ? Y avait-il un conflit armé ? Si oui, quelles étaient les parties à ce conflit ? De quelles informations supplémentaires auriez-vous besoin pour procéder à une telle qualification ? (CG I-IV, art. 3)
2. La qualification de la situation a-t-elle une influence sur l’applicabilité des obligations prévues par le DIH, qui sont corrélées d’une part à l’adoption de ce Code de conduite et d’autre part à la diffusion du DIH parmi les forces armées ?
II. Le décret présidentiel et le Code de conduite destiné aux Forces peshmergas
3. Le gouvernement régional du Kurdistan (GRK) a-t-il pour devoir de réglementer la conduite des forces peshmergas ? Le DIH oblige-t-il les parties au conflit à émettre des instructions et des codes de conduite à l’attention de leurs forces combattantes ? Quel est le rôle de ces instruments et en quoi sont-ils importants ? (CG I-IV, art. 3 ; DIHC, règles 139 et 142)
4. Selon vous, les codes de conduite suffisent-ils à garantir le respect du DIH ? Quels autres mécanismes de mise en œuvre les parties au conflit pourraient-elles mettre en place et utiliser afin de se conformer au DIH ?
5. Existe-t-il une obligation, en vertu du DIH, à former les commandants et les combattants ? À mettre des conseillers juridiques à disposition des forces armées ? (CG I, art. 47 ; CG II, art. 48 ; CG III, art. 127 ; CG IV, art. 144 ; PA I, art. 82 et 83 ; DIHC, règles 141 et 142)
III. Éléments contribuant au respect du DIH
6. (Document A et C) D’après vous, qu’est-ce qui a incité les forces peshmergas à adopter un code de conduite et à respecter les principes du DIH ? Pourquoi est-il important de « préserver la position respectable et honorable des forces peshmergas » comme l’affirme le décret présidentiel ? D’après vous, pourquoi a-t-on ordonné aux forces peshmergas de « à s’engager en faveur de hautes valeurs morales dans le cadre de la guerre contre l’EI » ? Considérez-vous que la volonté des parties combattantes de conserver une bonne image à l’extérieur puisse contribuer au respect du DIH ?
7. Pour les forces peshmergas, quel est l’intérêt d’élaborer un code de conduite qui leur soit propre ? Considérez-vous qu’il s’agisse d’un moyen de se familiariser plus facilement avec les normes humanitaires ? Cette démarche peut-elle contribuer à un plus grand respect des règles du DIH en temps de conflit armé ?
8. (Document C) Pensez-vous qu’il existe un lien entre le « professionnalisme » des forces armées et le respect du DIH ? Y a-t-il un intérêt à ce que les forces armées reçoivent une formation professionnelle et soient disciplinées ? La routine militaire contribue-t-elle au respect du DIH ? Pourquoi les commandants militaires et les leaders politiques tiennent-ils à s’assurer que leurs forces armées connaissent les normes juridiques et que leurs membres ne commettent pas de violations du droit ? À cet égard, la responsabilité des commandants ou des supérieurs en cas de violation commise par leurs subordonnés a-t-elle une influence ?
9. (Document A et C) Considérez-vous que les mécanismes permettant d’établir la responsabilité en cas de violations du DIH, tel qu’énoncé par le décret présidentiel et la règle 14 du nouveau Code de conduite, ont un rôle à jouer pour garantir le respect du droit par chaque membre individuel des forces armées ? Pourquoi est-il important de tenir les individus pour responsables des violations du DIH ? Ces mécanismes peuvent-ils empêcher de futures violations d’être commises et assurer le respect du DIH ?
10. (Document A) Selon vous, pourquoi le GRK pourrait-il souhaiter limiter la destruction des infrastructures civiles dans les zones libérées ? Pensez-vous qu’au-delà des motivations à caractère humanitaires et de la volonté de respecter le droit, les parties au conflit puissent également y voir des intérêts de nature économique et politique ? Pour ainsi « gagner les cœurs et les esprits » de la population locale ? Ou également pour jouir de moyens financiers qui seraient autrement nécessaires à la reconstruction des infrastructures dans les zones libérées ?