Libye, diffuser le DIH

Diffuser le DIH auprès de groupes armés en Libye : 2011

Dispositions du DIH

Règles fondamentales du droit international humanitaire (DIH) applicables dans cette situation :


Chaque partie au conflit doit respecter et faire respecter le DIH par ses forces armées ainsi que par les autres personnes ou groupes agissant en fait sur ses instructions ou ses directives ou sous son contrôle.

Les États et les parties au conflit doivent dispenser une instruction en DIH à leurs forces armées.

Résumé du cas d’étude

En 2011, la contestation sociale en Libye a entrainé le déclenchement d’un conflit armé. Des milliers de personnes sans entrainement militaire à proprement parler ont pris les armes contre le gouvernement, sous la coordination de la principale force d’opposition politique, le Conseil national de transition en Libye (CNT). Des violations du DIH ont été alléguées, en particulier concernant le traitement réservé aux combattants capturés lors des combats.

Reconnaissant que les forces qui combattaient sous son contrôle n’avaient pas assez de connaissances en DIH, le CNT a cherché à bénéficier d’une assistance juridique pour donner des directives simples concernant les règles fondamentales du DIH. Pour les diffuser le plus largement possible, il a utilisé divers canaux de communication.

Respect du DIH : les points à retenir

  1. En mars 2021, le CNT a publié un communiqué de presse mentionnant un code de conduite relatif au traitement des prisonniers de guerre (PG) et des détenus, déclarant que les règles de ce code de conduite étaient conformes à la Troisième Convention de Genève et s’engageant à sanctionner toute personne qui ne les respecterait pas. 
  2. Reconnaissant que nombre de combattants de l’opposition n’avaient pas de formation militaire à proprement parler et peu de connaissances en DIH, le CNT a décidé d’élaborer « un manuel opérationnel sur les règles fondamentales des conflits armés ». Dans cet objectif, le CNT a demandé l’aide de l’organisation non gouvernementale Lawyers for Justice in Libya (LFJL), dont la mission est de promouvoir le respect des droits de l’homme et des règles du droit. LFJL a rédigé une première version du texte en utilisant des termes clairs pour les combattants n’ayant pas reçu de formation militaire, afin qu’ils comprennent, pour chaque règle, les principes fondamentaux. Le manuel incluait un logigramme pour aider les combattants prendre la décision d’emprisonner ou non une personne. Il contenait aussi des règles claires sur le traitement des morts, des blessés et des malades, mais également sur les conditions de détention et le processus de ciblage.
  3. Le CNT a diffusé ces règles auprès d’une large frange de la population, en envoyant simplement des extraits du manuel par SMS sur des téléphones mobiles et en diffusant des messages en continu à la radio et à la télévision.  L’objectif était de garantir efficacement que les personnes prenant part aux combats respectent les règles humanitaires, en mettant l’accent sur la protection des détenus et des civils dans les conflits armés. 

 

Ce cas pratique a été élaboré par Matthew Brown et Yildiz Miller, étudiants en droit (LL.M.) à l’université de Leiden sous la supervision du Professeur Robert Heinsch ainsi que de Sofia Poulopoulou et de Christine Tremblay, doctorantes au Kalshoven-Gieskes Forum de l’université de Leiden, avec le concours de Jemma Arman et d’Isabelle Gallino, étudiantes en droit (LL.M.) à l’Académie de Genève.

 

A.   GARANTIR L'APPLICATION DU DROIT DES CONFLITS ARMÉS PAR LES FORCES DISSIDENTES EN LIBYE

[Source : I. Scobbie, « Operationalising the Law of Armed Conflict for Dissident Forces in Libya », EJIL : Talk !, 31 août 2011, [traduction CICR] disponible sur : http://www.ejiltalk.org/operationalising-the-law-of-armed-conflict-for-dissident-forces-in-libya/]

 

Alors que le conflit en Libye semble toucher à sa fin, de nouvelles allégations de crimes de guerre ont été recueillies, avec la crainte de possibles représailles. […] Ces allégations vont à l’encontre de la politique affichée par le Conseil national de transition en Libye (CNT), qui a déclaré le 24 mars, concernant le traitement des détenus et des prisonniers, que « ses politiques respect[ai]ent strictement la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre ainsi que les valeurs morales et éthiques de la société libyenne ». Cette déclaration se lit comme suit :

 

« 1. Tout libyen arrêté, qu’il s’agisse d’un militaire ou d’un civil recruté pour nuire ou semer le chaos, ne devrait pas être considéré comme prisonnier mais comme un frère libyen (ou une sœur) que l'on a trompé.

 

2. Tous les prisonniers et les détenus recevront de la nourriture, de l’eau ainsi que toute assistance médicale nécessaire et seront traités avec humanité, sans recourir à la violence. Le CNT s’engage à punir ceux qui ne respectent pas ce code et autorisera les organisations locales et internationales de défense des droits de l’homme à visiter les détenus et les prisonniers à tout moment et à s’entretenir librement avec eux ».

 

De plus, le 19 mai, le CNT a publié un manuel opérationnel sur les règles fondamentales des conflits armés […]. Celui-ci a été diffusé sous diverses formes, notamment par l’envoi d’extraits par messages écrits (SMS) sur des téléphones portables. Ce manuel visait à démontrer la volonté du CNT de prendre toute mesure pour que ses forces respectent les principes du droit international humanitaire et, ce faisant, causent moins de préjudice au peuple libyen. Dans son communiqué de presse n°21 (non publié sur son site internet), le CNT a déclaré :

 

« Nous reconnaissons que nombre des hommes et des femmes qui ont pris les armes pour lutter contre le régime de Kadhafi ne sont pas des combattants qui ont reçu une formation sur le droit des conflits armés. À ce titre, ces directives ont été rédigées afin de leur enseigner, le plus rapidement possible, les règles fondamentales qu’ils doivent respecter, en particulier les règles relatives au traitement humain des détenus et au choix des cibles dans les conflits armés ».

 

[…]

 

En tant que groupe d'opposition à la tête des forces libyennes dissidentes, le CNT ne voulait pas « agir comme Kadhafi et ses forces », il a alors demandé à l’organisation Lawyers for Justice in Libya de le conseiller sur les règles applicables du droit des conflits armés. […] Il nous a été demandé de travailler sur deux aspects : élaborer des directives sur la détention des forces de Kadhafi capturées et des directives sur le processus de ciblage. […]

 

Cette tâche s’est avérée difficile. Ces directives étaient destinées à des combattants non entrainés qui n’avaient reçu aucune formation préalable sur le droit des conflits armés. Il était donc important que ces directives soient aisément compréhensibles. Elles ont été rédigées en anglais, mais nous savions qu’elles seraient traduites en arabe par la suite. […] De plus, ces dernières devaient prendre en compte les sensibilités culturelles et religieuses.

 

[…] Le droit applicable doit être tel (sic) qu'énoncé par l’article 3 commun aux Conventions de Genève et le Protocole additionnel II. Bien que ces dispositions prévoient des protections fondamentales pour les personnes ne prenant pas part aux hostilités, y compris les combattants hors de combat, les blessés et les malades, les unités et moyens de transport sanitaires et les détenus, les règles conventionnelles concernant le choix des cibles et la détention dans un conflit armé non international sont, au mieux, rudimentaires. Nous avons estimé qu’elles étaient inadéquates et nous avons décidé qu’il était nécessaire de compléter ces règles conventionnelles en recourant au droit coutumier mais également en appliquant, par analogie, certaines règles conventionnelles qui ne sont applicables que dans les conflits armés internationaux. En résumé, nous avons jugé nécessaire de proposer certaines normes qui vont au-delà des obligations juridiques en vigueur, telles que le fait d’informer le CICR sur l’identité des détenus, l'endroit où ils se trouvent et leur libération.

 

Théoriquement, la possiblité des deux parties d'emprisonner une personne pendant un conflit armé non international est prévue par l’article 3 commun aux Conventions de Genève et le Protocole additionnel II, qui consacrent la protection des « personnes privées de liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé » (PA II, article 5, paragraphe 1). En revanche, aucune disposition juridique ne donne ce droit à des forces dissidentes. En outre, il y a, dans ce droit conventionnel, une lacune d’ordre pratique. Pendant un conflit armé international, en vertu de la Troisième Convention de Genève, chaque prisonnier de guerre doit être enregistré au moyen d’une carte de capture (voir article 70). Le statut de prisonnier de guerre n'existe pas dans les situations de conflit armé non international et il n’existe aucune procédure conventionnelle relative au traitement des prisonniers, cependant la règle 123 de l'Etude sur le DIH coutumier du CICR prévoit que « les données personnelles des personnes privées de liberté doivent être enregistrées ». Nous avons trouvé judicieux d’indiquer qu’une méthode similaire à celle des cartes de capture devrait être utilisée par les forces dissidentes afin qu’elles puissent savoir qui elles ont capturé et à quel endroit. Si cette méthode était mise en œuvre, elle pourrait également constituer une garantie contre des allégations de disparitions forcées.

 

En essayant d’adapter les règles fondamentales pour les appliquer dans ce conflit particulier, nous avons essayé de tenir compte de sensibilités culturelles et religieuses. Par exemple, il nous a été dit que, sous le régime de Kadhafi, les personnes s’attendaient à être systématiquement battues lors de leur arrestation. Ces directives insistent sur le fait qu'en aucun cas, des combattants pro-Kadhafi, ni aucun autre détenu, ne doivent subir des violences de ce type. Essayer d’expliquer de manière synthétique l’interdiction des représailles et des punitions collectives sans tomber dans le jargon juridique s’est avéré être un exercice très délicat. Nous avons choisi d'utiliser le terme « vengeance » qui, nous a-t-on assuré, une fois traduit en arabe, reprenait l’essentiel de la notion juridique de « représailles ».

 

Ces instructions sont peut-être trop restrictives car elles laissent peu de marge de manœuvre s'agissant de leur application. Ceci était inévitable, étant donné les conditions dans lesquelles elles sont destinées à être appliquées. Nous estimons que les combattants non entrainés sur le terrain ont besoin d’instructions claires et sans équivoque. Pour ce faire, deux éléments ont été intégrés : un logigramme permettant de décider facilement si une personne doit être détenue ou non ; et un ensemble de propositions assez simples sur le traitement des morts, des blessés et des malades, les conditions de détention et la procédure à respecter en matière de ciblage.

 

[…] Le droit s’est davantage codifié et est devenu bien plus complexe qu’à l’époque de Lieber, mais dans le conflit actuel en Libye comme dans des conflits passés, la question de la formation d’une force armée sans entrainement militaire et constituée dans l’urgence a toute son importance.

 

On peut espérer que la mise en œuvre de ces directives a atténué les souffrances durant le conflit en Libye et peut-être qu'elle induira des changements positifs dans la conduite des hostilités dans les conflits armés contemporains et non internationaux. Il convient de rappeler que  c'est le CNT lui-même qui est arrivé à la conclusion qu’il avait besoin de conseils juridiques et qui a demandé à ce que ces directives soient élaborées.

 

B.    LES MESURES QUE LES REBELLES LIBYENS DOIVENT PRENDRE MAINTENANT QU’ILS SONT AU POUVOIR

[Source : T. Malinowski, « what the Libyan rebels need to do now they are in charge», 30 août 2011, New Republic, Washingthon, [traduction CICR] disponible sur : https://newrepublic.com/article/94320/ libya-ntc-rebels-civil-society]

 

[…]

 

Jusqu’à présent, le Conseil national de transition en Libye a défié toutes les attentes sur le comportement attendu de la part d'un mouvement insurrectionnel. Il a diffusé en continu des messages à la radio et à la télévision présentant à ses partisans les dispositions des Conventions de Genève et récemment, il a également envoyé un grand nombre de SMS dans lesquels on pouvait lire : « Souvenez-vous, lorsque vous capturez un partisan de Kadhafi, qu'il est libyen comme vous : sa dignité est votre dignité car nous sommes tous libyens, et sa famille est votre famille, et son honneur est votre honneur ».  Le chef du CNT, Mustafa Abdel Jalil, a déclaré la semaine dernière, « […] j’appelle tous les libyens à agir de manière responsable et à ne pas rendre justice eux-mêmes… à traiter les prisonniers de guerre correctement et avec bonté. Nous avons tous le droit de vivre dans la dignité dans ce pays. » […]

 

N.B : Les documents publiés par le CNT ne sont plus disponibles en ligne. Par conséquent, la présente étude de cas n’y fait référence que par le bais de sources secondaires.

 

Discussion

 

I. Qualification de la situation et droit applicable

1. Comment qualifieriez-vous le conflit en Libye en 2011 ? De quelles informations supplémentaires auriez-vous besoin pour procéder à une telle qualification ? Quel est le droit applicable ? Le Protocole additionnel II s'applique-t-il dans ce conflit ? Pourquoi ? (CG I-IV, art. 3 PA II, art. 1)

2. La participation de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis a-t-elle internationalisé le conflit ? L’accord du CNT relatif à une intervention militaire étrangère est-il important pour procéder à cette qualification ?

3. Comment le DIH applicable aux conflits armés internationaux peut-il s’appliquer à des conflits armés non internationaux ?

4. Dans les conflits armés non internationaux, quels sont les risques et les avantages d'appliquer le DIH applicable à des conflits armés internationaux ?

 

II- Diffusion du DIH

5. L’obligation d’un État de respecter et de faire respecter le DIH s'étend-elle aux groupes armés non étatiques ? Cette obligation est-elle toujours vraie en situation de conflit armé entre un État et des groupes armés non étatiques ? (CG I-IV, art 1 DIHC, règle 144)

6. Les groupes armés non étatiques ont-ils l'obligation de diffuser le DIH ? À qui ? Uniquement lorsqu’ils prennent part au conflit ? (DIHC, règle 142 PA II, art. 19).

7. L’État libyen pourrait-il un jour être déclaré responsable des actes de groupes armés non étatiques participant à un mouvement insurrectionnel ? (Articles sur la responsabilité de l'État, art. 10).

 

III Éléments contribuant au respect du DIH

8. Qu’est-ce qui a pu encourager le CNT à publier des communiqués de presse et à transmettre des messages aux groupes armés pour les inciter à respecter le DIH et à appliquer les principes humanitaires ? Pensez-vous que le fait d’être perçu comme différent du régime précédent a constitué un avantage ? Selon vous, quelle fut l'importance de la reconnaissance internationale et du soutien de pays étrangers pour le CNT à l’époque ? Pourquoi ? Comment pensez-vous que les messages publics ont été perçus par la communauté internationale ?

 

9. Selon vous, la diffusion du DIH est-elle facilitée par les nouvelles technologie ? Est-elle plus rapide ? Plus efficace ? Comment les téléphones portables peuvent-ils être utilisés pour générer le respect du DIH ? Y a-t-il des inconvénients à partager des informations de cette manière ? Comment atténuer ces risques ?

 

10. Comment peut-on adapter l'élaboration d’un manuel militaire à des circonstances particulières et à chaque groupe armé ? Comment trouver des solutions à la barrière de la langue et comment traduire ? Comment trouver des solutions pour prendre en compte les sensibilités culturelles ou religieuses ? Le niveau de formation préalable ? Le fait que le DIH n'ait pas été respecté par d'autres acteurs dans le passé peut-il contribuer à une mauvaise compréhension du droit ?

 

11. Selon l'auteur du texte, quels ont été les avantages d’élaborer des règles plus détaillées, limitant ainsi la liberté d'interprétation des « combattants non entrainés qui n’avaient reçu aucune formation préalable » ? Êtes-vous d’accord ?

 

12.  Selon vous, les règles rendues applicables par analogie avec le droit international des conflits armés peuvent-elles être facilement respectées par des groupes armés ? Étendriez-vous l’application de ces règles à tous les conflits armés non internationaux ?

 

13.  (Document A) L’auteur laisse entendre que le droit applicable dans les conflits armés non internationaux est trop restreint et doit être développé, y compris à la lumière du droit des conflits armés internationaux. Êtes-vous d’accord pour dire que le droit des conflits armés non internationaux a besoin d’être développé ? Selon vous, pourquoi cela n'a-t-il pas déjà été fait ? À votre avis, quels domaines du droit mériteraient d’être développés ?