Limiter le choix des armes pour protéger la population civile en zone urbaine en Libye : 2011

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Dispositions du DIH
Limiter le choix des armes pour protéger la population civile en zone urbaine en Libye : 2011

Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :


Les parties au conflit doivent faire la distinction entre civils et combattants, et entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires. Les attaques ne peuvent être dirigées que contre des combattants ou des objectifs militaires (principe de distinction).

Il est interdit de lancer des attaques sans discrimination ainsi que des attaques dont on peut attendre qu’elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu (principe de proportionnalité).

Les opérations militaires doivent être conduites en veillant constamment à épargner la population civile, les personnes civiles et les biens de caractère civil. Toutes les précautions pratiquement possibles doivent être prises en vue d’éviter et, en tout cas, de réduire au minimum les pertes en vies humaines dans la population civile, les blessures aux personnes civiles et les dommages aux biens de caractère civil qui pourraient être causés incidemment, y compris dans le choix des moyens et méthodes de guerre (principe de précautions dans l’attaque).

Résumé du cas d’étude

En 2011, les troubles sociaux en Libye se sont intensifiés jusqu’à déclencher un conflit armé.  L’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) a lancé l’opération Unified Protector après la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU), autorisant les États membres qui agissent à titre national ou dans le cadre d’organismes ou d’accords régionaux à « prendre toutes mesures nécessaires » pour protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque. L’OTAN a adopté plusieurs mesures pour réduire les dommages collatéraux, en particulier une politique « zéro pertes civiles », conformément à l’objectif de protection de la population civile.

Respect du DIH : les points à retenir

  1. Selon les États membres de l’OTAN intervenant dans le cadre de l’opération Unified Protector, une politique « zéro pertes civiles » était applicable à leurs opérations ; cette politique avait été adoptée pour que la mission respecte l’autorisation donnée par la résolution 1973 du CSNU, exigeant spécifiquement de garantir la protection des civils.
  2. Pour se conformer à cette politique, les Etats membres de l'OTAN ont pris les mesures suivantes :
    • annuler ou suspendre des attaques dès lors qu’elles constituent manifestement des violations du DIH ;
    • lancer un avertissement à la population civile afin qu’elle quitte la zone avant de lancer une attaque ;
    • pour les raids aériens, utiliser des munitions à guidage de précision conçues pour améliorer la précision de l’attaque contre des objectifs militaires. Dans les villes, l’emploi de telles munitions a contribué à réduire l’impact des raids aériens sur la population civile.

Ce cas d’étude a été élaboré par Benedetta Panagia, Maria Chiara Giaquinto, Nour Taki et Karina Mele, étudiantes en droit (LL.M.) à l’université de Rome III, sous la supervision du professeur Giulio Bartolini (professeur de DIH) et de Laura Di Gianfrancesco (assistante de recherche), de la clinique juridique de DIH de l’université de Rome III.

 

A. L’OPÉRATION UNIFIED PROTECTOR

[Source : Todd R. Phinney, Reflections on Operation Unified Protector, 2014, [traduction CICR] disponible sur : https://ndupress.ndu.edu/Portals/68/Documents/jfq/jfq-73/jfq-73_86-92_Phinney.pdf?ver=2014-03-26-120652-783

 

Les précautions de l’OTAN dans l’attaque

[…]
 

L’effort aérien a été amélioré avec l’avancée des troupes. Il s’agissait d’un aspect crucial, puisque chaque bombe tactique revêtait une importance stratégique très concrète pour l’unité de l’Alliance. Mais surtout, le Conseil de l’Atlantique Nord [CAN] avait imposé une tolérance zéro en termes de victimes civiles des frappes de l’OTAN. Avant cela, le général Jodice avait désigné l’unité de l’Alliance et des nations partenaires comme le centre de gravité du « bleu » et reconnu qu’une seule bombe perdue causant des victimes civiles pourrait briser en éclat cette cohésion. […]
 

Le mandat des Nations Unies et l’intervention de l’OTAN n’ont pas restreint les frappes sur les forces du régime. Les forces de l’OTAN pouvaient lancer des frappes militaires contre n’importe quelle force militaire constituant une menace pour les civils. […] Les stratèges ont concentré leurs efforts sur la déstabilisation du commandement et du contrôle du régime mais également sur les forces militaires et paramilitaires. Ce choix géographique, associé à l’évaluation de l’épicentre des opérations, a donné lieu à quatre approches régionales visant à protéger la population civile. Autour de la région de Tripoli, l’OTAN s’est employée à perturber le commandement et le contrôle et à déstabiliser les forces du régime. […]
 

Sur cette question, les discussions ont été axées sur les difficultés rencontrées pendant les premiers mois de l’opération Unified Protector. Avec le temps, l’organisation de la [Composante aérienne de la force multinationale – CFAC] s’est améliorée pour donner un ensemble cohérent. Un soutien national extérieur, qui était nécessaire, a été rendu possible, au moins au niveau minimum requis pour assurer la bonne planification et la bonne exécution de l’intervention. Les processus de ciblage délibéré et dynamique ont été améliorés et à la mi-juin, la Composante aérienne de la force multinationale était capable de frapper avec efficacité et rapidité dans toute de la zone de combat. Le ciblage délibéré était planifié sur des lieux allant de sites militaires isolés dans les badlands à des infrastructures urbaines dans le centre de Tripoli, nécessitant une planification et une exécution rigoureuses. […]
 

Les planificateurs et les membres des forces aériennes ont pris de vastes mesures pour s’assurer que chaque frappe était bien nécessaire et qu’elle ne causerait pas de dommages collatéraux. À titre d’exemple, au dernier moment, des membres des forces aériennes ont renoncé à l’utilisation d’une bombe guidée laser lorsqu’un civil s’est approché de la cible. Autre exemple : d’autres membres des forces aériennes ont renoncé à relancer une attaque car des secouristes libyens risquaient d’en être les victimes collatérales. La discipline du personnel aérien de l’opération Unified Protector était honorable, assurant l’unité de l’Alliance et préservant un soutien international sans faille à la mission. Cela a mis en exergue l’importance de se former à tous les types de conflits.
 

Le ciblage dynamique s’est également amélioré et l’équipage de la Composante aérienne de la force multinationale a gagné en expertise pour trouver des solutions à des scénarios dans lesquels les risques de dommages collatéraux étaient élevés, ceci grâce à une sélection dans le choix des armes et une procédure d’autorisation des opérations de combat approfondie et rigoureuse. Il est devenu de plus en plus difficile d’identifier les forces du régime, à mesure qu’elles se débarrassaient des véhicules militaires standards pour les remplacer par des Toyota, qu’elles apprenaient l’art du camouflage et qu’elles faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour tirer profit des restrictions [prévues par les règles d’engagement – ROE] mises en place pour protéger le personnel autre que militaire, les infrastructures, les écoles et les mosquées. La mise en place d’une zone de tir restreinte a permis aux forces de l’OTAN de mieux identifier les endroits où elles pouvaient mener des opérations, conformément aux ROE, sans avoir l’autorisation de la Composante aérienne de la force qui de son côté, devait autoriser les cibles sur une partie réduite de cette zone de tir restreinte. Que l’autorisation soit donnée par la Composante aérienne de la force ou par les membres des forces aériennes, en raison de la versatilité de la zone de combat, des capacités [de renseignement, de surveillance et de reconnaissance - ISR] limitées et du fait que chaque bombe revêtait une dimension stratégique, le commandement et le personnel ont soigneusement pesé chaque décision opérationnelle. La décision des États-Unis d’autoriser l’emploi de missile Hellfire II sur des MQ-1 Predator a été un avantage significatif.  Les aéronefs téléguidés avec de petites armes de précision ont été un atout indispensable pendant la phase d’attaque de cibles difficiles à identifier ou à frapper, ou pour des cibles qui exigeaient de faire preuve d’une plus grande vigilance pour s’assurer de respecter les obligations prévues par les ROE. […]

 

B. OTAN : TIRER LES LECONS DE LA LIBYE

[Source : John A. Tirpak, Lessons From Libya, 2011, Air & Space Forces Magazine, [traduction CICR] disponible sur : https://www.airandspaceforces.com/article/1211libya/]

 

Les armes choisies par l’OTAN

[…]
 

Le rythme des opérations de renseignement-surveillance-reconnaissance de l’OTAN est resté relativement régulier tout au long de l’opération, selon le Lieutenant général Ralph Jodice II, mais les activités cinétiques ont été de moins en moins nombreuses puis ont finalement pris fin. Jodice a occupé le poste de commandant de la Composante aérienne de la force internationale de l’OTAN. À mesure que la zone contrôlée par Kadhafi rétrécissait, les frappes de l’OTAN étaient moins nombreuses et l’attaque d’un convoi le 20 octobre fut la dernière opération aérienne. Unified Protector a pris fin le 31 octobre. […]
 

Jodice a toutefois déclaré : « nous avons eu tout ce dont nous avions besoin ; y compris en termes de munitions. Pas une seule fois, je n’aie eu à annuler ou à reporter une opération car je ne disposais pas des bonnes munitions. » Jodice a cependant reconnu qu’il n’avait pas pris part au processus consistant à faciliter le transfert d’armements ad hoc dans le cadre du programme relatif aux ventes militaires à l’étranger.
 

« Nous avons utilisé des munitions de précision 100% du temps » a rappelé Jodice, et lui d’ajouter « je ne suis pas sûr que l’on puisse en dire autant d’une autre opération, quelle qu’elle soit ».

Il a également décrit une série d’étapes et de vérifications minutieuses applicables à toutes les frappes aériennes pour éviter les victimes civiles et les dommages collatéraux. Les cibles ont d’abord été identifiées à l’aide des vastes capacités JISR, telles que les avions Rivet Joint [et le Joint Surveillance Target Attack Radar System E-8 – JSTARS, du groupe Northrop Grumman]. Ensuite, les règles d’engagement ont été appliquées ; les frappes étaient annulées si elles pouvaient engendrer des dommages causés incidemment. Si les pilotes présents sur le théâtre des opérations confirmaient la cible, celle-ci pouvait être attaquée, mais seulement avec des armes présentant « le risque le moins élevé possible » d’avoir un effet explosif, selon Jodice.

 

« Lorsqu’il était nécessaire de frapper une cible, l’opération était conduite avec la plus grande précision », a-t-il ajouté. […]
 

C. L'OTAN RETARDE UNE FRAPPE AÉRIENNE ET DEMANDE AUX CIVILS DE S'ÉLOIGNER DES INSTALLATIONS MILITAIRES

[Source : L'OTAN retarde une frappe aérienne et demande aux civils de s'éloigner des installations militaires, 24 avril 2011, disponible sur : https://www.nato.int/cps/en/natolive/news_72885.htm]

 

Précision de l’opération

 

NAPLES - Hier soir à 20h40 GMT, l'OTAN a utilisé un système d'armes de surveillance aérienne sans pilote Predator pour détruire un missile sol-air SA-8 à Tripoli. Les opérateurs du Predator ont pu détecter la présence d'un certain nombre de civils qui jouaient au football près du missile, et le tir a été retardé jusqu'à ce que ces personnes se soient dispersées.
 

« Cette frappe menée par le Predator illustre parfaitement la situation complexe et fluctuante à laquelle les forces aériennes de l'OTAN font face quotidiennement dans le cadre de l'opération Unified Protector. L'OTAN continuera de faire tout ce qui est en son pouvoir pour éviter des pertes dans la population civile, » a déclaré le contre-amiral Russ Harding, commandant adjoint de l'opération Unified Protector. « Les drones Predator renforcent la capacité de l'OTAN d'effectuer des frappes avec soin et précision. »
 

« Ces frappes se poursuivront, et nous demandons aux civils des régions concernées de s'éloigner, chaque fois que cela est possible, des forces loyales au régime de Kadhafi ainsi que de leurs installations et équipements, de telle sorte que nous puissions mener des frappes avec une plus grande réussite et un minimum de risques pour les civils, » a déclaré le contre-amiral Harding. […]

 

D. LA RÉSOLUTION 1973 DU CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES

[Source : Conseil de sécurité des Nations Unies, résolution 1973 (2011), disponible sur : https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n11/268/40/pdf/n1126840.pdf]


Le Conseil de sécurité, […]

 

Se déclarant résolu à assurer la protection des populations et zones civiles, et à assurer l’acheminement sans obstacle ni contretemps de l’aide humanitaire et la sécurité du personnel humanitaire, […]
 

Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,


1.
Exige un cessez-le-feu immédiat et la cessation totale des violences et de toutes les attaques et exactions contre la population civile ; […]

 

Protection des civils
 

4. Autorise les États Membres qui ont adressé au Secrétaire général une notification à cet effet et agissent à titre national ou dans le cadre d’organismes ou d’accords régionaux et en coopération avec le Secrétaire général, à prendre toutes mesures nécessaires, nonobstant le paragraphe 9 de la résolution 1970 (2011), pour protéger les populations et zones civiles menacées d’attaque en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi, tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen, et prie les États Membres concernés d’informer immédiatement le Secrétaire général des mesures qu’ils auront prises en vertu des pouvoirs qu’ils tirent du présent paragraphe et qui seront immédiatement portées à l’attention du Conseil de sécurité; […]

 

E. L’INTERVENTION DE L’OTAN EN LIBYE

[Source : Rob Weighill and Florence Gaub, ‘The war begins – and NATO thinks about it’ in Weighill et Gaub (dir.), The Cauldron: NATO’s Campaign in Libya (2018), [traduction CICR] disponible sur :  https://academic.oup.com/book/8980/chapter-abstract/155322171?redirectedFrom=fulltext&login=false]


La conduite des hostilités dans le cadre de l’intervention

 

[…]

 

Selon l’OTAN, la protection des civils était au cœur de l’opération Unified Protector et a influencé l’élaboration de la planification opérationnelle et des règles d’engagement, l’identification des cibles, la méthode de ciblage et la conduite des hostilités, autrement dit, tous les aspects de l’intervention. Dès qu’un élément laissait supposer que la vie de personnes civiles pouvait être sacrifiée dans le cadre de la mission qui visait justement à les protéger, la frappe était considérée comme illicite, mais aussi comme immorale, et était donc annulée au motif qu’aucune cible délibérée (identifiée et dégagée au moment de la frappe) ou dynamique (ciblage basé sur les informations recueillies pendant l’opération ou, selon les termes de Bouchard, pendant « la chasse ») ne pouvait être attaquée sauf si l’on pouvait s’attendre à ce que les dommages collatéraux soit réduits à néant. (En moyenne, 65% des missions de l’OTAN ont été dynamiques et 35% délibérées). Bien que les forces militaires soient toujours tenues de faire la distinction entre les combattants et les civils qui ne prennent pas directement part aux hostilités, le droit des conflits armés permet que des civils soient tués ou blessés à la suite d’une attaque licite, si ces pertes sont considérées comme proportionnées par rapport à l’avantage militaire direct attendu.
 

Mais la décision du Conseil de l’Atlantique nord de mettre en place la règle « zéro victimes civiles » dans le concept opérationnel de la zone d’exclusion aérienne a donné à cette approche une tout autre dimension : parce que l’opération visait justement à protéger les civils, il n’y aurait aucun avantage militaire à tolérer des dommages collatéraux. D’un point de vue purement opérationnel, cela constituait une réelle contrainte opérationnelle sur la marge de manœuvre possible de l’OTAN pour attaquer les forces de Kadhafi dans les cas où la population civile était menacée et avait besoin d’une protection, sans risquer d’être accidentellement tuée par l’OTAN. […]
 

C’est dans l’élaboration de la conception opérationnelle que les résultats de cette politique « zéro victimes civiles » ont été les plus notables. […]
 

Les approches juridique et morale étroitement liées dans la résolution 1973 du CSNU, l’objectif poursuivi par l’OTAN, les objectifs militaires opérationnels et tactiques, les principales conditions posées et leurs conséquences décisives, tous ces éléments ont été écrits dans la conception opérationnelle. Ils ont influencé chaque action, chaque activité et chaque opération conjointe de l’opération Unified Protector. En théorie, pas une seule cible n’a été attaquée dans un autre but que celui de protéger les civils. En outre, il n’était pas possible de conduire une opération à moins que tout ait été mis en œuvre pour réduire le risque de causer des victimes civiles à néant.
 

La conclusion ? La conception opérationnelle élaborée pendant la planification a constitué le socle opérationnel sur lequel chaque mission de frappe dynamique et délibérée était planifiée et exécutée, dans l’objectif de protéger les civils. A moins qu’un pilote, un officier des systèmes d’armes aériens, un capitaine naval d’un bateau équipé d’armes ou un officier de marine en soutien aux tirs d’appui de l’artillerie marine puissent qualifier leurs missions respectives d’action visant avant tout à protéger les civils, les cibles ne pouvaient pas être attaquées. Cette philosophie - ou cette technique opérationnelle, a joué un rôle central dans la manière dont les missions ont été planifiées et conduites pendant l’opération du fait de l’obligation de se concentrer sur la fin et non sur les méthodes ou les moyens. […]
 

F. LA LETTRE DE L’OTAN À LA COMMISSION INTERNATIONALE D’ENQUÊTE

[Source : Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Lettre de l’OTAN à la Commission internationale d’enquête sur la Libye, 23 janvier 2012, [traduction CICR] disponible sur : https://digitallibrary.un.org/record/766468?ln=fr&v=pdf]

 

[…] le droit international humanitaire est la lex specialis applicable dans les conflits armés ; cette branche du droit vise à réduire les dommages causés au sein de la population civile. Cela est en grande partie dû aux principes de distinction, de proportionnalité et de nécessité militaire, élaborés pour s’assurer que la menace qui pèse sur les civils n’est pas excessive par rapport à l’avantage militaire attendu. Il est évident que le strict respect de ces obligations était important dans un contexte comme celui de l’opération Unified Protector, puisque le principal objectif du mandat délivré par le Conseil de sécurité autorisant l’emploi de « toutes mesures nécessaires » - et donc, l’objectif militaire premier de l’opération, était de protéger les civils et les zones civiles des attaques ou de la menace d’attaque posée en particulier par leur propre gouvernement. L’OTAN considère que la vigilance dont elle a fait preuve pendant l’opération Unified Protector pour appliquer rigoureusement les principes de cette branche du droit, en appliquant en réalité des règles plus contraignantes que ce qui était requis par le droit international humanitaire, a contribué de manière significative à un taux extraordinairement faible de dommages causés aux civils et aux biens de caractère civil.
 

La conduite de l’opération Unified Protector a été couronnée de succès, tant en termes de protection de la population civile de Libye que dans la mise en œuvre d’une approche opérationnelle visant à réduire les dommages causés aux civils. Bien qu’aucune opération si complexe ne puisse exclure le fait que des civils subissent des dommages au cours de l’intervention, l’OTAN adresse ses regrets les plus sincères pour tous les dommages qui ont pu être causés par ces frappes. […]

 

La politique de ciblage de l’opération Unified Protector a été conçue et mise en œuvre conformément au mandat délivré par le Conseil de sécurité visant à « assurer la protection des populations et zones civiles menacées d’attaque », un principe solidement ancré dans cette politique. Tout au long de l’opération, le principal objectif a été d’éviter de causer des dommages aux civils. Aucune des cibles attaquées, qui représentaient plus de 7700 armes, n’a fait l’objet d’une autorisation de frapper ou n’a été attaquée dès lors que des personnes chargées de l’identification ou de l’autorisation de la cible ou le pilote exécutant l’ordre avaient la preuve ou d’autres raisons de penser que des civils pouvaient être blessés ou tués au cours de l’opération. Tel qu’explicitement mentionné dans la planification de l’opération Unified Protector approuvé par le Conseil de l’Atlantique nord, aucun civil et individu désigné, civil ou militaire, n’ont été pris pour cible de manière délibérée pendant l’opération.
 

Des procédures strictes ont été systématiquement suivies pour autoriser les frappes aussi bien « délibérées » (c’est-à-dire, identifiées pendant la planification) que « dynamiques » (les frappes sur des cibles qui se sont présentées au cours de la mission) pour s’assurer qu’il n’y ait « aucune chance » de tuer ou de blesser des civils.
 

Pour déterminer quelles cibles devaient et pouvaient être attaquées, des renseignements provenant de toutes les sources disponibles (y compris l’interception de signaux, l’imagerie et d’autres sources) ont été obtenus et examinés pour s’assurer qu’ils restaient exacts et confirmer que des civils n’étaient pas menacés par inadvertance. Dans certains cas, pas moins de cinquante heures de visionnage de vidéos aériennes ont été assurées et minutieusement analysées avant d’autoriser la frappe. Le risque de porter atteinte aux civils a été soigneusement évalué pour chaque objectif proposé, y compris avant d’autoriser de nouvelles frappes sur des cibles à la suite d’une attaque manquée ou partiellement manquée ou lorsque les forces du régime étaient repérées en train de ré-utiliser des infrastructures ayant déjà subi des attaques. […]
 

Des procédures tout aussi rigoureuses ont été suivies dans l’exécution des frappes. Par le biais de tracts et d’autres moyens, des avertissements à grande échelle ou localisés ont été adressés à plusieurs reprises à la population civile afin de lui conseiller d’éviter les zones susceptibles d’être frappées. Le jour de la semaine, l’heure de la journée ou de la nuit (y compris pendant le Ramadan), parfois même la direction de l’attaque, ont tous été soigneusement examinés pour réduire les risques éventuels de causer des dommages au sein de la population civile. […] Lors de la préparation des missions individuelles, les planificateurs ont systématiquement utilisé des munitions de la taille minimale requise pour atteindre l'objectif militaire : à de nombreuses reprises, plutôt que de limiter le nombre de munitions ou même d’utiliser une seule munition à large rayon d’impact, un grand nombre de munitions à faible effet de souffle ont été utilisés pour s'assurer que le rayon d'explosion et d'éjection n’affecte pas de zones civiles ou ne présente pas d'autres risques pour les civils. Toutes les munitions aériennes employées dans le cadre de l’opération Unified Protector étaient dotées d’un système de lancement de précision, et le type de guidage de précision (par exemple, par GPS ou à guidage laser) était sélectionné dans le but d’améliorer au maximum la précision dans les conditions locales en présence. (Pour un nombre limité de frappes, des munitions à tir direct ont été utilisées, sous le contrôle direct des pilotes et avec une précision comparable à celle des munitions dotées d’un système de lancement de précision). Souvent, des mesures spécifiques ont été prises pour améliorer la capacité des commandants et des pilotes à évaluer la présence de civils, pratiquement jusqu'au moment de l'attaque. Pour certaines frappes à proximité de zones civiles, par exemple, une observation vidéo aéroportée quasi simultanée a été exigée avant d’attaquer. En ce qui concerne les tirs navals délibérés, toutes les salves ont été tirées après avoir été autorisées, les points d’impact étant repérés par des observateurs embarqués dans des avions. De nombreuses attaques ont été annulées, parfois à la dernière minute, afin d'éviter de frapper ceux que l'OTAN avait pour mission de protéger. [...]
 

Compte tenu de toutes les précautions prises, l'OTAN est convaincue que les méthodes de ciblage et de frappe employées dans le cadre de l'opération Unified Protector ont été aussi bien conçues et mises en œuvre qu'il était humainement et techniquement possible de le faire pour éviter des pertes civiles, et considère que le bilan de l’opération le démontre amplement. [...]
 

L’importance de l’utilisation de munitions dotées d’un système de précision au cours de cette intervention est sans précédent ; en raison de leur précision accrue, ces armes réduisent considérablement le risque de dommages collatéraux, à la fois parce qu'elles nécessitent un effet explosif considérablement réduit pour atteindre leur objectif et parce qu'elles sont moins susceptibles de causer des dommages involontaires en frappant au mauvais endroit.
 

En toutes circonstances, l'arme de la taille minimale nécessaire pour atteindre l'objectif militaire et conforme au critère de ciblage « zéro victimes civiles attendues » a été utilisée. La grande majorité des armes étaient équipées de fusées à retardement, ce qui a permis de minimiser les risques pour les civils qui auraient pu se trouver à proximité de la cible. Nous pouvons confirmer qu'aucune arme incendiaire ou ayant pour effet de cacher la vision (phosphore blanc) n'a été utilisée pendant l’opération. [...]
 

Discussion

I. Qualification de la situation et droit applicable

1. Comment qualifieriez-vous la situation en Libye avant le lancement de l’opération Unified Protector ? De quelles informations supplémentaires auriez-vous besoin pour procéder à une telle qualification ? (CG I-IV, art. 3 ; PA II, art. 1)

 

2. L’intervention de l’OTAN en Libye a-t-elle une incidence sur la qualification de la situation ? L’OTAN était-elle partie au conflit ? Quelles conditions doivent être réunies pour qu’une organisation internationale puisse être considérée comme partie à un conflit armé ?

 

II. Conduite des hostilités et précautions dans l’attaque

3. Est-il interdit de lancer une attaque contre un objectif militaire si celui-ci se situe parmi la population civile ? Les forces armées sont-elles tenues de prendre davantage de précautions avant d’attaquer ? (DIH coutumier, Règle 7, 14-21 ; PA I, art. 48, 52 (par. 2), 51 (par. 5, b)), 57)

 

4. La présence de civils rend-elle automatiquement une opération militaire illicite ? En cas de dommages causés au sein de la population civile, le DIH est-il automatiquement violé ? L’adoption d’une politique « zéro victimes civiles » est-elle exigée par le DIH ? (DIH coutumier, Règles 1, 7, 14, 15, 18 ; PA I, art. 48, 51, 52, 57)

 

5. Au titre du DIH, l’emploi de munitions à guidage de précision est-il toujours obligatoire ? Le fait que des opérations militaires soient conduites en milieu urbain doit-il avoir une influence sur le choix des armes par les parties à un conflit armé ? (DIH coutumier, Règle 1, 17)
 

6. (Document A, Document B et Document F) Quelles sont les mesures de précaution adoptées par l’OTAN pendant l’opération Unified Protector ? Sont-elles allées plus loin que ce qui était obligatoire en vertu du DIH ? (DIH coutumier, Règle 16, 17, 19 ; PA I, art. 57)
 

III. Éléments contribuant au respect du DIH

7. (Document A) Pourquoi la coalition a-t-elle évalué la situation avant chaque attaque ? La stratégie de ciblage a-t-elle exercé une influence sur la légitimité et l’efficacité de l’opération Unified Protector ? (Document A) Quelle pourrait être l’avantage de l’adoption d’une politique « zéro dommages collatéraux » en termes de soutien de l’opinion publique des États membres et des acteurs internationaux à la mission ?
 

8. Quel est le rôle des règles d’engagement (ROE) ? Est-il obligatoire de les fixer avant chaque opération militaire ?
 

9. (Document D et E) Quelles sont les raisons d’adopter une politique « zéro victimes civiles » ? Est-il réaliste de penser qu’une opération ne causera aucune victime civile ? Le DIH exige-t-il qu’une telle politique soit mise en place ? Quelles sont les raisons qui ont conduit l’OTAN à adopter cette politique ? Quelle a été l’influence de la résolution 1973 du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur l’adoption de cette approche ?

 

10. (Document F) Quels furent le rôle et les fonctions de la Commission d’enquête mise en place par le Conseil des droits de l’homme ? Pourquoi l’OTAN a-t-elle dialogué avec elle ? Comment les Commissions d’enquête et les autres entités similaires contribuent-elles au respect du DIH ?