Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :
Chaque partie au conflit doit respecter les biens culturels ; Des précautions particulières doivent être prises au cours des opérations militaires afin d’éviter toute dégradation aux bâtiments consacrés à la religion, à l’art, à la science, à l’enseignement ou à l’action caritative, ainsi qu’aux monuments historiques, à condition qu’ils ne constituent pas des objectifs militaires. Les biens qui présentent une grande importance pour le patrimoine culturel des peuples ne doivent pas être l’objet d’attaques, sauf en cas de nécessité militaire impérieuse.
Chaque partie au conflit doit respecter les biens culturels ; Toute saisie, destruction ou dégradation intentionnelle d’établissements consacrés à la religion, à l’action caritative, à l’enseignement, à l’art et à la science, de monuments historiques et d’œuvres d’art et de science, est interdite.
Résumé du cas d’étude
La ziggourat de la cite d’Ur fait partie des sites archéologiques les plus importants d’Irak. Les Nations Unies l’ont classée au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2016.
Pendant la guerre du Golfe de 1990-1991, les États-Unis d’Amérique (EU) ont pris part à une coalition contre l’Irak, à la suite de l’invasion du Koweït par l’Irak. Selon les États-Unis, il était primordial que la conduite des hostilités soit conforme aux règles du DIH, afin de conserver le soutien de l’opinion publique à l’opération.
Conformément à ses procédures de ciblage et aux principes fondamentaux de distinction et de proportionnalité en vertu du DIH, l’armée américaine a pris diverses mesures pour éviter de causer des dommages collatéraux aux biens culturels pendant le conflit. Elle a par exemple choisi de ne pas attaquer des avions de combat irakiens situés à proximité de la ziggourat.
Respect du DIH : les points à retenir
- Afin d’aider les planificateurs des frappes à réduire le risque de causer des dommages aux biens culturels irakiens, le Commandement central américain a élaboré une liste de sites qui ne pouvaient pas être pris pour cible. Les planificateurs des frappes ont :
- évalué les cibles pour déterminer la présence de biens culturels à proximité et ont signalé ces biens sur des cartes en tant que « sites à ne pas attaquer ».
- choisi des avions et des armes qui permettaient d’être le plus précis possible au moment de frapper
- donné l’ordre aux pilotes de chasse frappant des cibles situées à proximité de biens culturels de ne pas attaquer s’ils considéraient que le risque de causer des dommages collatéraux était trop élevé.
- Lors d’une opération, les États-Unis ont choisi de ne pas attaquer deux avions de chasse irakiens situés à côté de la ziggourat, estimant que le site était trop important pour que des dommages causés incidemment soient justifiés.
- En 1993, alors qu’il présentait les mesures prises pour protéger les biens culturels en Irak lors de l’opération devant le Congrès américain, le département de la Défense des États-Unis a affirmé son intention de poursuivre ces efforts conformes aux principes de la nécessité militaire et de proportionnalité, en vertu du DIH.
Ce cas d’étude a été élaboré par Dewi Alexandra Delf et Alexandra Bernard, étudiantes en droit (LL.M.) à l’université de Leiden, sous la supervision du professeur Robert Heinsch, d’Alla Ershova (chercheurse principale) et d’Ashley Peltier (chercheuse), du Kalshoven-Gieskes Forum de l’université de Leiden.
A. LA ZIGGOURAT D’UR EST UN SITE CLASSÉ AU PATRIMOINE MONDIAL
[Source : ArchEyes, « Ziggurat Architecture in Mesopotamia », 18 avril 2016, [traduction CICR] disponible sur : https://archeyes.com/ziggurat-temples-architecture-mesopotamia/, tous les sites internet ont été vérifiés en mai 2023]
[…] La ziggourat d’Ur, une imposante pyramide à degrés mesurant environ 64 mètres de longueur et 45 mètres de largeur, est le monument datant de l'époque sumérienne le mieux conservé. La ziggourat se compose d’un empilement de plusieurs terrasses de plus en plus étroites jusqu’à son sommet à près de 20 mètres de hauteur. Elle a été construite grâce à des fondations robustes en briques crues, recouvertes de briques en terre cuite enveloppant la structure pour la protéger des aléas naturels. Chacune de ses extrémités est orientée vers un point cardinal et comme le Parthénon, ses murs sont légèrement courbés vers l’intérieur, donnant une impression de robustesse.
[…]
La ziggourat était l’un des temples qui constituaient le centre administratif de la cité et l’on considère qu’elle a également été pensée pour être le temple terrestre où le dieu de la Lune, Nanna, dieu de la ville d’Ur, avait choisi de demeurer. Nanna était décrit comme un vieil homme sage et énigmatique, portant une barbe épaisse et quatre cornes. Un seul petit sanctuaire en l’honneur de ce dieu a été placé au sommet de la ziggourat. Chaque nuit, ce sanctuaire était occupé par une personne, désignée par les prêtres parmi tous les habitants de la cité. Une cuisine, probablement utilisée pour préparer la nourriture destinée au dieu, était située au pied des escaliers situé sur l’un des flancs de la ziggourat.
[…]
[Source : AP Archive, « Sumerian ruines gain UNESCO heritage status », 21 août 2016, [traduction CICR], disponible sur : http://www.aparchive.com/metadata/youtube/d63e59c3b89b1c2f70166191bf3c518c]
La cité d’Ur, au sud de l’Irak, a été classée au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Autrefois capitale de la Mésopotamie, on trouve à Ur de nombreuses ruines qui remontent à plus de 5 mille ans.
Les ruines de la ziggourat d’Ur constituent l’un des sites archéologiques les plus prisés de la cité.
La ville d’Ur, considérée comme l’une des capitales les plus importantes de l’ère sumérienne, a finalement obtenu le statut de site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.
La cité a été la capitale de la Mésopotamie au cours du troisième millénaire avant notre ère.
[…]
« La présence de monuments anciens tels que la ziggourat, les temples, le cimetière et les autres ruines nous a aidé à convaincre l’UNESCO d’inscrire la cité d’Ur sur la liste du patrimoine mondial », a expliqué Qais Hussein Rasheed, sous-secrétaire du ministère de la Culture irakien.
[…]
B. LES ÉTATS-UNIS INSCRIVENT LA ZIGGOURAT D’UR SUR UNE LISTE DES SITES À NE PAS ATTAQUER [NO-FIRE TARGET LIST] ET ASSURENT LA PROTECTION DU PATRIMOINE MONDIAL
[Source : Final Report to Congress, « Conduct of the Persian Gulf War », avril 1992, pp. 132-133, [traduction CICR], disponible sur : https://apps.dtic.mil/dtic/tr/fulltext/u2/a249270.pdf]
[…] Les planificateurs [américains] savaient que chaque bombe pouvait avoir des conséquences morales et politiques et que l’Irak était doté d’un riche patrimoine culturel et religieux, remontant à plusieurs milliers d’années. Dans le pays [l’Irak], se trouvent des sites religieux sacrés et des milliers de sites archéologiques qui retracent l’évolution de notre civilisation moderne. C’est pourquoi dans l’élaboration de leurs stratégies relatives à la définition des objectifs militaires, les États-Unis ont soigneusement évité de causer des dommages à des mosquées, des sanctuaires religieux et des sites archéologiques, ainsi qu’à la population et aux biens de caractère civil.
Pour aider les planificateurs des frappes, les analystes du CENTCOM [le commandement central américain] spécialisés dans les renseignements en matière d’identification des objectifs, en étroite coordination avec les services nationaux de renseignement et le département d’État [des États-Unis], ont établi une liste des sites à ne pas attaquer [No-Fire Target List]. Cette liste compilait des informations sur des installations revêtant une importance historique, archéologique, économique, religieuse et politique en Irak et au Koweït et qui ne pouvaient pas faire l’objet d’attaques. De plus, il a été demandé à ces analystes d’identifier, sur une superficie de plus de 9 kilomètres, chaque cible considérée comme devant subir des attaques massives située à proximité d’écoles, d’hôpitaux et de mosquées, pour identifier les objectifs nécessitant une prudence renforcée dans la planification. Par ailleurs, en utilisant l’imagerie, les cartes des lieux touristiques et les comptes-rendus du renseignement humain (HUMINT), ce même processus d’identification a été réalisé sur l’ensemble de la ville de Bagdad. À chaque fois que les commandants en charge du ciblage considéraient la probabilité de dommages collatéraux comme trop élevée, la cible n’était pas attaquée.
[…]
[Source : Lt. Col. John G. Humphries, « Operations Law and the Rules of Engagement, in Operations Desert Shield and Desert Storm », Airpower Journal, Fall 1992, vol. VI, n° 3, pp. 38-39, [traduction CICR], disponible sur : https://www.airuniversity.af.edu/Portals/10/ASPJ/journals/Volume-06_Issue-1-4/1992_Vol6_No3.pdf]
[…] Comme l’ont montré les opérations Tempête du désert et Bouclier du désert, les règles d’engagement relèvent de considérations d’ordre opérationnel et politique qui restreignent le recours à la force militaire. Le fait que la coalition ait refusé d’attaquer des cibles autorisées situées en plein cœur de la population civile irakienne et des biens de caractère civil s’explique par une confusion entre raisons politiques et raisons stratégiques. Par exemple, la décision de la coalition de ne pas attaquer des objectifs militaires situés à proximité de biens culturels (par exemple, les deux avions de combat MiG-21 stationnés à côté du temple historique à Ur) s’explique par la nécessité de respecter l’importance culturelle de ces biens. Bien que le droit des conflits armés autorise leur destruction, ces avions de combat – ainsi que d’autres équipements de l’arsenal militaire irakien situés volontairement à proximité de sites archéologiques et de biens culturels – sont restés inscrits sur la « liste conjointe des cibles à ne pas attaquer » [No-Fire Target List], en raison de l’importance culturelle des biens situés à proximité et parce que l’endroit où ils se trouvaient les mettait d’emblée hors de combat.
[…]
Les initiatives visant à former notre personnel sur le droit des conflits armés se sont avérées efficaces. Il était primordial de condamner la guerre d’un point de vue juridique tout en traitant les soldats et les civils irakiens avec humanité, afin d’assurer un soutien de l’opinion publique américaine et internationale. Plus important encore, il le fallait car c’était la bonne chose à faire. L’application du droit des conflits a contribué à cette réussite.
C. ENCADRER LA PROTECTION DU PATRIMOINE CULTUREL
[Source : Département de la Défense (DoD) des États-Unis, « 1993 Report to Congress on International Policies and Procedures Regarding the Protection of Natural and Cultural Resources During Times of War », 19 janvier 1993, p. 205, [traduction CICR], disponible sur : https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000100159]
[…] les chefs des renseignements en matière d’identification des objectifs ont identifié de nombreux monuments ou sites du patrimoine culturel en Irak […]. Dans les listes des objectifs ont été indiqués ceux qui se trouvaient à proximité de sites du patrimoine culturel et des cartes grand format ont été utilisées pour signaler les « sites à ne pas attaquer », tels que les sites du patrimoine culturel. En étudiant des photographies grand format des cibles, chacune d’entre elles a été examinée et comparée à d’autres informations dont disposait l’armée pour localiser et identifier les sites du patrimoine culturel.
Dans la mesure du possible et à condition que le niveau de risque soit acceptable pour les avions de combat et les membres de leur équipage, des avions et des munitions ont été sélectionnés de façon à ce que les attaques visant des objectifs situés à proximité de biens culturels soient les plus précises possibles, pour réduire autant que nécessaire les risques de causer des dommages collatéraux à des biens culturels. À chaque fois qu’une protection des avions de chasse devait être assurée, ils étaient escortés par des avions en mission de support pour réduire les chances que leur équipage ne se laisse dévier de la mission qui leur avait été confiée. Les membres de l’équipage attaquant les cibles situées à proximité de sites du patrimoine culturel avaient reçu l’ordre de ne pas gaspiller des munitions s’ils n’avaient pas suffisamment d’informations permettant de confirmer la nature de leur cible.
La stratégie définitive des États-Unis relative au respect du droit de la guerre, qui se fonde sur la doctrine militaire des États-Unis et s’appuie sur des processus de prise de décision, garantit que des mesures similaires seront prises par les forces américaines dans tout conflit futur. Au final, comme pour la protection des ressources naturelles, la protection des biens culturels dépendra du respect du droit de la guerre par toutes les parties à un conflit.
[…]
Le panel d’experts du département de la Défense et du département d’État ont conclu que les mesures prises par les forces américaines pendant la guerre du Golfe visant à protéger les ressources naturelles et les biens culturels contre toute attaque intentionnelle et contre les dommages collatéraux allaient au-delà des obligations incombant aux États-Unis en vertu du droit de la guerre.
En s’appuyant sur ces conclusions et afin de continuer à limiter les dommages collatéraux causés aux ressources naturelles et aux biens culturels, ainsi qu’aux autres biens de caractère civil, des mesures du même ordre seront prises par les États-Unis dans des conflits futurs, conformément au droit de la guerre et aux principes fondamentaux de nécessité et de proportionnalité. Les États-Unis continueront à encourager d’autres nations à prendre des mesures du même ordre.
[…]
Discussion
I. Qualification de la situation et droit applicable
1. Comment qualifieriez-vous la situation en Irak en 1991 ? Y avait-il un conflit armé ? Si oui, quelles étaient les parties au conflit ? De quelles informations supplémentaires auriez-vous besoin pour procéder à une telle qualification ? (CG I-IV, art. 2, art. 3)
2. En 1991, les États-Unis étaient-ils partie à un quelconque traité important en matière de protection du patrimoine culturel ? Le cas échéant, de quel(s) instrument(s) découlaient les obligations incombant aux États-Unis à l’époque où ces derniers ont pris ces mesures conformes au DIH ? (DIHC, Règle 7 ; Règle 10 ; Règle 15 ; Règle 16 ; Règle 18 ; Règle 39 ; Règle 40(A) ; PA I, art. 48, art. 52, art. 57)
II. Protection du patrimoine culturel
3. Les dommages causés au patrimoine culturel sont-ils systématiquement interdits au titre du DIH ? Selon vous, le DIH établit-il un juste équilibre ? (DIHC, Règle 8, Règle 10, Règle 40(A))
III. Éléments contribuant au respect du DIH
4. (Documents A ; Document B, Source 2) Selon vous, quels facteurs ont contribué à encourager les parties à respecter les règles DIH relatives aux biens culturels ? Par exemple, l’importance historique et symbolique de certains sites du patrimoine culturel incite-elle les parties à respecter le DIH ? Pensez-vous que des considérations d’ordre politique et stratégique jouent un rôle ?
5. (Document B, Source 2 ; Document C) Quel rôle la réputation internationale d’un État et l’opinion publique jouent-elles pour inciter les parties à protéger le patrimoine culturel ? Selon vous, quelle fut leur influence sur la décision des États-Unis de protéger la ziggourat d’Ur ?
6. (Document C) En présentant au Congrès américain un bilan de son action en matière de protection du patrimoine culturel, le département de la Défense a indiqué que les États-Unis continueraient à « encourager d’autres nations à prendre des mesures du même ordre ». Selon vous, un État qui respecte le DIH peut-il inciter d’autres États à faire de même ?