A landscape image of the Mosul Dam in Iraq, among a background of mountains.

Protection du barrage de Mossoul en Irak : 2014

Dispositions du DIH

Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :


Les parties au conflit doivent faire la distinction entre civils et combattants. Les attaques ne peuvent être dirigées que contre des combattants ou des objectifs militaires (principe de distinction).

Les biens de caractère civil sont protégés contre les attaques, sauf s’ils constituent des objectifs militaires et aussi longtemps qu’ils le demeurent.

Les opérations militaires doivent être conduites en veillant constamment à épargner la population civile, les personnes civiles et les biens de caractère civil. Toutes les précautions pratiquement possibles doivent être prises en vue d’éviter et, en tout cas, de réduire au minimum les pertes en vies humaines dans la population civile, les blessures aux personnes civiles et les dommages aux biens de caractère civil, notamment quant au choix des moyens et méthodes de guerre (principe de précautions dans l’attaque).

Des précautions particulières doivent être prises en cas d’attaque contre des ouvrages et installations contenant des forces dangereuses, à savoir les barrages, ainsi que les autres installations situées sur eux ou à proximité, afin d’éviter la libération de forces dangereuses et, en conséquence, de causer des pertes sévères dans la population civile.

Les principes généraux relatifs à la conduite des hostilités s’appliquent à l’environnement naturel. Les méthodes et moyens de guerre doivent être employés en tenant dûment compte de la protection et de la préservation de l’environnement naturel. L’utilisation de méthodes ou de moyens de guerre conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu’ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel est interdite. La destruction de l’environnement naturel ne peut pas être employée comme une arme.

Résumé du cas d’étude

Le barrage de Mossoul, au nord de l’Irak, retient un vaste réservoir d’eau. Il est d’une importance vitale pour la population locale, car il permet d’alimenter la ville de Mossoul en électricité et de contrôler l’apport en eau à des fins agricoles dans presque toute la région. Sa stabilité et sa sécurité sont une préoccupation de longue date.

En 2014, un conflit armé a éclaté entre le gouvernement irakien et le groupe État islamique (EI), un groupe armé non étatique, qui s’affrontaient pour le contrôle du territoire irakien. Une coalition internationale menée par les États-Unis (EU) et les forces peshmergas issues de la région autonome du Kurdistan irakien ont combattu aux côtés des forces irakiennes. En août 2014, le barrage est passé sous le contrôle de l’EI.

Les forces peshmergas et irakiennes ont mené des opérations sur le terrain, en coordination avec les forces aériennes de la coalition, pour reprendre et établir le contrôle du barrage dont la structure était fragile, respectant ainsi les protections renforcées dont bénéficient les infrastructures essentielles en vertu du DIH et évitant une catastrophe humanitaire potentielle.

Respect du DIH : les points à retenir

  1. Reconnaissant que tout dommage causé au barrage aurait des conséquences humanitaires catastrophiques, le président des États-Unis a autorisé des frappes américaines de précision pour aider les forces irakiennes et peshmergas à en reprendre le contrôle. Il a précisé que les frappes auraient « une portée et une durée limitées » et serviraient uniquement à permettre aux forces irakiennes de rétablir leur contrôle sur le site.
  2. Entre le 15 et le 18 août 2014, l’armée américaine a affirmé avoir conduit 38 frappes aériennes autour du barrage en ciblant des objectifs militaires, en particulier des véhicules armés et des lieux où se trouvaient des engins explosifs improvisés.

Ce cas pratique a été élaboré par James Patrick Sexton, Emma Persson, et Shaya Javadinia, étudiants en droit (LL.M.) à l’université de Leiden, sous la supervision du professeur Robert Heinsch ainsi que d’Alla Ershova (chercheuse principale) et Ashley Peltier (chercheuse), du Kalshoven-Gieskes Forum de l’université de Leiden.

 

A. LE BARRAGE DE MOSSOUL EN IRAK, UNE INFRASTRUCTURE ESSENTIELLE

[Source : Alessandro Annunziato, Ioannis Andredakis, et Pamela Probst, « Impact of flood by a possible failure of the Mosul dam: Hydrodynamic Simulations », rapports techniques du Centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne, 2016, p. 5, [traduction CICR], disponible sur :  https://publications.jrc.ec.europa.eu/repository/handle/JRC101555 (toutes les références internet ont été vérifiées en octobre 2022)]

 

[…] 1.1 Informations générales sur le barrage

 

Le barrage de Mossoul a été construit entre 1981 et 1986 dans le nord de l’Irak. Sur le fleuve du Tigre, il prend la forme d’un lac artificiel qui contient 11, 1 km3 d’eau à pleine capacité et sa fonction principale est de réguler le débit d’eau le long du fleuve du Tigre. Il est situé à 40 km au nord-ouest de Mossoul et doit en particulier alimenter en électricité les 1,7 million d’habitants de la ville. Il s’agit du plus important barrage d’Irak, avec ses 2 km de longueur et ses 113 mètres de hauteur.

 

[...]

 

1.2 La fragilité structurelle du barrage

 

La solidité structurelle du barrage et les risques en matière de sécurité ont suscité l’inquiétude dès sa construction : le barrage étant construit sur des fondations en gypse, en anhydrite et en calcaire, c’est-à-dire des roches minérales solubles dans l’eau, l’eau peut s’infiltrer sous le barrage et fragiliser sa structure, ce qui présente un risque d’effondrement dont les conséquences seraient catastrophiques.

 

[...]
 

B. LES ÉTATS-UNIS AUTORISENT UNE OPÉRATION SUR LE BARRAGE DE MOSSOUL

[Source : Président Obama, « Letter from the President – War Powers Resolution regarding Iraq », 17 août 2014, [traduction CICR] disponible sur : https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2014/08/17/letter-president-war-powers-resolution-regarding-iraq]

 

[...] Le 14 août 2014, j’ai autorisé les forces armées des États-Unis à mener des frappes aériennes ciblées dans le but de soutenir les opérations conduites par les forces irakiennes visant à reprendre le barrage de Mossoul. Ces opérations militaires auront une portée et une durée limitées et viseront à apporter le soutien nécessaire aux forces irakiennes dans leur tentative de reprendre le contrôle de cette infrastructure essentielle, dans le cadre de stratégie actuelle de lutte contre le groupe terroriste État islamique en Irak et au Levant (EIIL). L’effondrement du barrage de Mossoul pourrait menacer la vie de très nombreux civils, mettre en danger le personnel et les infrastructures des États-Unis, y compris l’Ambassade des États-Unis à Bagdad et remettre en cause la capacité du gouvernement irakien à fournir des services essentiels à la population irakienne. Suite à cette autorisation, dans la soirée du 15 août 2014, les forces militaires des États-Unis ont lancé les premières frappes aériennes ciblées en Irak.

 

J’ai commandé ces opérations, qui s’inscrivent dans l’intérêt national des États-Unis en matière de sécurité et dans l’intérêt international des États-Unis en matière de politique étrangère, conformément à mon autorité constitutionnelle dans la conduite des relations extérieures et en tant que commandant en chef et de chef du pouvoir exécutif. Ces opérations sont actuellement conduites en coordination avec le gouvernement irakien.

 

[...]

 

C. LES ÉTATS-UNIS PRENNENT DES MESURES POUR SOUTENIR LA RECONQUÊTE DU BARRAGE DE MOSSOUL EN TOUTE SÉCURITÉ

[Source : Martin Pengelly, « US bombers help Kurds retake dam as Obama writes to Congress », The Guardian, 17 août 2014, [traduction CICR] disponible sur : https://www.theguardian.com/world/2014/aug/17/us-ramps-up-iraq-air-strikes-kurdish-attack-dam]

 

Dimanche, les États-Unis ont conduit deux séries de frappes aériennes contre des combattants de l’État islamique (EI) dans le nord de l’Irak, dans le cadre de ce qui peut être considéré comme la plus vaste opération militaire des États-Unis dans le pays depuis le retrait des troupes américaines en 2011.

Les frappes ont permis d’aider les peshmergas kurdes [1] à reprendre le contrôle du barrage de Mossoul, qui a une importance vitale sur le plan stratégique, des mains des combattants de l’EI qui s’en étaient emparé deux semaines auparavant.

 

« Nous avons complètement libéré le barrage de Mossoul », a déclaré à l’AFP Ali Awni, un représentant du premier parti kurde en Irak. Cette déclaration a été confirmée par deux autres sources kurdes.
 

Plus tôt dans la journée, la flotte aérienne des États-Unis (qui incluait pour la première fois des bombardiers équipés de missiles air-sol) a mené 14 frappes. Plus tard, le Commandement central des États-Unis a bien confirmé que les frappes avaient été lancées par « des combattants et des avions de combat ».

 

[...]

Les États-Unis ont à mainte reprises justifié cette opération militaire de soutien aux Kurdes par la nécessité de garantir la sécurité du personnel américain à Bagdad.

[...]

 

Selon un communiqué de presse du Commandement central des États-Unis, 14 frappes ont été lancées « pour appuyer nos activités humanitaires en Irak et soutenir les forces de sécurité irakiennes et les forces de défense kurdes ». Les combattants de l’EI présents dans la zone à proximité du barrage et la capitale kurde, Erbil, ont été frappés neuf fois ce samedi.

 

[...]

 

Toujours selon ce communiqué, les frappes ont causé des dommages ou ont détruit « 10 véhicules blindés, sept Humvee, deux véhicules de transport de troupes et un checkpoint », de plus, tous les avions ayant participé à ces frappes ont pu « quitter la zone de frappes sans encombre ».

 

Selon un deuxième communiqué du Commandement central des États-Unis, la seconde série de frappes aériennes, dont le nombre exact n’est pas connu, a « détruit trois véhicules blindés, un véhicule monté d’un canon antiaérien, un checkpoint et une zone où se trouvait un engin explosif improvisé ». Selon le communiqué, les avions ayant participé à ces frappes sont, une fois encore, tous revenus.
 

Dans sa lettre au Congrès, Obama a affirmé que les frappes avaient été autorisées dans le but de « reprendre le barrage de Mossoul ».

 

[...]

 

[Source : Mitchell Prothero, « Obama: Iraqis, U.S. recapture Mosul Dam from militants », Miami Herald, 18 août 2014, [traduction CICR], disponible sur : https://www.miamiherald.com/news/article1980474.html]

 

[...] Obama a annoncé d’importantes avancées avaient été réalisées en Irak ces dernières semaines, alors que les États-Unis menaient des frappes aériennes partout dans le pays.

 

 « Nous continuerons à promouvoir une stratégie sur le long-terme pour remporter la guerre contre l’EIIL en apportant notre soutien au nouveau gouvernement irakien et en travaillant avec nos principaux alliés dans la région et dans le monde », a déclaré le président Obama.
 

« Il va de soi que les forces militaires des États-Unis vont poursuivre les missions restreintes que j’ai autorisées, pour protéger notre personnel et nos installations en Irak, aussi bien à Ebril qu’à Bagdad et pour fournir une aide humanitaire ».
 

Des représentants du ministère de la Défense irakienne et des forces de sécurité kurdes ont expliqué que le barrage, qui régule le débit d’eau destinée à l’agriculture dans presque tout le nord l’Irak et alimente la capacité de production électrique de Mossoul, était repassé sous le contrôle de la force conjointe irakienne et kurde, même si un travail de décontamination doit être entrepris au sein de l’infrastructure pour enlever les pièges et les mines que les combattants battant en retraite de l’État islamique – une branche rebelle issue d’Al Qaïda qui s’est récemment auto-proclamée comme un Califat islamique - ont laissé derrière eux.

 

[...]

 

« Des conseillers de l’armée américaine se sont rendus sur le théâtre des opérations avec la Division d’or [corps d’élite des forces armées spéciales irakiennes] pour aider à coordonner les frappes », selon un représentant irakien, qui a souhaité rester anonyme, conformément à l’accord relatif à la mise en place d’un embargo médiatique sur cette opération. « Ils ont causé d’importants dommages à Daesh et la dynamique du conflit joue en notre faveur, puisqu’ils reculent vers Mossoul ».
 

 Selon le Commandement central des États-Unis, 68 frappes ont été lancées depuis le début des opérations ; dont 38 dans la zone du barrage de Mossoul.

[...]

[Source : BBC News, « Iraq crisis: Mosul dam retaken from IS », 19 août 2014, [traduction CICR] disponible sur :  https://www.bbc.com/news/av/world-middle-east-28858601]

 

Les forces kurdes et irakiennes ont repris le barrage de Mossoul, qui revêt une grande importance sur le plan stratégique, aux combattants de l’État islamique (EI), tandis que ces derniers continuent de reculer dans le nord de l’Irak à la suite des combats.

 

Le journaliste pour la BBC Jim Muir s’est rendu sur le site du barrage et a déclaré qu’il était « à nouveau entre de bonnes mains » et qu’il semblait intact.

 

[...]

 

Discussion

 

I. Qualification de la situation et droit applicable

 

1. Comment qualifieriez-vous la situation en Irak en août 2014 ? De quelles informations supplémentaires auriez-vous besoin pour procéder à une telle qualification ? L’intervention des États-Unis a-t-elle une influence sur la qualification du conflit ? (CG I-V, art. 2, art. 3)

 

2. Quelles sont les obligations qui incombent aux États-Unis concernant la protection des installations civiles dans ce conflit ? Votre réponse serait-elle différente si les États-Unis étaient partie au Protocole additionnel II (PA II) ? Le PA II réglemente-il la question des installations civiles et si oui, de quelle manière ? (DIHC, Règles 7, 10 et 42)

 

II. Conduite des hostilités

3. Les installations « contenant des forces dangereuses » bénéficient-elles d’une protection spécifique au regard du DIH ? Peut-on considérer les barrages comme des objectifs militaires au sens du DIH ? (DIHC, Règles 7, 10 et 42)

 

4. Selon vous, le fait que les frappes aériennes n’aient pas ciblé directement le barrage de Mossoul témoigne-il des efforts réalisés par les forces américaines, irakiennes et kurdes pour restreindre leurs moyens et méthodes de guerre à mesure qu’elles se rapprochaient du barrage ? (DIHC, Règles 17 et 42)

 

III. Éléments contribuant au respect du DIH

 

5. (Documents A et B) Avant cette opération, la fragilité structurelle du barrage de Mossoul était déjà reconnue sachant que Bagdad, la capitale de l’Irak, se situe en aval du barrage. Selon vous, dans quelle mesure cette menace a-t-elle influencé la conduite de l’opération ? Dans quelle mesure la prise de conscience qu’une catastrophe humanitaire était possible a-t-elle pu influencer les preneurs de décision lors de cette opération ?

 

6. (Document C, Source 2) Outre la nécessité de protéger une infrastructure essentielle, pensez-vous qu’il fut dans l’intérêt militaire des États-Unis de reprendre le barrage de Mossoul des mains de l’EI ?

 

7. (Document B) En dehors de l’intérêt militaire et humanitaire, pensez-vous que les États-Unis ont eu un autre intérêt à empêcher l’effondrement du barrage ? Par exemple, si un dommage avait été causé à la structure du barrage à la suite d’une attaque coordonnée par les États-Unis, cela aurait-il eu des conséquences sur leur réputation à l’international ? Qu’en est-il du fait que les États-Unis ont du personnel présent sur place et des installations, notamment une ambassade à Bagdad ?

 

8. (Document C) L’opération visant à reprendre le barrage de Mossoul a été suivie de près par les médias. Selon vous, cette couverture médiatique a-t-elle encouragé les États-Unis à respecter le DIH ? De manière plus générale, pensez-vous que la présence des médias dans les situations de conflit est un élément qui favorise le respect du DIH ?

 

[1] Les peshmergas : forces militaires kurdes de la région autonome du Kurdistan irakien.